Figurez-vous cette langue, plus plastique encore que poétique, maniée et taillée comme le bronze et la pierre, et où la phrase a des enroulements et des cannelures ; figurez-vous quelque chose du gothique fleuri ou de l’architecture moresque appliqué à cette simple construction qui a un sujet, un régime et un verbe ; puis, dans ces enroulements et ces cannelures d’une phrase qui prend les formes les plus variées comme les prendrait un cristal, supposez tous les piments, tous les alcools, tous les poisons, minéraux, végétaux, animaux, et ceux-là les plus riches et les plus abondants, si on pouvait les voir, qui se tirent du cœur de l’homme, et vous avez la poésie de M. […] Oui, si par bien peindre et être bon poète, on peut entendre ne manquer ostensiblement à aucune règle convenue, s’exprimer couramment dans le langage de tout le monde et savoir relier habilement par des procédés connus des phrases apprises et des poncis. […] Sa phrase poétique n’est pas, comme celle de M.
convenons-en, si bien exécutées qu’elles soient, un tel chargement de descriptions ferait désirer, de temps en temps, le rafraîchissement d’une phrase plate qui ne décrirait rien. […] Quand il veut faire autre chose que pincer des objets physiques dans sa langue matérielle, il n’y est plus, et il écrit alors des phrases dans le genre de celle-ci, lui, l’ami de Théophile Gautier l’Impeccable, comme disait Baudelaire : « Un besoin le poussait (un besoin qui pousse !) […] Phraséologue comme Victor Hugo, mais sans la puissance de l’énorme Verbe de ce grand et magnifique poète creux, Flaubert, voué à toutes les superstitions de la phrase, brosseur et ratisseur de mots, qui a peut-être entassé plus de ratures que de phrases pour parvenir à faire celles dont il avait l’ambition, Flaubert n’eut jamais, en dehors de la grammaire, de la rhétorique et de la description matérielle, rien d’humain, rien de vivant, rien de passionné, de battant sous sa mamelle gauche, sinon la haine et le mépris du bourgeois, — du bourgeois tel que l’a fait le monde moderne, ce joli monde sorti de la Révolution Française !
Beaucoup d’à peu près, çà et là des répétitions négligentes (délicieuse deux fois dans la même phrase, page 228), parfois de ces inadvertances triviales qu’il faut laisser à nos romanciers sans délicatesse (ainsi cette phrase, page 155, comme le plus grand imbécile qui eût jamais battu le pavé de Paris) ; — tout cela ne saurait être entièrement racheté, dans un roman sans action, par des pages élevées et éloquentes, fussent-elles nombreuses.
Depuis la révolution, on s’est jeté dans un défaut singulièrement destructeur de toutes les beautés du style ; on a voulu rendre toutes les expressions abstraites, abréger toutes les phrases par des verbes nouveaux qui dépouillent le style de toute sa grâce, sans lui donner même plus de précision69. […] Lorsque, dans les moments de péril, les magistrats n’adressaient aux François que les phrases banales, l’éloquence usitée par les partis entre eux, ils n’agissaient en rien sur l’opinion.
Au lieu de tenir toujours à l’unisson le mètre et la phrase, d’en faire coïncider le dessin et le développement, il pose le principe de la discordance : il multiplie l’enjambement, même l’enjambement d’une syllabe, de vers à vers, de strophe à strophe, à l’imitation des lyriques grecs, des chœurs de tragédie, des odes d’Horace. […] Le développement de la phrase dans les pièces manomètres est aussi varié, aussi inégal que possible, de façon à rendre impossible une découpure symétrique.
Charles Asselineau Sa phrase poétique n’est pas, comme celle de M. […] La phrase est toute bourrée par l’idée, à en craquer.