Il s’échangeait bien des vérités et des hardiesses entre lui et ses familiers, à travers son whist, dans cet hôtel de la rue Saint-Florentin qui allait bientôt devenir le quartier général d’une révolution ; et ce qui s’était dit là, on ne craignait plus en sortant de le répéter, de le glisser à l’oreille de tous les hauts personnages (et ils étaient nombreux) qui ne donnaient point alors dans les partis désespérés. […] Talleyrand, qui avait déjà pensé aux Bourbons, mais qui n’eût point été fâché sans doute de ne pas en être réduit à leur merci, et qui aurait pu favoriser encore une combinaison de régence, prit alors son parti, et en quittant la salle du Conseil, clopin clopant, il dit au duc de Rovigo ces mémorables paroles où le bon sens, d’un air de négligence, se donne à plaisir tous ses avantages : « Eh bien ! […] Maintenant quel parti prendre ? […] Il a été là-dessus attaqué par les deux partis opposés, bonapartiste et royaliste, et de ce dernier côté presque autant que de l’autre.
Il y a deux manières d’aborder Carrel, même en ne portant dans cette étude aucune préoccupation de parti ni aucune passion politique. […] Prenez-le à l’autre extrémité de sa carrière : il est dans les bureaux du National, c’est au lendemain ou à la veille de quelque journée de parti ; on lui annonce une députation de citoyens ; l’un d’eux entre et débute brusquement : « Citoyen Carrel, nous… » — « Donnez-vous la peine de vous asseoir, messieurs », dit froidement Carrel avec une politesse marquée […] Un homme sage, mêlé autrefois à ces guerres de parti, m’indique avec précision le point de conscience resté un peu sensible chez Carrel, et en même temps les circonstances qui triomphèrent de son scrupule. […] Sautelet, qui avait pris le même parti et qui y persévérait, ayant recueilli en 1829 les Œuvres complètes de Paul-Louis Courier, demanda à Carrel une notice qui est un des bons morceaux de la littérature critique de cette époque.
Mais, après avoir ainsi conclu en un trait qui rappelle Shakespeare et qu’aurait envié Schiller, il prolonge sa pensée, et il l’aurait gâtée si elle pouvait l’être : « On connut bientôt après, ajoute-t-il, qu’un mort ne mord point, et que l’affection des hommes ne regarde point ce qui n’est plus. » Ainsi donc, il faut en prendre son parti avec Richelieu et s’attendre à du mauvais goût, à des longueurs, à des métaphores souvent heureuses et grandes, souvent aussi hasardées et désagréables. […] On a un tableau ironique comme en aurait pu tracer un Philippe de Commynes, et il le termine par ces considérations si dignes de lui, de l’homme resté, en tout temps, royal : Je reconnus en cette occasion que tout parti composé de plusieurs corps qui n’ont aucune liaison que celle que leur donne la légèreté de leurs esprits…, n’a pas grande subsistance ; que ce qui ne se maintient que par une autorité précaire n’est pas de grande durée ; que ceux qui combattent contre une puissance légitime sont à demi défaits par leur imagination ; que les pensées qui leur viennent, qu’ils ne sont pas seulement exposés au hasard de perdre la vie par les armes, mais, qui plus est, par les voies de la justice s’ils sont pris, leur représentant des bourreaux au même temps qu’ils affrontent les ennemis, rendent la partie fort inégale, y ayant peu de courages assez serrés pour passer par-dessus ces considérations avec autant de résolution que s’ils ne les connaissaient pas. […] Mais pour ceux qui voudraient tirer parti contre notre nation de ses paroles, ajoutons que, selon lui, cette légèreté française porte souvent son remède en elle-même ; car, si elle nous jette souvent dans des précipices effroyables, elle ne nous y laisse pas, « et nous en tire si promptement, que nos ennemis, ne pouvant prendre de justes mesures sur des variétés si fréquentes, n’ont pas le loisir de profiter de nos fautes ». […] Devant Montauban, par exemple, Luynes a trop compté sur une intelligence qu’il a pratiquée avec un traître du parti.
Et quelques mois après, marquant avec orgueil le jour de Marignani, elle écrit dans le transport de son cœur : Le 13 de septembre, qui fut jeudi, 1515, mon fils vainquit et défit les Suisses auprès de Milan ; et commença le combat à cinq heures après midi, et dura toute la nuit, et le lendemain jusques à onze heures avant midi ; et, ce jour propre, je partis d’Amboise pour aller à pied à Notre-Dame-de-Fontaines, lui recommander ce que j’aime plus que moi-même, c’est mon fils, glorieux et triomphant César, subjugateur des Helvétiens. […] Les imprudents du parti avaient mis le feu aux poudres avant l’heure. La bonne et loyale Marguerite, qui ne connaissait rien aux partis, et qui n’en jugeait que par les honnêtes gens, par les hommes de lettres de sa connaissance, penchait à croire que ces vilains placards étaient du fait, non des protestants, mais de ceux qui cherchaient prétexte à les compromettre et à les persécuter. […] Ce curieux investigateur ayant recouvré le livre de dépenses, tenu par Frotté, le secrétaire de Marguerite, en a tiré tout le parti possible et en a fait aisément ressortir la preuve journalière de l’humeur bienfaisante et de la libéralité inépuisable de la bonne reine.
Trois sortes de journaux, qui ne paraissaient pas destinés par leur nature à se faire écho l’un à l’autre, se signalent par plus d’acharnement contre ce qui porte mon nom : Un journal d’exagération religieuse, qui donnerait la tentation d’être impie si l’on ne respectait pas la piété jusque dans les aberrations du zèle ; Les revues et les journaux des partis de 1830, qui ne pardonnent pas leurs revers à ceux qui ont préservé la France et eux-mêmes des contrecoups de leur catastrophe ; Enfin un journal de sarcasme spirituel, à qui tout est bon de ce qui fait rire, même ce qui ferait pleurer les anges dans le ciel : la dérision pour ce qui est à terre. […] Est-ce que ce Cours familier de Littérature, ouvrage essentiellement neutre et étranger aux querelles du temps, ne laisse pas scrupuleusement en dehors toutes ces questions inviolables de conscience et toutes ces questions irritantes de partis qui ne sont propres qu’à distraire, hors de propos, la jeunesse de l’étude des belles œuvres de l’esprit humain ? Est-ce que, pendant le peu de jours où la nécessité, et non l’ambition, nous donna un rôle politique, nous avons abusé des circonstances, de la popularité et de la force, par quelques-uns de ces sévices, contre les partis ou contre les personnes, qui laissent dans les cœurs de justes et implacables ressentiments ?
Lettrés, chauvins, famille, partis, tout le monde nous pousse à défigurer, affadir, embellir les traits de nos écrivains immortels, et nous harcèle, si nous y résistons. […] Car s’il n’y a pas une science allemande, une science française, une science belge, mais la science, la même et commune pour toutes les nations, encore moins y a-t-il une science de parti, une science monarchiste ou républicaine, catholique ou socialiste. […] Car l’acceptation d’une même discipline établit une communion entre des hommes de tout parti et de toute croyance.