Mes Sensations sont au net, mais mes phrases cicéroniennes ne sont encore qu’en brouillon. […] La phrase de George Sand, celle de Cousin, font aussi une impression musicale ; mais chez Lamartine la mélodie toujours également ample, sonore, engendre la monotonie ; chez George Sand ou Cousin, l’harmonie musicale de la phrase est subordonnée aux autres qualités du style. […] Ma phrase devenait inharmonique. […] Chantez la phrase, vous verrez que les derniers sons an, on, e, a, oi, u, font une gamme chromatique ascendante. L’autre phrase est une invocation à la frégate, le plus puissant par ses ailes, le plus infatigable des oiseaux.
Je retrouve en lui tant de souvenirs que j’ai de Barrès, parfois un geste, un air de gentillesse et de jeunesse, le mouvement de l’épaule, un adjectif qui se fixe soudain dans une phrase de la conversation, un de ces mots terribles et justes, comme dans sa prose une musique ou quelque trait ironique. […] Si « quoi de plus drôle par exemple que ce mariage avec un général, Bonaparte », est remplacé dans le texte livré au public par « quoi de plus drôle par exemple que ce mariage avec un général Bonaparte », je chicane peu le correcteur qui, à mon avis toutefois, n’a pas tenu compte du ralentissement que Radiguet avait imprimé à sa phrase pour faire attendre la surprise : Bonaparte. […] Davantage encore lorsqu’une phrase est transformée comme celle-ci : « d’excellents clowns, les Fratellini, attiraient à ce cirque (Médrano) un public de qualité » devient : « d’excellents clowns y attiraient le public des théâtres ». […] De la fantaisie, certes, mais glacée ; aucun mot, aucune image empruntés à Morand, aucune phrase mue par l’horlogerie giraudulcienne. […] Ce jeune Normand ne se soucie pas de sa terre puisqu’il ne la possède plus, c’est sur l’État qu’il porte tout son intérêt, le sentiment barrésien de la grandeur et les ressources d’un art paresseux, fait de phrases à cran d’arrêt, de raccourcis, d’images soudain somptueuses.
La marquise descend dans un petit couvent de la rue Saint-Jacques ; Amaury fait choix d’une chambre dans le voisinage ; et voici, pendant la captivité du mari, les relations qui s’établissent entre la marquise et l’étudiant : « Tous les soirs, quand les religieuses s’étaient retirées et les enfants endormis, nous demeurions très tard, très avant même dans la nuit, près de la cendre éteinte, en mille sortes de raisonnements, de ressouvenirs, de conjectures indéfinies sur le sort, la bizarrerie des rencontres, des situations, la mobilité du drame humain, nous étonnant des moindres détails, nous en demandant le pourquoi, tirant de chaque chose l’esprit, ramenant tout à deux ou trois idées d’invariable, d’invisible et de triomphe par l’âme ; jamais ennuyés dans cet écho mutuel de nos conclusions, toujours naturels dans nos subtilités. » J’ai cité cette phrase tout au long, parce qu’elle me dispense de raconter ; en effet, elle résume merveilleusement toute l’histoire de cette liaison vraiment étrange, qui n’est ni amitié ni amour, ni mystère ni éclat, ni passion ni calme, ni innocence ni crime. Cette phrase a deux mots pourtant que je voudrais retrancher : jamais ennuyés ! […] Je demande comment on a pu confondre la phrase libre, ample et flottante de cette époque littéraire, cette grande phrase dans laquelle les mots viennent se placer comme d’eux-mêmes, sans travail et sans effort ; cette phrase toujours simple, toujours légère sous les plus riches ornements, avec le style guindé, tourmenté, bizarrement attifé qu’affecte M. Sainte-Beuve, ce style parvenu qui porte si gauchement sa parure, ce style bourré de mots sonores qui sont tous là pour jouer péniblement un rôle imposé ; en un mot, je demande comment on a pu comparer la phrase de Fénelon, cette phrase si saine et si leste, avec ce style gonflé, repu, qui crève de plénitude, qui étouffe sous la métaphore, qui mourra d’apoplexie !
L’orateur, sans se douter en rien de l’impression générale, et comme s’il avait apporté avec lui son atmosphère à part, comme s’il parlait enveloppé d’un nimbe, redoublait, en avançant, de complaisance visible, de satisfaction séraphique ; il distillait chaque mot, il adonisait chaque phrase. […] Or M. de Vigny, ayant réfléchi à quelques-unes des objections qu’on lui avait faites devant la Commission sur certains faits graves imputés par lui au premier Empire, avait, tout bien considéré, supprimé au dernier moment une des phrases qu’il devait lire ; il n’en avait point fait part à M. Molé, comme il l’aurait dû, et celui-ci se trouvait ainsi répondre à une phrase qui était retirée. […] Il n’avait donc pas entendu le murmure d’approbation qui avait salué au passage cette phrase de M.
La phrase y affecte presque exclusivement la forme d’une période dont les membres se font équilibre, quelquefois par le poids des idées, trop souvent par le nombre et le son des mots. […] La première édition du Temple du goût contenait cette phrase sur Bossuet : « Bossuet, le seul éloquent entre tant d’écrivains qui ne sont qu’élégants. » Vauvenargues osa réclamer en faveur de Pascal et de Fénelon, dépouillés au profit de Bossuet78. Voltaire effaça la phrase. […] Vauvenargues lit la note et maintient sa phrase, n’approuvant pas plus Voltaire dans ce qu’il veut ôter à Bossuet, que dans ce qu’il lui donnait tout à l’heure au détriment de Pascal et de Fénelon.
Tout est bien, a-t-il dit pour premier axiome et pour première phrase de l’Émile, tout est bien en sortant des mains de la nature, et en premier lieu l’homme. […] Confessions : « La vie m’était en horreur ; je ne voulais pas vivre, réduit à la moitié de moi-même ; et peut-être craignais-je de mourir, de peur qu’avec moi ne mourût tout entier celui que j’avais tant aimé108. » Plus tard, dans ses Rétractations, revenant sur ce passage : « C’est plutôt une légère déclamation, dit-il, qu’une confession sérieuse109. » La phrase sent en effet la subtilité. […] Descartes avait en vue ce type d’esprit, quand il écrivait cette phrase si significative : « Ce sont ceux qui se connaissent le moins qui sont le plus sujets à s’enorgueillir et à s’humilier plus qu’ils ne doivent110. » Se connaître n’est pas chose facile, même à ceux qui se cherchent. […] De même que les vertus que s’imposa Rousseau, après sa réforme, ont je ne sais quoi d’âpre et d’inquiet, qui leur donne l’air d’un engagement de vanité pris avec l’opinion, plutôt que d’un ferme propos] et d’une mâle résolution de faire le bien ; de même plus d’un tour guindé et plus d’une phrase tendue annoncent, jusque dans ses plus belles pages, que l’élévation lui coûte des efforts, et qu’il n’entre pas de plain-pied dans les pensées hautes.