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1688. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Villemain, dans ses appréciations des écrivains et des poëtes, remarque souvent, et il en a le droit plus que personne, l’importance durable de ces jeunes et antiques études, de ces études qu’avaient, en se jouant, Racine et Fénelon, qui eussent si bien contenu et affermi le beau génie de Lamartine, que M. de Chateaubriand se donna à force de vouloir, mais que si peu ont le courage ou la ressource de réparer, et que doivent regretter avec larmes ceux qui en chérissent le sentiment et à qui elles ont fait faute. […] Un de ces inconvénients, c’est, en écrivant sur les auteurs ou en touchant certaines idées religieuses, sociales, d’être trop tenté de prendre les personnes ou les choses par leur surface embellie, par l’expression convenable et consacrée selon laquelle elles se produisent. […] Villemain, plus que personne en ce temps, possède les deux. […] il songe peut-être à trop de personnes en écrivant ; en voulant tout concilier, il se tient lui-même en échec, il s’émousse à dessein quelquefois.

1689. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

Avec moins de raisons de me tenir à l’écart que monseigneur l’évêque de Verdun, le sérieux de mon état me parais sait contraster avec cette gaieté habituelle, qui, au surplus, au dire de monsieur le curé de Saint-Roch, n’a jamais passé les bornes de la décence. » Nous aurons plus tard occasion de revenir sur cette indulgence du clergé et des personnes religieuses pour la malice innocente de Désaugiers, tandis qu’on était, au même moment, très en garde contre d’autres gaietés plus suspectes. […] De jeunes belles-sœurs observaient les nouveaux-venus avec un intérêt encore plus curieux qu’affectueux peut-être ; mais tout ce petit manége ne tint pas longtemps en face d’un hôte aussi imprévu ; on avait affaire en sa personne au plus irrésistible génie (le Genius des Anciens), à celui qui se rit de la contrainte et qui épanouit les fronts : « Quant à moi, écrivait Désaugiers racontant ce premier accueil et comment il avait rompu la glace, j’ai fait des prodiges, soit dit sans me flatter. […] Nous étions à chaque repas vingt personnes à table, et j’ai eu le talent de les faire toutes rire. […] Si la cause de la gaieté se perdait de plus en plus dans l’ensemble, il lui rendait l’avantage dès qu’il paraissait sur un point, et, comme ces foudres de guerre qui ne meurent qu’en triomphant, il ramenait la victoire partout où il était de sa personne. — Dans les repas de corps de la garde royale, il avait nom l’aumônier du régiment. — Sa maladie, une maladie bien cruelle, la pierre, interrompit à peine les saillies de sa vive et indulgente humeur ; il chansonna son mal comme toute chose, sans amertume et en lui pardonnant ; il fit en riant son épitaphe, sans y croire encore.

1690. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre IV. Services généraux que doivent les privilégiés. »

En 1717, une assemblée de soixante-quatorze personnes ayant été surprise à Anduze, les hommes vont aux galères et les femmes en prison. […] C’est un état-major en congé qui fait bombance et ne prend plus soin des sous-officiers ; vienne un jour de bataille, personne ne marche après lui, on cherche des chefs ailleurs. […] C’est son bien qu’il dissipe, et personne n’a le droit de lui demander des comptes. […] Selon d’Argenson134, en 1751, il a dans ses écuries 4 000 chevaux, et l’on assure que sa seule maison ou personne « a coûté cette année 68 millions », près du quart du revenu public.

1691. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXIXe entretien. Tacite (2e partie) » pp. 105-184

On n’exige de personne autant de modestie que de ceux qui étaient naguère nos égaux. […] La meilleure preuve que je puisse vous donner de la liberté réfléchie de ma résolution, c’est que je ne me plains de personne ; car maudire les Dieux ou accuser les hommes, c’est le signe d’un homme qui répugne à mourir et qui voudrait vivre encore. » Quelle grandeur de civisme, même dans ses vices, étale ce peuple romain ! […] « Les Dieux, comme pour mieux illuminer et convaincre le forfait, lui prêtèrent une nuit resplendissante d’étoiles, et assoupie par le calme complet de la mer. » XLI « Le navire, sur lequel Agrippine n’avait auprès d’elle que deux personnes de sa familiarité, n’était pas encore bien éloigné de la rive : l’une des deux, Crépérius Gallus, se tenait debout à côté du gouvernail ; l’autre, Acéronia, accoudée sur les pieds du lit de repos de sa maîtresse, à demi couchée, l’entretenait avec congratulation du retour de son fils et de sa tendresse qu’elle lui rendait tout entière, lorsqu’à un signal donné, le plafond de la chambre s’écroula tout à coup sous le poids du plomb dont il était alourdi. […] « Une faible lampe et une seule esclave veillaient dans sa chambre. » XLVII « Agrippine s’alarmait de plus en plus de ce que personne, pas même son messager Agérinus, ne venait de la part de son fils.

1692. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

Personne ne l’arrête pour lui tendre une main banale dans la foule, il parle à peu de passants ; mais quand il en rencontre par hasard un qu’il goûte ou qu’il aime, il revient sur ses pas, et il l’accompagne en sens contraire de sa route, comme quelqu’un à qui il est égal d’aller ici, ou là, et de perdre des pas ou du temps, pourvu qu’il ne perde rien de son cœur, de son esprit et de son goût pour ceux qui lui plaisent. […] C’est ainsi que je connus son nom, son talent et sa personne, et qu’à première vue je devins, à son insu, son ami. […] On murmure à voix basse que la beauté, le talent, la célébrité d’une femme d’exception, qui cache son nom comme il convient aux femmes de porter un voile dans la foule, ou aux Clorindes de revêtir une armure d’homme en combattant ; on murmure, disons-nous, que l’attrait d’esprit, le nom voilé, les éclats de célébrité de cette personne, ont fasciné d’un éblouissement désintéressé les yeux et l’âme de ce Platon de la solitude ; que, semblable à ces chevaliers dont la race et le sang coulent dans ses veines, il a senti le besoin de porter dans le cloître ou dans les combats une dame de ses pensées, et qu’il lui a voué ce qu’on appelle un culte, un servage, une foi chevaleresque, épurée de tout, hors de la joie de se dévouer ! […] Je n’en sais rien ; mais, histoire ou légende, il n’y aurait rien, dans un tel servage, qui ne fût de nature à dignifier la personne qui sut l’inspirer et le poète qui sut le subir comme une suzeraineté féodale du prestige sur l’imagination.

1693. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Elle fut reçue à Rome par le pape et par le cardinal-ministre Consalvi avec la distinction et la bonté qu’ils croyaient devoir à la personne d’une amie du défenseur de l’Église. […] LX Ainsi mourut Chateaubriand, sans qu’on pût dire pour qui il avait sérieusement vécu : nul ne perdit à sa mort, excepté le parti du talent, mais ce talent prodigieux n’avait été utile à personne. […] La religion vraie, la morale pure, la paix nécessaire entre les hommes sont au prix de cette franchise religieuse et tolérante qui laisse à chacun sa foi, sans prêter à personne des armes pour opprimer la foi d’autrui. […] Cela était d’autant plus nécessaire, que des affaires d’argent perdu dans des affaires de bourses étrangères avaient, disait-on, compliqué et aggravé des affaires de cœur entre M. de Chateaubriand et une des personnes, objet de ses nombreux attachements.

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