Assez peu expert en ces matières subtiles, il préfère hautement « le sain scepticisme de Mill ou de Hume » — qui lui plaisent parce qu’ils n’admettent que les phénomènes — au scepticisme grec, où il distingue « un appel des affirmations des sens à l’autorité d’une raison à peine éveillée » ; car, pour lui, toute entreprise spéculative est essentiellement « malsaine ». […] Nous n’atteignons pas la vérité en soi, ni la chose en soi, ni les causes, mais seulement les phénomènes et leurs successions constantes : encore ces lois que nous discernons sont-elles peut-être contingentes et précaires, ou limitées à notre monde. […] Rien ne démontre rigoureusement que ce soit impossible, mais ce serait un phénomène unique dans l’histoire et vraiment prodigieux : car raffinement général du goût et de la culture, indispensable à l’éclosion d’œuvres parfaites dans quel genre que ce soit, devrait se faire sentir au moins dans plusieurs autres genres, sinon dans tous. […] L’Apologie de Raimond Sebond, où Pascal a vu du pyrrhonisme absolu, n’est qu’une insinuante et ironique machine de guerre contre les religions, où Montaigne ne voit que des créations de l’homme et de simples phénomènes historiques. […] Descartes y signale en français qu’on peut faire passer dans une chambre des langues de feu par de certains miroirs ; en latin, que l’enthousiasme des poètes l’emporte parfois sur la raison des philosophes, en faisant jaillir de nous les germes de science comme les étincelles d’un caillou (ce qui est bien un phénomène naturel).
Jules de Gaultier a démontré philosophiquement l’importance vitale de ce phénomène. […] « Ce sceptique croyait à l’amour. » Sans doute, comme à un phénomène constaté, dans la mesure de l’expérience et sans hypothèse transcendantale. […] Il s’agit de je ne sais quel double, qui n’existe que pour certains illuminés, et qui est bien inutile pour expliquer des phénomènes aussi simples que nos représentations. […] Claude Bernard a exorcisé l’entité de la force vitale et définitivement établi que la vie était soumise au déterminisme, comme les phénomènes physico-chimiques. […] Il y aura toujours de ces phénomènes à toutes les époques, comme des chahuts dans les lycées et collèges.
Ces écrivains cependant dont la fantaisie désespère le plus l’analyse sont ceux justement qui varient le moins dans leur départ ; placés, semble-t-il, une fois pour toutes, de par la grâce d’un naturel heureux, en ce point d’intersection idéal d’où procèdent l’imaginaire et le réel, ils ont vue sur les deux versants, et ils l’ont simultanée ; ils voient toujours double, en ce sens que chaque phénomène leur apparaît sous ses deux faces. […] C’est là, à mon sens, ce qui rend la position intellectuelle de Valéry à la fois si rare et si sûre : l’équilibre n’est que trop facile dans la plaine ou même à mi-côte : la beauté du cas, c’est que le phénomène se produise sur l’extrême pointe de l’esprit, que le corps prenne d’autant plus d’importance que l’esprit s’est avancé plus loin. […] Si en effet, appliquées aux phénomènes naturels, les lois de la nature gardent encore quelque dignité, vis-à-vis des phénomènes humains ces mêmes lois perdent toute retenue, à cause des efforts dérisoires que l’homme tente pour s’en évader, et plus encore à cause du succès dont à chaque fois il croit ses efforts couronnés. […] Le livre est un beau cas d’un phénomène assez peu fréquent, celui de la haine intellectuelle à l’état pur, et sa pureté réside en ceci qu’elle a pour unique objet une certaine manière de penser et de sentir. […] Sitôt rendu à lui-même, il dirige toute son attention sur les phénomènes multiples à travers lesquels — dans des domaines différents, sur des plans qui ne se coupent pas — commence d’apparaître la figure nouvelle de ce monde qui, laborieusement, s’essaie sous nos yeux ; et lorsqu’il prend la direction de La Nouvelle Revue française, l’appel qu’il adresse aux Français, c’est de savoir « rester à la fois des écrivains sans politique et des citoyens sans littératuregv ».
Mystérieux phénomène moral : il avait des remords sans croire pourtant qu’il fît des choses défendues ni qu’il transgressât une règle ; il avait le sentiment du péché avant la connaissance et l’acceptation de la loi […] Cela contentait en même temps, chez Veuillot, ce besoin de certitude qui était sa maladie, en concentrant dans un seul homme le phénomène de la Révélation continue ; et cela satisfaisait aussi ses instincts de démocratie spirituelle : il pensait que rapprocher le pape de Dieu, c’était le rendre au peuple.
Zola s’est interdit tout écart de fantaisie ; il semble, aujourd’hui, s’éloigner de plus en plus de l’intrigue, se borner à l’étude pure et simple des cas humains et des phénomènes sociaux. […] Ces souvenirs lui revinrent, et il fut bientôt persuadé que les phénomènes d’hérédité fournissaient une liaison suffisante à une série de romans dont chaque volume serait un tout, et qui pourtant ne pourrait être comprise et jugée que dans son ensemble.
Dans les lieux bas, les lumières s’éteignent quand elles y entrent… Phénomène que le monde intellectuel répète, le monde matériel et le monde moral n’étant que des répétitions de l’un dans l’autre, — des répercussions. […] Il faut ne pas trembler avec les mots : le Wilhelm Meister et les Affinités sont des phénomènes de sottise.