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483. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Chine »

Qui ne sait qu’au xviiie siècle la Chine eut un succès fou auprès des philosophes, parce qu’on pouvait souffleter, avec sa chronologie, le récit moïsiaque, si embarrassant jusque-là pour la philosophie, qui avait toujours cogné son front vide contre les faits ? […] Pauthier et Bazin, qui sont d’un temps plus rassis, n’ont point de ces façons de corybante à tympanon et à cymbales ; mais, avec les airs modérés et prudents, le grand uniforme de la philosophie officielle du xixe  siècle, ils glissent en dessous de leurs grosses statistiques bien de petites phrases où perce la préférence marquée d’une tradition qui n’explique aucune des traditions diverses des races aux dépens de la grande Tradition qui les explique toutes, et c’est au point que sans cette tradition anti-chrétienne, chère aux voltairiens de tous les âges, ils n’oseraient peut-être pas, malgré la chinoiserie de leurs manières de voir et de sentir, nous vanter la Chine et ne rien ajouter aux raisons connues que ses plus anciens partisans avaient déjà de l’admirer. […] Enfin, comme intelligence de la race, ils prennent la mesure du plus fort cerveau chinois qui ait jamais existé, ils nous peignent en pied ce Confucius (Koung-fou-Tseu) qu’ils comparent, on ne sait trop pourquoi, à notre glorieux cardinal de Richelieu, lequel n’a pas grand’chose, pourtant, de ce quaker Oriental, dont la haute philosophie ressemble à une Civilité puérile et honnête… Et c’est ainsi qu’ils confirment, au lieu de la détruire, cette grande accusation portée contre la Chine par des esprits sévères auxquels des potiches et des porcelaines, et une originalité grotesque dans les arts et dans la vie, n’ont pas tout fait pardonner !

484. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

Et voilà les raisons pour lesquelles je parlerai de ce livre, qui, tout en étant un livre de métier et d’instruction pratique pour les officiers de l’armée française, entre pourtant par l’esprit qui l’anime dans la philosophie du temps ; mais, Dieu merci ! […] Seulement, dans un temps où la philosophie émet sur la nature humaine les notions les plus orgueilleusement fausses et la pousse à toutes les indépendances et à toutes les révoltes, et où la philanthropie, à son tour, bave d’attendrissement sur l’homme et sur le bonheur qui lui a toujours manqué, à ce pauvre homme ! […] Et voilà le soufflet, annoncé au commencement de ce chapitre, que le colonel Ardant du Picq allonge à la philosophie, de Samain experte et militaire !

485. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

Avons-nous remplacé sa philosophie ? […] Faites un pas hors de la philosophie. […] Il a, dans son énorme volume, dans cette Encyclopédie des immoralités du chef de la philosophie du xviiie  siècle, allégué un nombre de faits très intéressants pour tout le monde, pour les amis et pour les ennemis, et puisqu’on parle de la morale des philosophes comparée à la morale chrétienne, nous savons maintenant à quoi nous en tenir !

486. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « III. Donoso Cortès »

Chargés de vérité et pour ainsi parler, pavoisés de couleurs d’un grand talent, dont le caractère est l’éclat, ces trois volumes, comme le vaisseau que montait l’aïeul de Cortès pour aller à la conquête d’un monde, s’en vont à la conquête des âmes, qui sont aussi des mondes et peut-être plus difficiles à conquérir… Quelle que soit leur destinée, c’est un service rendu à l’Église que d’avoir pensé à les traduire et à les publier dans cette langue française qui n’est pas seulement, comme on l’a dit, la langue de la diplomatie et de la philosophie, mais qui est plus qu’une autre la langue de la propagation et de la foi. […] Elle est aussi dans cette philosophie de l’histoire qu’on trouve dès 1849 dans la lettre, datée de Berlin, à M. de Montalembert, et qui est d’ailleurs la vue génératrice de toutes les vérités de l’Essai, lesquelles sont nombreuses. […] Nous, catholiques du dix-neuvième siècle, nous n’avions à opposer aux trois colosses de la philosophie que deux hommes de hauteur qui en valaient bien trois, il est vrai, de Maistre et de Bonald, mais il nous manquait le troisième.

487. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

Quand on eut une fois donné l’exemple de louer ceux qui cultivent la philosophie et les arts, cet exemple fut suivi. […] Ce qui caractérise l’auteur de ces éloges, c’est une philosophie pleine de fermeté, et quelquefois de hauteur ; une âme qui ne craint pas de se montrer, qui ose afficher son estime ou sa haine, qui ne blesse point les convenances, mais qui, en ôtant à la vérité ce qu’elle a de révoltant, lui laisse tout ce qu’elle a de noble ; un esprit à la fois sage et profond ; l’étendue des idées jointe à la méthode ; un style précis qui n’orne point sa pensée, qui ne l’étend pas, dont la clarté fait le développement, et dont la parure est la force ; et quelquefois l’art de saisir le ridicule et de le peindre avec toute la vigueur que donne le mépris, quand ce mépris est commandé par la raison. […] Ce mélange d’imagination et de philosophie, de sensibilité et de force, ces expressions, tantôt si énergiques et tantôt si simples, ces invocations si passionnées, ce désordre, ces élans, et ensuite ces silences, et, pour ainsi dire, ces repos ; enfin cette conversation avec son lecteur, quelquefois si douce, et d’autrefois si impétueuse, tout cela s’empare de l’imagination d’une manière puissante, et laisse l’âme à la fin dans une émotion vive et profonde.

488. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

On peut réduire à cinq chefs l’éducation publique ; les humanités, la rhétorique, la philosophie, les mœurs et la religion. […] Philosophie. Après avoir passé sept ou huit ans à apprendre des mots, ou à parler sans rien dire, on commence enfin ou on croit commencer l’étude des choses ; car c’est la vraie définition de la philosophie. Mais il s’en faut bien que celle des collèges mérite ce nom : elle ouvre pour l’ordinaire par un compendium, qui est, si on peut parler ainsi, le rendez-vous d’une infinité de questions inutiles sur l’existence de la philosophie, sur la philosophie d’Adam, etc. […] Peut-être même devrait-on faire précéder la rhétorique par la philosophie ; car enfin, il faut apprendre à penser avant que d’écrire.

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