Je me suis écrié, et j’ai compris alors seulement cette phrase d’une lettre qu’elle écrivait l’an dernier, du fond de son Berry, à une personne de ses amies qui la poussait sur la politique : « Vous pensiez donc que je buvais du sang dans des crânes d’aristocrates ; eh ! […] C’est Marie qui a pensé à ce cantonnier. Marie pense à tout, s’avise de tout. […] Il commençait non seulement à le penser, mais à le dire tout haut et à s’embrouiller un peu : « Dites donc, laboureur !
Mais aujourd’hui, après seize années révolues, lorsque nous relisons l’ouvrage imprimé dans toute sa suite, en nous dégageant de tout souvenir complaisant et en nous interrogeant en toute liberté, que pensons-nous ? Ce que je pense ? […] À un endroit, parlant de la mort de La Harpe qui, malgré ses défauts bien connus, se convertit avant l’heure suprême, il lui est échappé de dire : « Il n’a pas manqué sa fin, je le vis mourir chrétien courageux. » C’est ainsi qu’il aurait dit de l’auteur dramatique : « Il n’a pas manqué son cinquième acte. » De tels mots, lâchés par mégarde, donnent fort à penser. […] J’ai pensé me casser le cou en voulant grimper sur une montagne… » Maintenant lisez dans les Mémoires le passage où il raconte ce pèlerinage à la fontaine : Pétrarque et Laure en ont tous les honneurs ; ce ne sont que citations de Pétrarque et hymnes à l’amant de Laure : « On entendait dans le lointain les sons du luth de Pétrarque ; une canzone solitaire, échappée de la tombe, continuait à charmer Vaucluse d’une immortelle mélancolie… » Le crime n’est pas bien grand, mais c’est ainsi que la littérature se met en lieu et place de la vérité première.
» Voilà ce qu’il pensait, et aussi ne s’épargna-t-il jamais le travail acharné de l’exécution. […] M. de Balzac, vous pensez donc… » De surprise et de joie elle fait un mouvement, elle laisse tomber le plateau de ses mains, et tout se brise. […] M. de Balzac a souvent pensé à Walter Scott, et le génie du grand romancier écossais l’a vivement excité, dit-il. […] Peut-être, sur la tombe d’un des plus féconds d’entre eux, du plus inventif assurément qu’elle ait produit, c’est l’heure de redire que cette littérature a fourni son école et fait son temps ; elle a donné ses talents les plus vigoureux, presque gigantesques ; tant bonne que mauvaise, on peut penser aujourd’hui que le plus fort de sa sève est épuisé.
Il n’est femme si belle, pense-t-il, qui ne soit indifférente à l’homme au bout d’un an de possession, ni laideur modérée qui ne se rende tolérable aussi avec le temps : l’essentiel, selon lui, est dans les mœurs, dans leur pureté comme dans leur douceur. […] Pasquier, avons-nous dit, pense, contrairement à plusieurs de ses contemporains, qu’il faut écrire en français ; mais ce français, où faut-il aller en puiser la naïveté et la pureté comme à sa source ? […] Il pense qu’il y a profit à entendre les gens de divers métiers, militaires, veneurs, financiers, et jusqu’aux simples petits artisans. […] Louis XIV asservit le Parlement, Louis XV le craignit : « Vous ne savez pas ce qu’ils font et ce qu’ils pensent, disait-il à ses intimes, c’est une assemblée de républicains… » À ce moment, la théorie en question, qui avait besoin d’une condescendance, d’une confiance et d’une foi réciproque, cette théorie où il entrait, on l’a vu, je ne sais quelle illusion platonique, était totalement perdue ; il n’y eut plus après que de grands et beaux noms qui jusqu’à la fin, et en présence de l’échafaud, attestèrent les races généreuses.
J’ai souvent pensé à ce qu’il était, en me reportant à ce qui nous avait manqué à l’heure propice, et j’en puis aujourd’hui parler, j’ose le dire, dans un sentiment très vif et très présent. […] Il reprend la loi de Malherbe et la remet en vigueur ; il l’étend et l’approprie à son siècle ; il l’apprend à son jeune ami Racine, qui s’en passerait quelquefois sans cela ; il la rappelle et l’inculque à La Fontaine déjà mûr63 ; il obtient même que Molière, en ses plus accomplis ouvrages en vers, y pense désormais à deux fois. […] Supposez Boileau revenant au monde au milieu ou vers la fin du xviiie siècle, et demandez-vous ce qu’il penserait de la poésie de ce temps-là ? […] Boileau était plus hardi et plus neuf que ne le pensaient, même les Andrieux.
Je rougis mille fois par jour de ces infiniment petits monuments qui sont dans notre infiniment petit Cabinet des antiques ; je rougis de l’avoir montré aux étrangers : qu’auront-ils pensé de l’intérêt que je prenais à tous ces bronzes de 7 à 8 pouces de hauteur, à ces deux ou trois têtes mutilées dont je voulais leur faire admirer la grandeur et la rareté ? […] Elle réfléchissait dans un âge où l’on commence à peine à penser… L’abbé Barthélemy a peint en mainte occasion Mme de Choiseul ; il l’a placée, elle et son mari, sous les noms de Phédime et d’Arsame dans le Voyage du jeune Anacharsis : « Phédime discerne d’un coup d’œil les différents rapports d’un objet ; d’un seul mot, elle sait les exprimer. […] Elle varie quelquefois sur lui ; le fond de son jugement, c’est que l’abbé Barthélemy est véritablement attaché à Mme de Choiseul : « Et c’est un homme tel qu’il le faut pour une compagnie journalière. » Aux heures de mécontentement et de méfiance, elle le soupçonne d’être peu sincère, et, à propos de je ne sais quelle tracasserie entre elle et les Choiseul, elle écrira à Walpole : « Je vous ai dit que je vous parlerais de l’abbé ; je pense qu’il est Provençal, un peu jaloux, un peu valet, et peut-être un peu amoureux. » Elle écrivait cela en 1770, c’est-à-dire quand l’abbé Barthélemy était déjà uni aux Choiseul par une liaison qui datait de près de quinze ans ; l’extrémité de son soupçon ne va pas au-delà, et on ne voit pas même qu’à part deux ou trois lettres qui sont du même moment, elle y soit jamais revenue depuis. […] Pendant le ministère du duc de Choiseul, les pensions, les bénéfices, les sinécures, ne cessèrent de pleuvoir sur lui, au point de lui faire à un moment un revenu total annuel d’environ 40 000 livres.