Voici le passage dans lequel il parle du mariage de Mlle Soymonof (c’était le nom de famille de Mme Swetchine), âgée pour lors de dix-sept ans, et du choix que son père fit pour elle du général Swetchine, protecteur encore plus qu’époux : « C’était un homme d’une taille élevée et d’un aspect imposant, d’un caractère ferme, droit, d’un esprit calme et plein d’aménité. […] La jeune Sophie accueillit ce choix comme tout ce qui venait de son père, avec une affectueuse déférence. […] L’épouse elle-même ne put les ignorer, mais elle leur imposa silence, et lorsque le jeune Strogonof se fut résigné à un autre mariage, Mme Swetchine devint l’amie la plus sûre et la plus fidèle de sa femme. » S’il est vrai qu’il y eut une lutte dans le cœur de la jeune fille, et un sacrifice pénible à consommer pour obéir à la décision de son père, si cet amer mécompte, ce renoncement au bonheur dans le mariage, en flétrissant du premier jour l’avenir, la jeta par volonté et de parti pris dans les voies austères du devoir et de la résignation en Dieu, il est impossible d’en rien découvrir dans ce passage du livre de M. de Falloux. […] Jamais on ne me fera croire que je n’éprouverai rien de plus en rencontrant l’âme de mon père que celledu Chinois avec lequel je ferai peut-être le grand voyage. […] Au fond il y avait bien à l’Abbaye quelque légère ironie pour la science théologique de la rue Saint-Dominique et pour la connaissance approfondie qu’on y avait des Pères et des Conciles.
Il en était sorti en 1570, à l’âge de trente-sept ans, et avait déposé sans regret la robe pour reprendre l’épée de ses pères. […] Dès son arrivée, il se déchiffra donc fidèlement et se détailla tel qu’il était ou croyait être à MM. de Bordeaux, « sans mémoire, sans vigilance, sans expérience et sans vigueur, sans haine aussi, sans ambition, sans avarice et sans violence. » C’était en grande partie en souvenir de son respectable père et en reconnaissance des services autrefois rendus par lui à la ville, qu’ils l’avaient élu. Montaigne aimait et admirait fort son père, « l’âme la plus charitable et la plus populaire qu’il eût connue. » Mais lui, il n’est point tel ni débonnaire de nature et d’humeur à ce degré ; il n’est point disposé à être, comme son père, perpétuellement agité et tourmenté des affaires de tous ; il confesse ne pouvoir le suivre et l’égaler en cela ; il n’est pas homme à se jeter à tout moment, comme un Curtius, dans le gouffre du bien public. […] Il ne tient qu’à nous, à le voir errant à la tête de sa petite tribu et cherchant pour elle les gîtes les plus sûrs, de louer en lui un bon et courageux père de famille qui sut remplir tous ses devoirs envers ceux dont le salut lui était plus particulièrement confié.
Étienne Pivert de Sénancour, né à Paris, en novembre 1770, d’un père contrôleur des rentes, semble avoir eu une enfance maladive, casanière, ennuyée. « Une prudence étroite et pusillanime dans ceux de qui le sort m’a fait dépendre a perdu mes premières années, et je crois bien qu’elle m’a nui pour toujours. » Et ailleurs : « Vous le savez, j’ai le malheur de ne pouvoir être jeune. […] Tendrement aimé de sa mère, près de laquelle il dut trouver un asile contre l’exigence d’un père absolu, il a rappelé souvent avec la vivacité des premiers prestiges les promenades faites en sa compagnie (aux vacances probablement) dans la forêt de Fontainebleau. […] Immédiatement après le collége, en juillet 89, le père de M. de Sénancour, sans prétendre engager l’avenir de son fils, exigeait impérieusement qu’il passât deux années au séminaire de Saint-Sulpice. […] Il la perdit, ainsi que son père, vers 1796. […] Dans le nombre des pages admirables qu’il nous plaît de nommer de grandes élégies, nous noterons celles des Deux Pères, celles de la Brouette, de la Bibliothèque, du Goûter de Fraises, de la Femme qui chante vers quatre heures, etc., etc.
Vous avez dit ses commencements, ses viriles origines, cette nature pleine d’énergie, tenant, par son père, aux races sérieuses et obstinées de l’Ouest, par sa mère, à l’ardente et forte complexion des populations protestantes des Cévennes. […] Littré père garda, sous l’Empire et la royauté constitutionnelle, le culte de la Révolution. […] Littré père avaient au moins quelque mérite à l’être ; car ils étaient deux (deux qui valaient, certes, à eux seuls tous ceux qu’on a plus tard vus éclore), son fils d’abord, puis l’intime ami de son fils, celui à qui je dois ces détails, notre respecté confrère M. […] Littré père professait sans réserve les principes de l’école française du XVIIIe siècle. Devenu père de famille, il eut un scrupule touchant.
La première fois que cette voix se fit entendre à elle, c’était en la saison d’été, sur l’heure de midi, tandis qu’elle était dans le jardin de son père. […] Cette idée aventureuse, qui tentait Jeanne, de s’en aller guerroyer en France, avait transpiré malgré elle, et déplaisait fort à son père, honnête homme et de bonnes mœurs, qui disait qu’avant d’être témoin d’une telle chose, il aimerait mieux voir sa fille noyée, ou la noyer de ses propres mains. […] Robert la reçut d’abord très mal et la rudoya : « Il fallait que son oncle, disait-il, la ramenât chez son père et lui donnât des soufflets. » Mais, sur l’insistance de la jeune fille, sur la netteté et la vigueur de son attitude et de son dire, et la voyant décidée à partir malgré tout, il finit par être vaincu. […] La chaumière de son père touchait de près à l’église. […] » Et elle répondit : Où il plaira à Dieu, car je ne suis pas plus assurée du temps ni du lieu que vous ne le savez vous-même ; et plût à Dieu, mon Créateur, que je me pusse retirer maintenant, laissant là les armes, et m’en aller pour servir mon père et ma mère, en gardant leurs brebis avec ma sœur et mes frères, qui auraient grande joie de me voir !
Il avait laissé un grand nombre de manuscrits : on avait dit d’abord « que M. de Secondat, son fils, vers la fin de 1793, lorsque le sang commençait à couler à Bordeaux, avait jeté au feu les papiers et manuscrits de son père, dans la crainte qu’on ne vînt à y découvrir des prétextes pour inquiéter sa famille ». […] Le peu de notes qu’on a publiées de lui, et où il fait son portrait, ont donné à sa physionomie une vie et un naturel qui est mieux que de la majesté : « Plutarque me charme toujours, disait-il ; il y a des circonstances attachées aux personnes qui font grand plaisir. » Né le 18 janvier 1689, au château de La Brède, près de Bordeaux, il sortait d’une famille de robe et d’épée, de bonne noblesse de Guyenne : « Quoique mon nom ne soit ni bon ni mauvais, disait-il, n’ayant guère que deux cent cinquante ans de noblesse prouvée, cependant j’y suis attaché. » Son père, qui avait servi, après s’être retiré de bonne heure, soigna fort son éducation ; le jeune Montesquieu fut destiné à la magistrature. […] Il rencontre un jeune homme appelé Robert, qui n’a rien du ton ni des manières d’un marinier : ce jeune homme, tout en se promenant et en ramant, lui apprend qu’il ne fait ce métier que les fêtes et dimanches, et qu’il le fait pour tâcher d’amasser de quoi racheter son père emmené prisonnier par un corsaire et pour lors esclave à Tétouan. Montesquieu s’informe de tout avec précision, quitte le jeune homme en rentrant au port, et, quelques mois après, le père, délivré, est de retour dans sa famille, sans savoir d’où le secours inespéré lui est venu. […] Un ou deux ans après, le jeune homme qui sent bien que c’est à l’inconnu qu’il doit la délivrance de son père, le rencontre sur le port, se jette à ses pieds avec effusion, en le bénissant, en le suppliant de se laisser reconnaître et de venir voir les heureux qu’il a faits.