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688. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Il nous plaît d’abord par l’image parfaite qu’il nous suggère, à nous les agités, d’une vie recluse et silencieuse, de la vie dont nous rêvons quelquefois, d’une pure et blanche retraite au milieu de l’enfer terrestre, plus douce à concevoir en plein siècle des Jacqueries et de la guerre de Cent ans. […] Il nous plaît aussi par le contraste que fait sa profonde douceur avec l’austérité impitoyable de sa doctrine ; et par le biais dont il accommode à un idéal inhumain son âme très humaine. […] Parmi les choses qu’elles réprouvent, il en est quelques-unes dont nous aimons qu’on se détache et dont il nous plaît de paraître détachés. […] L’ascète tressaille de joie de ne plus se sentir lié aux choses, aux hommes, aux événements, de ne rien voir que d’en haut ; et le fond humain revit dans cet orgueil épuré. « Celui qui ne désire point de plaire aux hommes et qui ne craint point de leur déplaire jouira d’une grande paix. […] On pourrait dire que la netteté, le poli, l’aisance imperturbable et le « fini » classique de son œuvre, qui font que tout le monde peut s’y plaire, n’en laissent sentir toute l’originalité qu’aux lecteurs très attentifs.

689. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Quelque soin que j’aie apporté dans cet écrit pour y dire la vérité de la manière la moins offensante qu’il m’a été possible, sans l’affaiblir, je doute qu’il ait le bonheur de plaire à tout le monde. […] Que dirait Socrate de l’éducation publique qu’on donne à notre jeune noblesse, des puérilités dont on se plaît à la nourrir, comme si on n’avait rien de bon à lui apprendre ? […] Aussi est-ce un spectacle assez agréable et assez philosophique que de voir à quel point ils varient dans leurs jugements ; l’avis courant, que leurs complaisants ont soin de leur dicter, est toujours le leur, parce qu’ils n’en ont point à eux : le dernier ouvrage d’un homme célèbre qui n’a pas l’avantage de leur plaire, est toujours la plus mauvaise de ses productions ; ils ne commencent à lui rendre justice que quand une nouvelle production offre un nouvel aliment à la satire ; ils assurent alors que dans la précédente le talent se montrait encore, mais qu’il n’y a plus rien à attendre d’un esprit usé. […] Ce doit être néanmoins une consolation pour les talents persécutés, que de voir avec quelle satisfaction le public se plaît à casser les arrêts des prétendus gens de goût ; c’est presque une chute sûre pour un ouvrage que leur estime ; ils croient, en annonçant les talents de leurs protégés, inspirer pour eux une prévention favorable ; la nation au contraire, pour qui toute occasion d’exercer sa liberté est précieuse, et qui s’aperçoit qu’on veut surprendre ou enlever de force son suffrage, se trouve dès là moins disposée à l’accorder. […] En fait de talents et de génie, la nature se plaît, pour ainsi dire, à ouvrir de temps en temps des mines qu’elle referme ensuite absolument et pour plusieurs siècles.

690. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Hugo se plaît à changer le mètre dans l’intérieur d’un poème : il fait alterner les vastes couplets alexandrins avec les strophes agiles de petits vers ; et dans ces diverses parties, aucune égalité, aucun souci de tomber sur un nombre uniforme de vers ou de strophes744. […] Çà et là quelques chefs-d’œuvre : des souvenirs des Feuillantines, charmants de pittoresque ému ; la Tristesse d’Olympio, si paisible en somme et si peu désespérée dans l’antithèse de nos joies éphémères et de l’éternelle impassibilité de la nature, presque consolée par le déploiement des formes magnifiques Que la nature prend dans les champs pacifiques ; enfin cette fantaisie, Écrit sur la vitre d’une fenêtre flamande, où l’artiste se plaît à montrer par un court et triomphal exemple ce que son imagination sait faire des mots et du rythme. […] Musset est exquis dans l’œuvre courte, libre, où sa fantaisie peut errer à l’aise, se reposant et repartant quand il lui plaît : le conte, l’épître (tournée en méditation, ou distribuée en strophes lyriques), voilà où il excelle. […] Dès lors il se plaira de plus en plus à ces traductions : toujours incomparable dans l’expression directe de la nature, il n’aura jamais plus de décision et de vigueur que lorsqu’il travaillera d’après une œuvre d’art, que ce soit un tableau de Vanutelli, une eau-forte de Leys, ou une aquarelle de la princesse Mathilde786.

691. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 14 mars 1885. »

Il y a trois musiques, dit Wagner : « Il y a la musique italienne, délicieuse et perverse, qui provoque et qui déprave, princesse peut-être, courtisane certainement ; belle comme les Vénus du Titien, et impudique comme les Arétines de Pierre d’Arezzo ; ne se souciant de rien, sinon de plaire et d’énerver ; triomphant des âmes fortes par sa faiblesse même ; jolie certes, et troublante comme un enchantement lascif, mais banalisant sa beauté dans des concessions de carrefour. […] Rien ne lui plaisait mieux que de babiller avec Gentil-Bernard sous la charmille de quelque guinguette, et, si elle s’attendrissait, c’était sur le sort d’une marguerite effeuillée au courant d’un ruisseau. […] Naïf comme ces pâtres de Norvège qui se plaisaient jadis à entendre autour de la flamme du pin résineux le récit des Scaldes inspirés, il laisse aux histoires primitives leur charme d’enfance ingénue ; mais, penseur et critique, il sait, sans nuire à sa propre émotion ni à celle des autres, montrer la loi nécessaire des événements dans la suite en apparence désordonnée des circonstances, et il contraint l’humanité vieillie à s’aimer, à se haïr, à se plaindre, à se reconnaître en un mot, dans les contes qui l’ont bercée. […] D’une scène à l’autre, tout y change ou tout s’y confond ; ceux qui se plaisent à étiqueter les œuvres sont fort embarrassés.

692. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre III. Poëtes françois. » pp. 142-215

Ce grand, ce sublime Corneille, Qui plut bien moins à notre oreille, Qu’à notre esprit qu’il étonna ; Ce Corneille qui crayonna L’ame d’Auguste, de Cinna, De Pompee & de Cornelie, &c. […] Cependant ayant réuni les trois talens, il plaît à tous les spectateurs, & ses bonnes piéces attirent plus de monde que les meilleures de nos trois Poëtes tragiques. […] Qui ne se plaît point aux Comédies de Regnard, dit M. […] Ces différentes productions plaisent à ceux qui aiment à retrouver la nature dans sa plus grande négligence ; mais il ne faut pas le lire de suite.

693. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

Mais comme à ces défauts Sénéque joignit un esprit vigoureux & élevé, une imagination fleurie, des connoissances étendues, il se fit une réputation éclatante, & devint le modèle sur lequel la jeunesse romaine se plut à se former ou à se corrompre. […] C’est par ce mérite qu’il plut à la Cour de Louis XIV. […] Ils n’ont pas senti que si les défauts de cet Ecrivain célébre blessent moins chez lui qu’ils ne feroient ailleurs, c’est non-seulement par les beautés, tantôt frappantes, tantôt fines, qui les effacent, mais parce qu’on sent que ces défauts sont naturels en lui, & que le propre du naturel, quand il ne plaît pas, est au moins d’obtenir grace. […] Il faut de plus, ce qui n’est pas moins difficile, accoutumer le public à ce ton, & lui persuader qu’on peut être digne de lui plaire, en le conduisant par une route qui ne lui est pas connue.”

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