Ou, si vous voulez, c’était de la philosophie mise en menuet sur les airs de M. de Benserade. […] Voilà son idéal de philosophie. […] Cette mort fut la seule douleur de sa longue vie, le seul accident qui trouva sa philosophie en défaut ; il fut homme un jour par ce côté. […] Fontenelle fait semblant de vouloir parler d’autre chose : « Non, répliquai-je, il ne me sera point reproché que dans un bois ; à dix heures du soir, j’aie parlé de philosophie à la plus aimable personne que je connaisse. Cherchez ailleurs vos philosophes. » Pourtant il serait bien fâché qu’on le prît au mot, car c’est précisément dans ce mélange de philosophie, de physique et de galanterie qu’il va exceller.
Je pourrais, en citant, donner de jolis mots qui s’y rencontrent ; mais c’est le sens même et la suite qui fait le prix de ce délicieux morceau ; voici quelques traits pourtant : Son esprit, dit-il de Montaigne, a cette assurance et cette franchise aimable que l’on ne trouve que dans ces enfants bien nés, dont la contrainte du monde et de l’éducation ne gêna point encore les mouvements faciles et naturels… Les vérités (dans son livre) sont enveloppées de tant de rêveries, si j’ose le dire, de tant d’enfantillages, qu’on n’est jamais tenté de lui supposer une intention sérieuse… Sa philosophie est un labyrinthe charmant où tout le monde aime à s’égarer, mais dont un penseur seul tient le fil… En conservant la candeur et l’ingénuité du premier âge, Montaigne en a conservé les droits et la liberté. […] La philosophie de Grimm est triste, elle est aride : il est sceptique, et, les jours où il l’est pour son propre compte, il l’est sans sourire : nous y reviendrons. […] La politique de Grimm est triste, sceptique, ou volontiers négative comme sa philosophie. […] Par je ne sais quel prestige, dont l’illusion se perpétue de génération en génération, nous regardons le temps de notre vie comme une époque favorable au genre humain et distinguée dans les annales du monde… Il me semble que le xviiie siècle a surpassé tous les autres dans les éloges qu’il s’est prodigués à lui-même… Peu s’en faut que même les meilleurs esprits ne se persuadent que l’empire doux et paisible de la philosophie va succéder aux longs orages de la déraison, et fixer pour jamais le repos, la tranquillité et le bonheur du genre humain… Mais le vrai philosophe a malheureusement des notions moins consolantes et plus justes… Je suis donc bien éloigné d’imaginer que nous touchons au siècle de la raison, et peu s’en faut que je ne croie l’Europe menacée de quelque révolution sinistre. […] Diderot résistait à ces objections de son ami ; il s’enflammait et s’exaltait de plus belle : le siècle de la philosophie décidément allait régénérer le monde. — La porte s’ouvre, un valet entre, à l’air effaré : « Le roi est assassiné !
Il s’est surtout fait une solitude très animée, très conversante et selon ses goûts, à son château de Rheinsberg ou Remusberg qui est près de là : « Nous sommes une quinzaine d’amis retirés ici, qui goûtons les plaisirs de l’amitié et la douceur du repos. » Les occupations y sont de deux sortes, les agréables et les utiles : Je compte au rang des utiles l’étude de la philosophie, de l’histoire et des langues ; les agréables sont la musique, les tragédies et les comédies que nous représentons, les mascarades et les cadeaux que nous donnons. […] Ici, à ce moment, en Allemagne, c’était Wolff qui remplissait cet office de maître à penser, et qui, à travers les systèmes très contestables et le roman métaphysique dont il était l’interprète, faisait sentir du moins les avantages d’une raison plus libre et d’un bon sens plus dégagé : « C’est le bonheur des hommes quand ils pensent juste, disait Frédéric, et la philosophie de Wolff ne leur est certainement pas de peu d’utilité en cela. » La reconnaissance de Frédéric envers M. de Suhm « qui lui a débrouillé le chaos de Leibniz, éclairci par Wolff », est donc très sincère et très vive ; il a pour lui une de ces amitiés idéales, passionnées, enthousiastes, telles qu’en conçoivent les nobles jeunesses. […] J’ai parlé de philosophie et de métaphysique : même à cette date où Frédéric s’y laisse le plus initier, il ne faut pas croire qu’il sorte pour cela de son tour d’esprit pratique et de son caractère. […] Je vous avoue que je suis de ces personnes qui aiment à partager la gloire des autres, et que, sans la philosophie, je verrais avec inquiétude tant de grandes actions sans y assister. […] Il persiste à repousser toute comparaison, tout point de contact avec les héros, avec les conquérants ; il en est presque là-dessus aux lieux communs de la philosophie : Si les qualités du cœur peuvent entrer dans la composition d’un héros, si la fidélité et l’humanité peuvent tenir lieu de cette fureur brutale et souvent barbare des conquérants ; si le discernement et le choix des honnêtes gens peut être préféré au vaste génie de ceux qui conçoivent les plus grands desseins ; si enfin les bonnes intentions et la douceur sont préférables à l’activité de ces hommes remuants qui semblent être nés pour bouleverser tout le monde ; alors, et à ces conditions, je puis entrer en compromis avec eux.
Enfin l’esprit de nos philosophes, de Montesquieu, de Voltaire, imprègne ces vives intelligences italiennes ; un Français, Condillac, est appelé à instruire le prince de Parme, et l’on peut dire que les premiers pays où des essais de gouvernement libéral et bienfaisant fassent passer dans les faits un peu des rêves de notre philosophie humanitaire sont de petits États d’Italie. […] L’anglomanie se répand dans nos salons à la faveur de la philosophie, et les mœurs françaises s’imprégnent des usages et des goûts de nos voisins : on importe d’outre-Manche les courses de chevaux ; on établit la mode des thés à l’anglaise. […] Un fond de très sérieuse philosophie, une pensée libre, active, pénétrante, font de tous ses écrits, mais surtout de sa vaste correspondance une des plus intéressantes lectures que le xviiie siècle puisse fournir, même en négligeant l’intérêt historique. […] Lévy-Bruhl, l’Allemagne depuis Leibniz, Paris, 1890, in-12 ; la Philosophie de Jacobi, in-8, 1894.
Quant aux commentaires, vous y trouverez, neuf fois sur dix, la philosophie la plus banale, ou la plus vulgaire ironie, ou le scepticisme le plus grossier et le plus accessible, ou même le plus niais pédantisme, et, aux meilleurs endroits, de l’esprit fabriqué, des plaisanteries que l’on sent déduites selon d’immuables formules. […] Il est enjoué, il est sérieux, il est sceptique, il est ému, il fait de l’esprit, il fait de la philosophie, parce que c’est son métier, à tant la ligne. […] Ces réflexions improvisées et que rien ne les poussait à faire sur un sujet qui leur est fort égal, ces considérations ou ces plaisanteries qu’ils griffonnent d’une plume rapide et dédaigneuse portent quand même leur marque, trahissent leur philosophie habituelle, leur conception de la vie, leur tempérament. […] Il a toujours su ce qu’il faut à ses lecteurs, la dose exacte et l’espèce de philosophie, de fantaisie et de liberté d’esprit qu’ils peuvent admettre.
On peut la classer sous ces trois chefs principaux : philosophie, histoire, éloquence. Par philosophie, nous entendons ici l’étude de toutes espèces de sciences. […] La vraie philosophie est l’innocence de la vieillesse des peuples, lorsqu’ils ont cessé d’avoir des vertus par instinct, et qu’ils n’en ont plus que par raison : cette seconde innocence est moins sûre que la première ; mais, lorsqu’on y peut atteindre, elle est plus sublime. […] Selon ce grand homme, il est prouvé « qu’une légère teinture de philosophie peut conduire à méconnaître l’essence première ; mais qu’un savoir plus plein mène l’homme à Dieu152. » Si cette idée est véritable, qu’elle est terrible !