On aurait peine à se figurer le désordre et la confusion où était l’enseignement de la jeunesse en 1800 : toutes les méthodes faciles, toutes les fantaisies philosophiques et philanthropiques s’étaient donné carrière sous le Directoire ; il s’agissait de remettre la règle et un peu de sévérité dans cette licence et cette bigarrure. […] Je suis un homme de parti ; je suis un soldat du parti philosophique. […] C’est, en effet, le moment pour nous de bien fixer le caractère littéraire et philosophique de Roederer.
Chaque série de Gavarni a une idée philosophique et se pourrait renfermer dans un mot ; mais ce mot, ce serait à lui de nous le dire, et il le lui faudrait arracher. […] Il fallait à tout prix l’amuser et le satisfaire ; plus d’une fois Gavarni a été obligé d’interrompre une série philosophique, celle des Leçons et conseils par exemple, de peur de lasser. […] En avançant, Gavarni, devenu plus maître et sentant qu’il dominait mieux son public, s’est accordé plus volontiers la série philosophique : mais ceci touche à une seconde manière que nous aurons à caractériser.
Il ne se dit point que l’autorité de Raynal (si autorité il y avait) ne pouvait se séparer du fond des doctrines qu’il avait si ostensiblement soutenues et proclamées ; que son changement d’idées graduel et sincère, remontant à quelques années et connu seulement de quelques amis, ne pouvait que lui nuire en éclatant comme une conversion subite et en s’étalant comme un exemple de plus de la versatilité humaine ; que les hommes célèbres et les personnages publics ne sont pas seulement ce qu’ils sont, mais ce qu’ils paraissent ; que l’auteur de l’Histoire philosophique était le dernier des hommes qui eût le droit de rappeler si solennellement à la modération ceux qu’il avait de longue main excités et échauffés ; que c’était tout au plus ce qu’aurait pu tenter un Mirabeau, se transformant de tribun séditieux en tribun conservateur : et encore aurait-il eu de terribles difficultés personnelles à vaincre : Quis tulerit Gracchos de seditione querentes ? […] Jay sur Raynal, qui est en tête de la dernière édition de l’Histoire philosophique des deux Indes, Notice vague et générale comme on les faisait en ce temps-là, ne contient qu’une seule anecdote neuve tirée d’une lettre de M. de Lally au comte Portalis : on y voit l’abbé Raynal et M. de Lally au naturel, tous deux gens à démonstrations, à grands sentiments et à embrassades. […] Lorsque Raynal mourut, il faisait partie de l’Institut national nouvellement créé, et dans la première séance générale qui se tint au Louvre en toute solennité le 15 germinal de l’an iv (4 avril 1796), Le Breton, secrétaire de la Classe des Sciences morales et politiques, lut sur lui une Notice dont Ginguené a parlé ainsi dans la Décade : « Ceux qui ont une connaissance exacte des secours qu’il avait eus pour la composition de son Histoire philosophique et politique ont trouvé que l’auteur de cette Notice traitait un peu trop problématiquement cette question assez importante, qu’il fallait peut-être résoudre avec une équité sévère.
Il concourut comme rédacteur aux Archives philosophiques, politiques et littéraires en 1817-1818133 et en 1819 au Lycée français, recueil distingué et délicat de pure littérature134. […] Voilà, ce me semble, de la belle poésie philosophique, s’il en fut136 ; mais chez Loyson cette élévation rigoureuse dure peu d’ordinaire ; la corde se détend, et l’esprit se remet à jouer. […] Sa vision d’Empèdocle (1829) était un premier pas vers le poëme philosophique que son Erostrale vient nous développer aujourd’hui.
En général une innovation économique ne suscite pas les mêmes résistances, ni les mêmes indignations qu’une innovation philosophique, religieuse ou morale. […] Au contraire, une innovation qui touche au domaine des idées, des croyances, des sentiments, suscite de la part du milieu une opposition aussi durable que furieuse (Galilée et l’inquisition ; en général toute innovation tendant à détruire la conception philosophique et morale régnante). […] Il y a dans l’invention industrielle, comme dans l’invention littéraire, artistique ou philosophique, un élément proprement personnel : la cérébralité de l’individu, qui est irréductible aux influences sociales.
Bourget, si large qu’elle ait été en fait, n’en est pas moins restée négative au regard du progrès philosophique ou même simplement moral, et, vraisemblablement, parce que, de plus en plus portée à voir et à interpréter, elle pouvait d’autant moins aider à la réflexion transcendantale. […] Bourget, apparemment si apte à la spéculation abstraite, auquel il semblerait que la pure forme philosophique eût dû sourire exclusivement. […] Bourget n’ait pas pu s’engager dans le rocailleux domaine philosophique ; mais, en revanche, on n’en restera que plus surpris de son aptitude naturelle à y incursionner ; et l’on sera enfin bien tenté d’attribuer à la nouveauté d’une telle somme de contrastes, le fait que l’on n’ait pas hésité à le proclamer un penseur subtil et profond, un logicien persuasif, un poète émouvant, un artiste, et, par surcroît, un charmeur.