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240. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

N’entendons-nous pas là, chaleureusement exprimée, la défense de ce sentiment nouveau, qu’il n’y a dans la nature et dans l’être, ni rupture, ni opposition, ni séparation radicale, que chaque parcelle du tout poursuit silencieusement sa lente genèse infaillible, prenant sa part du devenir commun ; que l’intelligence, loin d’être une faculté d’origine spéciale, hors de l’animalité, prend sa source, plonge ses racines dans le monde de l’instinct, dans les entrailles du sol ? […] C’est l’humanité qui entre en scène, avec le sentiment de naître à peine à ses destinées, avec la conjecture que les centaines de mille ans qui la séparent de ses origines ne sont encore que de l’enfance dans l’évolution générale du monde. […] De ce que j’aime mon foyer, parce que toutes les racines de mon être primitif y sont attachées, parce que j’en ai tiré l’origine de ma vie, il ne s’ensuit pas nécessairement que je n’aime pas les autres foyers. […] Sur ses ruines, une autre naîtra, dont les adeptes diront : Nous reconnaissons nous aussi une patrie d’origine ; nous ne méconnaissons pas le lien sacré qui unit l’homme au sol, non plus que celui qu’a lentement constitué la communauté des douleurs et des joies.

241. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

. — Origine de l’idée d’un Temps universel. — La Durée réelle et le temps mesurable. — De la simultanéité immédiatement perçue : simultanéité de flux et simultanéité dans l’instant. — De la simultanéité indiquée par les horloges. — Le temps qui se déroule. — Le temps déroulé et la quatrième dimension. — À quel signe on reconnaîtra qu’un Temps est réel. […] Pour le moment, nous voudrions en bien marquer l’origine psychologique, dont nous avons déjà dit un mot. […] Bornons-nous à rappeler : 1° que cette théorie ne se dégage nullement des faits ; 2° qu’on en retrouve aisément les origines métaphysiques ; 3° que, prise à la lettre, elle serait contradictoire avec elle-même (sur ce dernier point, et sur l’oscillation que la théorie implique entre deux affirmations contraires, voir les pages 203-223 de L’Énergie spirituelle). Dans le présent travail, nous prenons la conscience telle que l’expérience nous la donne, sans faire d’hypothèse sur sa nature et ses origines.

242. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

* La guerre a été le premier état naturel de l’homme à l’origine des sociétés : guerre contre les animaux de proie, guerre des hommes entre eux. […] La race d’élite et privilégiée entre toutes qui, dès l’origine de son installation dans la péninsule hellénique, se personnifie dans Hercule, dompteur des monstres, dans Apollon, vainqueur de Python, et qui sut de bonne heure réaliser l’idée de royauté et de justice, puis l’idée de cité et de liberté, est celle qui imprima à la guerre sa plus noble forme, la plus héroïque, la plus généreuse, depuis Achille, — ou, pour partir de l’histoire, depuis Miltiade et Léonidas jusqu’à Philopœmen. […] Sa famille, comme le nom l’indique, était d’origine italienne30, mais depuis longtemps établie dans le pays de Vaud.

243. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

J’ai lu ce factum moral ; à l’heure d’en écrire je le feuillette encore à toutes ses pages, et je ne puis en tirer un mot précis sur l’origine et l’objet du devoir proposé. […] Il serait curieux de retrouver les positions d’origine des chefs de, ce mouvement vague, falot et si réel : il y a des chrétiens, des catholiques, le parti de Mun ; il y a des philosophes, les néokantiens, les néo-thomistes ; il y a des politiques : les adversaires d’un régime républicain de nuance maçonnique ; il y a des artistes : les successeurs des naturalistes, donc leurs adversaires en esthétique, en morale, en politique, en [sociologie. — Ce pieux mouvement n’est pas sans danger. […] Démontrer que le Kant a repris la tradition du mysticisme médiéval, auparavant établir que ce mysticisme ne fit que rajeunir celui de la vieille Alexandrie, et tout d’abord analyser les origines cosmopolites de l’alexandrinisme, serait reconstituer dans son enchaînement ininterrompu l’histoire d’un des quelques modes essentiels de la spéculation humaine.

244. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Pour les modernes, à l’origine, les vrais, les seuls classiques furent naturellement les anciens. […] La poésie italienne a pu se bien rétrécir depuis, mais, quand elle l’a voulu, elle a retrouvé toujours, elle a conservé de l’impulsion et du retentissement de cette haute origine. […] Lucrèce, par exemple, aimerait à discuter l’origine du monde et le débrouillement du chaos avec Milton ; mais, en raisonnant tous deux dans leur sens, ils ne seraient d’accord que sur les tableaux divins de la poésie et de la nature.

245. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Mais avec sa vision lointaine, abstrayant aux choses la notion d’origine, et n’en ressentant que l’impression brute et le choc émotionnel instinctif, concentré donc en soi et forcé de recourir, quand il lui faut expliquer, à l’introspection de son âme et aux règles idéales de la mécanique spirituelle, transporté cependant d’horreur et d’amour pour ces êtres ainsi aperçus à la fois par le dehors et par leur fonds charnel de bêtes, il semble que Dostoïewski soit à la fois un psychologue idéaliste à la Stendhal, et un être barbarement sociable aimant des hommes le contact de la peau, l’attouchement du souffle et l’âcreté de l’odeur. […] Effrayé de la peur de la vie et souffrant misérablement de son horreur, pénétrant l’homme dans ses dessous farouches et douloureux, pris du triste amour de sa chair souffreteuse, ne voyant en toute transgression que le commencement du châtiment, inquiet, éperdu et aimant, obstinément attaché à débattre et à retourner le problème du mal, du péché et de la peine, interrogeant la science et violenté, dans son âme obscure et slave, par la hautaine impiété de la philosophie évolutionniste, par ces doctrines qui, extraites et résumées du cours des astres, du choc des atomes, du sourd essor de la substance organique, puisent dans leur origine matérielle une inhumaine dureté et font au ciel qu’elles mesurent et dans l’âme qu’elles analysent un épouvantable et clair vide, frémissant du tranquille déni qu’elles opposent au problème final de toute méditation irréaliste — le but et le sens de la vie, — et finalement repoussé par les sèches raisons dont elles interdisent la pitié, l’aide aux faibles, aux malades, aux méchants, par la nécessité de ne point intervenir dans la lutte de tous contre fous, qui est à la fois la loi du monde vivant et la source même de ce qui nous pousse à la violer, — Dostoïewski s’est violemment rejeté en arrière ; sortant de toute église comme de tout enseignement, maudissant toute intelligence, se contraignant à croire ce qui console non sans trembler de la peur tacite d’être déçu, il a rivé ses yeux sur l’Évangile, il s’est prosterné pleurant sur la face pleurante d’un Christ populaire, en une agonie de pitié, de douleur, d’angoisse, d’effroi, de fou désespoir et de tremblante supplication aussi tragique en sa clameur que les affres contenues de Pascal. […] Quoi qu’il en eût, Dosloïewski était de ce siècle et en connaissait les doctrines qui sont exclusivement scientifiques, c’est-à-dire de raisonnement, et, en particulier, de raisonnement sur les origines.

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