Je n’ai rien dit d’un jeune peintre, M. […] Ouvrez au hasard les histoires et les biographies ; prenez, dans les récits du passé qui sont venus jusqu’à nous, la vie d’un général d’Athènes, d’un tribun de Rome, ou d’un peintre de Florence ; au milieu des contradictions sans nombre, parmi les inconciliables démentis dont se compose cette vérité prétendue, si difficile à établir, et vraie de tant de manières, un seul point, j’en suis sûr, vous aura frappé, comme moi, par l’harmonieuse unanimité des témoignages ; c’est que, dans la vie antique aussi bien que dans la vie moderne, il est arrivé rarement aux esprits d’élite, aux hommes choisis et prédestinés, de rencontrer du premier coup la route qu’ils doivent suivre, hors de laquelle il n’y a pour eux ni gloire, ni bonheur, ni force, ni enthousiasme. […] Il faut l’exagérer à propos, se conduire enfin comme font les peintres et les statuaires, comme faisaient Rubens et Michel-Ange, laisser dans l’ombre les traits les moins importants, et porter sur ceux qu’on veut montrer, un jour éclatant et impossible, s’il le faut. […] Tacite lui-même, grand peintre, grand philosophe, grand poète, dans ses annales et ses histoires, n’aurait pas envisagé la biographie romaine de même façon, si Rome avait eu un théâtre national, et s’il eût voulu lutter avec Sophocle au lieu de lutter avec Thucydide : il aurait étudié d’un autre œil Tibère et Néron, Claude et Agrippine.
Il vous dira, par exemple, que Molière est le peintre d’une société disparue, ce qui peut se soutenir à la rigueur ; mais la raison en est singulière. […] Voilà ce que fut Stendhal comme théoricien littéraire, un réaliste sans le bien savoir, un amoureux de psychologie et un adorateur de Shakespeare considéré comme peintre des passions ; d’autre part, un homme parfaitement fermé à toute poésie et même à toute haute éloquence, et ne voyant dans l’une et dans l’autre qu’insupportable déclamation ; d’autre part enfin, un homme de perspicacité très bornée quand il examinait la littérature de son temps, au point de faire, quand il en parle, les mélanges et les conflits les plus étranges de contresens et de non-sens. […] C’est plutôt, comme bien on pense, feindre de peindre devant lui ; car Sainte-Beuve ne tâtonne pas véritablement ; et il sait, en commençant son article, le chemin par où il veut passer ; mais ce procédé, qui donne au lecteur la sensation d’assister au travail du chercheur et de l’artiste, cette demi-confidence des hésitations par où le peintre, sinon passe, du moins a passé, ce procédé qui du reste n’est qu’à demi un procédé, et où il entre encore beaucoup de vérité, est un milieu juste entre l’art et le naturel, entre le trop d’art et le trop de naturel, et cela même est l’art même.
Elle semble imaginaire, mais c’est que la vérité observée par le peintre d’Urbino n’est point celle des choses purement matérielles ; c’est le domaine des sentiments, c’est une région où les formes et les couleurs sont transfigurées par la lumière de l’amour. […] La Renaissance et Walter Pater Walter Pater, qui pensait être d’origine française et descendre du célèbre peintre Jean-Baptiste Pater, de Valenciennes, concitoyen et disciple de Watteau, est un des écrivains les plus marquants de l’Angleterre contemporaine. […] Non certes que celui-ci ne soit pas un grand peintre, mais il n’est guère que cela, tandis que Léonard est un génie universel, et peut-être le plus prodigieux qu’on ait encore vu parmi les hommes. […] Malgré les prodigieuses indications de ses notes hiéroglyphiques, Léonard, comme producteur, demeure surtout un peintre ; Goethe s’est intéressé à tout, excepté, de son propre aveu, aux questions religieuses qu’il dédaignait, mais son œuvre scientifique n’est pas comparable à celle de Pascal.
Et, autour d’Ellida, de Wangel et de « l’étranger », se meuvent des figures plus familières et concrètes : Ballested, ancien comédien, peintre, cicerone et maître à danser, un bohème mélancolique ; Lyngstrand, un malade, un mourant comme il y en a tant dans ce théâtre, sculpteur de son état, et qui, secoué d’une toux mortelle, rêve de gloire et d’avenir ; et la petite Hilda que Wangel a eue de son premier mariage, et qui souffre de ne pas être aimée de sa jeune belle-mère (rassurez-vous ; Ellida, son équilibre retrouvé par sa responsabilité reconquise, se met tout de suite à aimer les enfants de son vieux mari) ; et la sœur de Hilda, la charmante et raisonnable Bolette, qui, elle aussi, a ses chimères, mais qui y renonce librement en mettant sa main dans celle du sérieux et dévoué Arnholm, son ancien professeur ; et dont le cas (par un parallélisme familier à Ibsen) nous présente, en regard de l’union irréfléchie et non entièrement volontaire de Wangel et d’Ellida, les vraies conditions d’un mariage rationnel… Le tout est d’un charme bizarre et comme lointain, et qui cependant pénètre peu à peu, avec peut-être des lenteurs et des langueurs qui n’ennuient pas, mais qui bercent… J. […] Déjà, dans l’Ingénue, il avait accommodé à la moderne l’intrigue classique de l’Amour peintre et de l’Amour médecin. […] Elle a pris pour amant un ami de son mari, un beau gars, Laurent, employé dans un ministère et peintre amateur à ses moments perdus.
Ce peintre indigné des vices de la noblesse de l’ancien régime, aurait été tout droit, et du premier bond, à celui-là même qui les représentait tous et dont le palais en était le plus éclatant et le plus scandaleux rendez-vous ! […] » — Il faut que les artistes qui auront été reconnus par les bons patriotes comme intimement liés avec les artistes contre-révolutionnaires ci-dessus nommés (Fabre et un autre) soient regardés comme « suspects et déclarés incapables de remplir aucun emploi de la République ». — Il faut que « le nommé Gauffier, continuant à rester à Florence peintre en titre de l’infâme lord Hervey, ministre d’Angleterre et protégé par le soi-disant prince Auguste et par ses rapports avec l’aristocratie cardinalesque de Bernis (ambassadeur de France à Rome, révoqué en 1791 ; mais resté à Rome), le tableau de Gauffier soit descendu ou qu’il soit tourné vers la muraille »… — Il faut que « Desmarais, émigré à Pise, Tierce, émigré à Livourne, gens intimement liés avec Corneil, Fabre, Gagneraux l’aîné, Gauffier et plusieurs autres, et plusieurs artistes encore qui semblent balancer entre l’émigration et la rentrée dans leur patrie, aient deux mois pour fixer leur irrésolution, après lequel temps ils seront regardés comme émigrés et mis hors la loi ». — Il faut que les artistes traîtres émigrés, formellement reconnus comme tels, et ce sont Laffite, Meynier, Gois fils, Michalon, Daudrillon, Moinet, Varon, Deburc, Girard et Bidau fils, « voient leurs noms envoyés à leur département respectif pour y être inscrits officiellement sur la liste des émigrés ». […] Elle méprisait la peinture de genre ; et sans aller, comme ce furibond de Wicar, jusqu’à demander pour eux la guillotine, elle répondait aux peintres de genre et aux peintres de fleurs qui sollicitaient leur part des travaux commandés par la Convention, « qu’ils étaient des artistes de pure fantaisie et que les encouragements de la nation ne devaient être réservés qu’à ceux qui, par leur crayon et les sujets qu’ils représentent, peuvent affirmer notre Révolution en propageant les belles actions et les vertus ».
En sorte que les vrais peintres de la régence, qui nous en font sentir l’ivresse emportée, sont ceux qui firent Le Légataire, Le Chevalier à la mode, et Turcaret, avant la régence.