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545. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Charles Didier » pp. 215-226

La passion y parle encore une langue brûlante, mais purifiée. Seulement l’originalité et le sens de ce petit roman, digne d’être publié à part, ne sont pas dans la passion criminelle du pasteur protestant et dans les détails de sa chute ; ils sont dans la situation de cet homme supérieur, dont le cœur est dévoré, les sens enivrés, mais dont, malgré ces tumultes, la haute raison touche au génie, et qui succombe, entraîné par la nature humaine, parce que son Église, à lui, ne l’a pas gardé, en faisant descendre dans sa vie la force de l’irrévocable ! […] Jamais l’art et la passion du conteur ne se sont unis à plus de profonde vérité.

546. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Cet état convient mieux au pécheur qui va se régénérer ; il va plus mal au poète, qui doit toujours marcher simple et le front levé, à qui il faut l’enthousiasme ou les amertumes profondes de la passion. […] Il est aisé de voir qu’un sentiment indécis entre la passion tempérée par le respect et l’amour innomé, le rêve triste de l’âme, sera l’accent de votre vie ; ce spiritualisme passionné, mais muet, comprenant le bonheur des autres, mais sans le profaner ou l’envier. […] Cette faute de mon Raphaël fut la faute de votre Volupté : l’homme est double, mais ce n’est pas dans le même moment ; la passion n’est vraie qu’à la condition d’être simple. […] Il semble avoir eu dans sa jeunesse des passions vives auxquelles ces imperfections naturelles purent mettre des obstacles. Ainsi des chagrins de famille, le goût des champs, un amour-propre en souffrance et des passions non satisfaites s’unirent pour lui donner cette rêverie qui nous charme dans ses écrits.”

547. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Mais la passion se reste fidèle à elle-même, et Elisabeth refuse jusqu’à la commisération de cet attachement, si touchant qu’il soit. […] Encore ces fleurs, un peu maladives, du génie grec, les tragédies d’Euripide : « Vos dieux sont en vos âmes : ils sont les cruelles passions, détruisant l’équilibre salutaire des besoins : voyez les effets de ces maux ; tenez Hermione et Phèdre pour les images de vos passions. »   Mais à cette race exemplaire de dialecticiens ni le récit ni le drame ne pouvaient suffire longtemps : ils exigeaient une vie toute de notions pures, bellement enchaînées : ils exigeaient la forme du roman dialectique. […] Leurs passions ne relèvent point de causes sensibles : mais ils les vivent si intensément que je ne sais point d’œuvres plus réalistes, ou plus belles. […] Voudra-t-il, ainsi préparé, nous donner bientôt une œuvre de vie totale, et moins constamment occupée aux cruelles passions ; tenant un meilleur compte des idées sensibles, qui causent les conflits de motifs, et qui en résultent ? […] Malten (Brünnhilde) a une voix superbe et joue avec passion ; Gudehus (Siegfried) nous a surtout plu, il cherche à éviter tout ce qui est tradition d’opéra, et joue simplement et noblement.

548. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Elle y a, au milieu des ardeurs de la passion sincère, ces concetti, ces batteries de mots qui sont de la passion encore, et que les pédants n’en croient plus. La passion, la pauvre passion humaine, qui n’a jamais assez de ce qu’elle désire, retord bien souvent son langage comme ses cheveux, pour se faire parure, pour être plus belle et plus aimée, et met des efforts de cœur insensé dans ces concetti trop condamnés, qui ne sont pas toujours, ainsi qu’on ledit, des affectations. […] Il pouvait très bien avoir cette passion anglaise de la famille qui fera encore longtemps de l’Angleterre une chose solide et grande. […] Balzac l’intérêt de la vie actuelle et l’intérêt aussi de la passion fouillée et épuisée dans le cœur de l’homme où l’on va la chercher, quel qu’il soit ! Entre cet imbécille de Père Goriot, ce vermicellier grotesque, que nous avons tous coudoyé, et le Roi Lear, ce majestueux chef de clan, Balzac a fait une équation prodigieuse, — l’équation de la radoterie, de la passion et de la douleur !

549. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Cela donnait l’air fatal, byronien, giaour, dévoré par les passions et les remords. […] quelle passion voilée et contenue ! […] La passion brûlante de la pièce avait incendié tous les cœurs. […] comme elle semblait à son aise dans cette grande passion et dans ce grand style ! […] C’était là de la vraie terreur, de la vraie passion, du vrai drame.

550. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Pourtant aucune mauvaise passion ne s’y mêla, et s’il fut de ceux, comme il en convint ensuite, qui contribuèrent à trop énerver et à trop désarmer le pouvoir, il n’eut jamais l’intention de désorganiser l’ordre et la société. […] Accusé à l’instant même par les violents de la Commune, comme plus tard par ceux du parti opposé, il dut se livrer à une apologie qui a perdu de son intérêt avec les passions qui l’avaient rendue nécessaire. […] Jamais il n’abjura le fonds d’idées de 1789 ni la conquête de certains résultats civils, politiques, auxquels sa raison ne pouvait renoncer ; il continua d’être le citoyen résolu d’une société sans privilèges : mais il devint plus méfiant dans sa poursuite du mieux ; sa logique, inflexible apprit à connaître les obstacles, les limites ; il ne fit plus abstraction de la nature et des passions des hommes dans cet art social qui s’applique avant tout aux hommes mêmes, qui opère sur eux et par eux. […] Il y avait des écrivains et des orateurs pour toutes les opinions, pour toutes les passions démocratiques ; les écrits, les harangues s’envoyaient du midi au nord et du nord au midi. […] Il s’était élevé en France une multitude d’hommes d’une éloquence forte et barbare, tels que notre fabuliste nous représente le Paysan du Danube, qui avaient bien mieux découvert que les orateurs des Assemblées nationales les voies de la persuasion et de l’entraînement, qui entraient bien plus avant dans les pensées, dans les passions, dans les préjugés, dans les intérêts imaginaires ou réels des dernières classes du peuple, qui sont les plus nombreuses.

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