/ 2639
718. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

On a reproché à Boileau des jugements qui ne sont pas toujours dictés par la justice et le bon goût : il a méconnu le Tasse et Quinault ; il oublie la Fontaine avec la fable1. […] Aristote se proposait, ainsi qu’il l’annonce dès les premières lignes de son ouvrage, de s’occuper de la poésie en général, et il comptait surtout traiter des trois genres principaux : la tragédie, le poème épique et la comédie, sans oublier quelques genres secondaires, et notamment le dithyrambe. […] Mais s’il est des questions qu’on peut laisser dans l’ombre, soit qu’on les dédaigne, soit qu’on les oublie, ce ne doit jamais être que des questions secondaires. […] Et s’ils en ont une, pourquoi l’a-t-on oubliée dans des systèmes qui ont la prétention d’expliquer l’âme tout entière ? […] Sans doute, c’est une grande chose de fonder la science, de lui assurer le caractère qui lui est propre, de l’ordonner dans ses parties principales, de décrire exactement quelques-uns des faits qui la doivent composer ; et ce serait de l’ingratitude que d’oublier de tels services.

719. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Oublié du roi, sans ressources, il accepta la place de secrétaire et d’aumônier de lord Berkeley, nommé à de hautes fonctions en Irlande. […] Swift, qui ne vit jamais dans la religion qu’une partie importante de la politique, était porté à oublier qu’elle était considérée par un grand nombre de personnes comme une institution divine, en dehors et au-dessus de la politique. […] On se plaint de l’observation du dimanche, mais on oublie l’utilité des églises pour les marchés, les rendez-vous d’affaires et d’amour, et surtout le sommeil. […] Nos misères mêmes qui sont le fond de ce livre, y sont moins exagérées que séparées de tout ce qui, dans le monde, les atténue au point de les faire parfois oublier. […] Le roi d’Angleterre, sa femme, sa maîtresse, oublièrent parfaitement le bon accueil que Swift avait reçu du prince de Galles, et ce fut la dernière déception du doyen de saint Patrick.

720. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Le géant de l’autre siècle est un nain, à cette heure, pendant que ce pauvre homme oublié, méconnu, méprisé, brille, à cent ans de distance, d’une gloire incontestée. […] Ils avaient oublié l’art des gradations ! […] — Ce seul mot : la Charte (mot oublié, anéanti : fabulæ que mânes ! […] Honneur à la durée en toutes choses ; elle est venue en aide à bien des rois tout-puissants ; elle a manifesté plus d’un grand écrivain qui serait mort oublié, s’il n’avait pas combattu, durant quarante ans, sur la même brèche. […] Est-ce vivre, en effet, que de passer à l’état d’une langue morte, d’un chef-d’œuvre oublié, d’une curiosité littéraire ?

721. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

Mais quand il tient Paul, Jean et Jacques pour des êtres semblables à lui, pourvus d’une conscience comme la sienne, il oublie réellement sa physique ou profite de l’autorisation qu’elle lui laisse de parler dans la vie courante comme le commun des mortels. […] On oubliera que simultanéité et succession sont devenues alors conventionnelles, qu’elles retiennent uniquement de la simultanéité et de la succession primitives la propriété de correspondre à l’égalité ou à l’inégalité des deux trajets P et Q. […] Car nous ne devons pas oublier que le train et la voie sont en état de déplacement réciproque. Certes, Einstein ne l’oublie pas non plus quand il s’abstient de dessiner des flèches le long de la voie ; il indique par là qu’il choisit la voie comme système de référence. […] Qu’on s’y rallie, je le veux bien ; mais il ne faudra pas oublier que c’est une métaphysique, et une métaphysique fondée sur des principes qui n’ont rien de commun avec ceux de la Relativité.

722. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Pour ceux qui l’ont un peu oublié, je rappellerai que cette reine Nantechild était une des femmes de Dagobert Ier, et sa statue se voit à Saint-Denis sur le tombeau de ce roi mort en 638 ; cette statue n’est pas (bien entendu) de l’époque mérovingienne, mais paraît être de la première moitié du XIIIe siècle. […] Cela fait et ce terme de son ambition atteint102, il ne se hâta plus ; il aima mieux amasser, augmenter sans cesse la riche matière des volumes suivants que de se presser de les réunir ; il s’y oublia un peu, et plus tard, quand il songea à lier sa gerbe, il n’en eut ni le temps ni la force ; il était trop las. […] Il faut se garder d’oublier son Histoire des Marionnettes (1852), qui promet pourtant un peu plus qu’elle ne tient. […] Sa vie à lui-même était tout ordonnée et ménagée par rapport à ses fonctions de bibliothécaire et d’écrivain ; désirant couper sa journée de la manière la plus favorable à ce double emploi, il s’était arrangé pour dîner vers trois heures et demie, à l’heure où il se trouvait libre et débarrassé du public ; son dîner fait, le plus souvent chez lui, dîner frugal et fin, qu’il faisait suivre d’un petit tour de promenade solitaire au Palais-Royal, il rentrait, se remettait à l’étude : il recommençait sa journée, et là c’était un travail incessant, minutieux, méthodique, sans fureur et sans verve, mais non sans un charme infini : une citation dix fois reprise et vérifiée, une diligente comparaison de textes, un rapprochement piquant, une date ressaisie, une œuvre d’hier rattachée à une pièce ancienne oubliée, à une chronique vieillie, une page de son texte à lui, recopiée, remise au net pour la troisième ou quatrième fois, et celle-ci la bonne et la définitive.

723. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre IV. Services généraux que doivent les privilégiés. »

Joignez à cela les dons de la main à la main avoués ou déguisés : 200 000 francs à M. de Sartine pour l’aider à payer ses dettes, 200 000 à M. de Lamoignon, garde des sceaux, 600 000 francs à M. de Miromesnil pour frais d’établissement, 166 000 à la veuve de M. de Maurepas, 500 000 au prince de Salm, 1 200 000 au duc de Polignac pour l’engagement du comté de Fenestranges, 754 337 à Mesdames pour payer Bellevue116. « M. de Calonne, dit Augeard, témoin compétent117, fit, à peine entré, un emprunt de cent millions, dont un quart n’est pas entré au Trésor royal : le reste a été dévoré par les gens de la cour ; on évalue ce qu’il a donné au comte d’Artois à cinquante-six millions, la part de Monsieur à vingt-cinq millions ; il a donné au prince de Condé, en échange de 300 000 livres de rente, douze millions une fois payés et 600 000 livres de rentes viagères, et il fait faire à l’État les acquisitions les plus onéreuses, des échanges dont la lésion était de plus de 500 pour 100. » N’oublions pas qu’au taux actuel tous ces dons, pensions, appointements valent le double. — Tel est l’emploi des grands auprès du pouvoir central : au lieu de se faire les représentants du public, ils ont voulu être les favoris du prince, et ils tondent le troupeau qu’ils devraient préserver. […] Ayant oublié le public, elle néglige par surcroît ses subordonnés ; après s’être séparée de la nation, elle se sépare de sa suite. […] Qu’on en juge par un seul exemple : pour secourir les Guéméné faillis, il leur achète moyennant 12 500 000 livres trois terres qu’ils viennent d’acheter 4 millions ; de plus, en échange de deux domaines en Bretagne qui rapportent 33 758 livres, il leur cède la principauté de Dombes rapportant près de 70 000 livres de rente137  Lorsqu’on lira plus tard le Livre Rouge, on y trouvera 700 000 livres de pensions pour la maison de Polignac, la plupart réversibles d’un membre à l’autre, et près de deux millions de bienfaits annuels à la maison de Noailles  Le roi a oublié que toutes ses grâces sont meurtrières ; car « le courtisan qui obtient 6 000 livres de pension reçoit la taille de six villages138 ». […] Déjà avant l’écroulement final, la France est dissoute, et elle est dissoute parce que les privilégiés ont oublié leur caractères d’hommes publics.

/ 2639