Jamais les sages Réglemens de la Police, pour la Librairie, ne contrarierent personne plus que lui : aussi fut-il toujours en guerre avec les Censeurs qu’on lui donnoit pour examiner ses Manuscrits.
L’insubordination et l’indiscipline sont partout ; personne n’est craint ni obéi ; la rivalité et la désunion du duc de Richelieu et du prince de Soubise ont amené les désastres de la fin de la campagne ; on demande au maréchal de Belle-Isle et à Duverney pour la campagne prochaine des mémoires et des plans qui ne seront pas suivis. […] D’un autre côté, unis comme nous sommes, nous deviendrions les plus forts, et mon chapeau rouge (il allait l’avoir deux mois après), séparé du département, ne ferait peur à personne. […] Ici il a moins à agir en ministre ; les qualités du négociateur sont plutôt de mise ; il y a lieu à la persuasion et à un maniement insensible des personnes et des esprits.
Quarante-huit ans après, c’était le même homme qui publiait son Mémoire sur la société polie ; ce qui faisait dire à M. de Talleyrand, parlant au fils de l’auteur : « Il y a une chose remarquable dans la vie de votre père, et qui n’est peut-être arrivée à personne avant lui, c’est qu’à cinquante ans de distance il a publié deux ouvrages, dont le premier a fondé sa réputation, et dont le second vient de la couronner. » En même temps et aux approches de 89, Roederer avait l’habitude et le besoin d’écrire sous forme plus courante et plus brève sur toutes les questions du jour, sur les événements ou conflits qui occupaient à Metz l’attention publique : en un mot, comme Franklin, il était par nature et par goût journaliste ; il le sera pendant une grande partie de sa vie, et conciliera, tant qu’il y aura moyen, ce genre de publication avec les hauts emplois et les dignités même de l’État. […] L’amitlé, au défaut de la justice, aurait dû retenir M. de Mirabeau lorsqu’il s’est senti entraîné à employer un moyen que nous avons souvent blâmé d’un commun accord, d’un moyen dont M. de Mirabeau lui-même a manqué d’être la victime, celui d’attirer les orages sur la tête des personnes qui ont une opinion particulière. […] Pour tout lecteur impartial, il est aujourd’hui évident que Roederer, au 20 Juin et au 10 Août, se conduisit en magistrat probe, exact, peu royaliste sans doute d’affection, mais honnête, strict et consciencieux ; que, dénué de pouvoir et chargé de responsabilité, il usa des faibles moyens légaux qu’il avait entre ses mains, et que, les trouvant souverainement inefficaces, il prit le seul parti qui pouvait éviter dans cette dernière journée un malheur immédiat : il conduisit, en les assistant et les protégeant de sa personne, le roi et sa famille, du château déjà envahi, au sein de l’Assemblée désormais responsable.
Beyle deux personnes distinctes, le critique et le romancier ; le romancier n’est venu que plus tard et à la suite du critique : celui-ci a commencé dès 1814. […] Mais au moment où ce défaut sommeille, en ces instants reposés où il redevient Italien, Milanais, ou Parisien du bon temps ; quand il se trouve dans un cercle de gens qui l’entendent, et de la bienveillance de qui il est sûr (car ce moqueur à la prompte attaque avait, notez-le, un secret besoin de bienveillance), l’esprit de Beyle, tranquillisé du côté de son faible, se joue en saillies vives, en aperçus hardis, heureux et gais, et en parlant des arts, de leur charme pour l’imagination, et de leur divine influence pour la félicité des délicats, il laisse même entrevoir je ne sais quoi de doux et de tendre dans ses sentiments, ou du moins l’éclair d’une mélancolie rapide : Un salon de huit ou dix personnes aimables, a-t-il dit, où la conversation est gaie, anecdotique et où l’on prend du punch léger à minuit et demi73, est l’endroit du monde où je me trouve le mieux. […] Il est à remarquer qu’en fait de style, à force de le vouloir limpide et naturel, Beyle semblait en exclure la poésie, la couleur, ces images et ces expressions de génie qui revêtent la passion et qui relèvent le langage des personnes dramatiques, même dans Shakespeare, — et je dirai mieux, surtout dans Shakespeare.
Après une prose très simple (le grec du Nouveau Testament), il met son enfant aux auteurs plus relevés, aux poètes surtout, et à Homère presque aussitôt : Or, il est à propos, dit-il, de vous avertir d’une chose à laquelle personne ne songe ; peut-être même qu’elle vous paraîtra peu vraisemblable, quoiqu’au reste elle soit très véritable et que mon expérience, la pratique des anciens, l’utilité et la raison le prouvent : cette vérité surprenante, c’est que la lecture d’Homère est plus convenable à l’âge des enfants que la lecture des grands auteurs prosaïques108. […] Mais Mme Dacier avait pleinement raison lorsqu’en venant à la diction d’Homère, elle déclarait que ce qui l’avait le plus effrayée, c’était la grandeur, la noblesse et l’harmonie de cette diction dont personne n’a approché, « et qui, disait-elle, est non seulement au-dessus de mes forces, mais peut-être même au-dessus de celles de notre langue ». […] Cette personne honnête et probe croit à son lecteur, à son public, à l’affection qu’elle leur inspire, à l’intérêt que le monde témoigne pour la continuation et l’achèvement de son travail, à la compassion qu’il aura d’une interruption venue d’une cause si douloureuse ; elle se souvient de Cicéron pleurant sa fille Tullia, de Quintilien déplorant la perte d’un fils plein de promesses, et, tout en les imitant, elle verse de vraies larmes ; puis, en finissant, la mère chrétienne se retrouve et se soumet115.
La vie de ce poète original, à la fois grave et charmant, est des plus singulières, toute simple au-dehors et semée au-dedans d’écueils et de précipices ; il est arrivé à composer ses œuvres si morales et si attachantes par un chemin très détourné, très éloigné des voies communes, et qu’il n’eût conseillé à personne. […] Il est étonnant que personne n’ait songé à traduire, à extraire de là de quoi former deux volumes en français, qui seraient ce qu’il y aurait de plus neuf et de plus honnêtement récréant. […] Cowper, après de grandes perplexités, se détermina pour la place qui répond à celle de secrétaire archiviste, moins lucrative, mais où il jugeait qu’il n’aurait point à se produire en personne.