Entraînée plutôt que conduite par Diderot, à la fois le chef et le principal ouvrier de l’entreprise, qui s’y était dévoué par tempérament presque autant que par opinion, et pour avoir où dépenser son improvisation intarissable, l’Encyclopédie fit une fin confuse et tumultueuse par des volumes qui s’emplissaient au hasard de témérités de toutes sortes, et de légèretés de toutes mains, dont la plus infatigable fut celle de Diderot120. […] Le manque de divisions et de repos123 en rend la lecture difficile ; les raisons s’y traînent au lieu de s’enchaîner ; l’ingénieux y tire à l’énigme, outre je ne sais quelle incertitude qui se trahit dans toutes les opinions morales et littéraires d’un homme qui ne croyait au fond qu’à la géométrie124. […] Des deux grandes opinions qui se disputaient de son temps le gouvernement de la France, laquelle revendiquera Chateaubriand ? […] Fontanes, dans une ode à Chateaubriand, lui dit : Contre toi du peuple critique Que peut l’injuste opinion ?
Mépriser une opinion qui sera bien sévère, traverser de longues années d’une vie pénible pour arriver à un but incertain, était déjà beaucoup, mais ne suffisait pas. […] Quelque opinion que vous soyez obligé d’avoir de ma situation actuelle et de l’innocence de mon âme, conservez-moi du moins votre amitié. […] Et l’opinion qui rira de moi ! […] D’autres croient en rhéteurs, parce que les auteurs auxquels ils ont voué un culte ont été de cette opinion : sorte de religion classique, littéraire.
Regimbard, dans L’Éducation sentimentale, est le type de ces personnages qui, conseillés par une prudence secrète, fondent l’opinion qu’ils veulent prendre d’eux-mêmes par la seule parodie. […] Le milieu social, la profession et la caste sont pour nombre d’entre eux des motifs suffisants de s’attribuer des sentiments et des opinions, jusqu’à des raisons de s’affecter et de se réjouir, des plaisirs et des peines. […] Ils ont exactement les sentiments et les opinions qu’exigent leur profession, leur fortune et leur monde, et il semble bien que les uns et les autres seraient fort empêchés de penser, d’agir et d’être hommes s’ils n’étaient d’abord notaire, fonctionnaire, prêtre ou gentilhomme. […] Pour que la science engendrât les conclusions certaines que l’opinion populaire lui attribue, il serait nécessaire que le déterminisme causal, dans lequel l’esprit humain a placé sa confiance, prît son point d’appui sur une cause première, que la nature même de l’esprit se refuse à concevoir et, qu’en fait, l’intelligence scientifique n’atteint jamais.
Un travailleur, quelque opinion qu’il professe, reconnaît dans son métier l’homme de valeur. […] Les Français d’après l’an xv, dit-il, qui se sont tenus un an par la main depuis la mer du Nord jusqu’au Rhin, quels que fussent d’ailleurs leurs intérêts économiques, leur opinion politique, leur croyance, leur idéal, n’entendent plus se brimer ni se tourmenter les uns les autres : la vieille haine française, qui avait sa noblesse, la lègue à une tendresse française que ni la France ni l’univers n’ont encore connue. […] A ce degré, une opinion politique est une foi. « Il a joué son salut, nous dit Paul Desjardins, sur une promesse unique : savoir, que la vraie vie spirituelle qui seule explique le monde et contente l’homme, est fille, non des loisirs élégants comme les sociétés aristocratiques l’ont cru, mais du normal labeur ». […] Arthur Gervais, bien connu dans l’enseignement, m’écrit : « Votre article sur l’œuvre et la vie de mon collègue, l’instituteur syndicaliste Albert Thierry, éclaire singulièrement l’opinion que depuis la guerre, je me suis faite sur la vraie mentalité des instituteurs syndicalistes, que j’ai combattus autrefois.
C’était une heureuse occasion pour Bailly, déjà adopté si magnifiquement par Buffon, de devenir le correspondant de Voltaire, et d’entreprendre publiquement de le convertir à une opinion qui était celle du grand naturaliste. […] Hâtons-nous de dire que Bailly ne paraît nullement avoir songé à en faire une arme contre la tradition ni contre des croyances révérées, comme plus tard cela se vit dans l’arsenal de Dupuis où s’arma Volney ; Bailly, plaidant entre Buffon et Voltaire, ne songeait qu’à défendre avec agrément et vraisemblance une opinion qui lui avait souri en étudiant les anciens peuples, à tirer tout le parti possible d’un jeu de la science et de l’imagination, et à satisfaire ce besoin d’un âge d’or en grand, qui était un des caractères optimistes de son temps et de son propre esprit. […] Un jeune homme, fort de raisons et de vérités, a-t-il jamais fait changer l’opinion d’un vieillard ?
Boileau a pu dire de lui « que Saint-Amant s’était formé du mauvais de Regnier, comme Benserade du mauvais de Voiture : — Opinion fausse qu’il serait inutile de discuter », ajoute M. […] il serait inutile de discuter l’opinion de Boileau si finement résumée dans ce jugement à double tranchant ! mais c’est cette opinion même qui renferme toute la question de goût au sujet du poète dont nous parlons.