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1031. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

Il y aurait, si j’en avais la place, à faire ici une comparaison comme celle que j’ai déjà faite de Chateaubriand à l’abbé Barthélemy. […] Et en effet, les hommes ont chacun leur nature, et plus cette nature est fortement appropriée à de certaines circonstances, moins elle est applicable à toutes indistinctement… Que l’on me place au milieu d’hommes encore susceptibles de raison et de sensibilité, je ferai, je le crois, quelque impression sur eux, et peut-être je mériterai d’être choisi pour un de leurs guides ; mais, s’il faut les tromper, s’il faut les corrompre, ou bien s’il faut les environner de chaînes, s’il faut imposer sur leurs têtes un joug d’airain, je ne suis plus l’homme d’un tel ministère ; il faut alors chercher un Mazarin, trouver un Richelieu. […] Il avait toujours été désintéressé en pareille matière ; il avait refusé durant ses divers ministères les appointements de ministre des Finances et tous les avantages qui étaient attachés à cette place ; il ne craignait pas de le rappeler avec un faste qui compensait, certes, le désintéressement : « Ainsi, s’écriait-il, l’Assemblée nationale peut à son aise me montrer de l’indifférence, je n’en resterai pas moins créancier de l’État de plusieurs manières, et jamais je n’ai tant joui de cet avantage, jamais je n’y ai tenu plus superbement. » Ces cris d’orgueil sont fréquents chez M. 

1032. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Après le 18 Brumaire, Arnault fut attaché à Lucien, alors ministre de l’Intérieur, et placé par lui à la direction des Beaux-Arts et de l’Instruction publique ; bientôt il suivit ce frère du consul dans son ambassade de Madrid, et revint après quelques mois reprendre sa place de directeur sous Chaptal, ministre. […] sans gêne ici se place, Et prétend nous traiter de pair à compagnon ! […]  » — Et ici, une suspension avec sourire, une pause malicieuse laissa place à de longs applaudissements : « Mais on dira, reprit le panégyriste d’un ton sérieux et convaincu, on dira toujours : L’honnête homme, dont l’âme est généreuse et droite, lors même que son esprit se blesse et s’irrite ! 

1033. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Il énumère tel assemblage fortuit de traits, telles voix, telles mains, tel port, tel regard, tel tic personnel ; sans essayer de rendre logique ou d’expliquer ce signalement : il place son personnage dans un milieu décrit, le lance dans une aventure quelconque et ses particularités morales viennent accentuer peu à peu sa délinéation physique. […] Mais toute sa vie, quand la vieillesse arrive, se résume en ce zéro : « Des paroles, toujours des paroles, jamais d’actions. » Roulant ainsi d’entreprise en entreprise, de place en place, d’un pays à un autre, il finit par se faire obscurément et inutilement fusiller sur une barricade, à l’étranger, sans armes, et lorsque l’émeute est déjà réprimée.

1034. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre I. La demi-relativité »

En marquant le zéro au milieu de l’intervalle que l’aiguille de l’horloge a parcouru entre le départ et le retour du rayon, on le place, aux yeux de notre observateur immobile, trop près du point de départ. […] Et du même coup il aurait établi les fameuses « équations de transformation » de Lorentz, équations qui d’ailleurs, si l’on se place au point de vue plus général d’Einstein, n’impliquent pas que le système S soit définitivement fixe. […] D’autre part, quand nous parlons du zéro d’une horloge, et de l’opération par laquelle on déterminera la place du zéro sur une autre horloge pour obtenir la concordance entre les deux, c’est uniquement pour fixer les idées que nous faisons intervenir des cadrans et des aiguilles.

1035. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Je suis tenté, je l’avoue, de ranger à cette place inférieure ce qui nous est parvenu des chants lyriques de l’empereur Frédéric II et de son chancelier Pierre Desvignes. […] Nous n’avons pas les chansons qu’Abélard fit pour Héloïse, et qui, répétées sur les places publiques et dans les écoles, trahirent les deux amants. […] Comme le moyen âge, elle hérite de tout le passé : elle le reçoit obscurci, brisé, confondu ; elle le dément tour à tour et le répète ; elle lui prend ses fictions et les éclaire d’une vérité nouvelle ; elle lui prend ses vérités, et les rend plus pathétiques et plus vastes ; elle bâtit Saint-Pierre de Rome avec les débris des temples païens, mais elle place au sommet la coupole de Michel-Ange.

1036. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

Hase, mourait surchargé de titres, de places et d’honneurs bien mérités, Dubner, à l’âge de plus de soixante ans comme au premier jour, n’était rien qu’un travailleur isolé, tout entier voué à l’exécution des grandes entreprises philologiques qui roulaient sur lui, dont il était la cheville ouvrière et l’âme, se dérobant, ne s’affichant pas, étranger au monde, n’ayant au dehors que les relations strictement nécessaires, enseveli, comme il le disait, dans sa vie souterraine au fond de sa mine philologique, et tout semblable à l’un de ces mineurs du Erzgebirge auquel lui-même il se comparait ingénieusement. […] Mais, s’il exerça une heureuse influence sur les individus distingués, il échoua dès qu’il voulut introduire une partie de ses idées de réforme dans l’enseignement public ; il ne put faire brèche ; l’Université en corps résista, elle tint bon pour sa grammaire traditionnelle, qui avait été un progrès, en son temps, mais qui était certainement dépassée ; on eut même, je le crois, quelque peine à pardonner à Dübner sa tentative d’amélioration et ses insistances ; car il revint plus d’une fois à la charge, la polémique fut longue, bien des considérations étaient en jeu… N’insistons pas nous-même : le souvenir de ces désaccords et de ces démêlés ne serait point à sa place ici, en présence d’une tombe.

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