Ils laissent l’éblouissement dans les yeux et le vide dans l’esprit. […] Il ne nous met sous les yeux que les images familières de l’amour, de l’ambition, de la vanité, qui troublent plus ou moins toutes les existences, et par qui se renouvelle sans cesse le tableau de la vie humaine. […] Qu’il ne baisse les yeux devant personne, dit Quintilien ; qu’il s’accoutume tout enfant à ne pas craindre les hommes. […] Sa traduction s’adresse à l’esprit, non aux yeux ni aux oreilles ; il tient plus à faire rassortir la leçon du maître que la physionomie de l’auteur. […] Dans le même livre, où il me remet sous les yeux ma jeunesse d’écolier, il m’instruit de mes devoirs de père et de maître.
On n’en concluait pas moins qu’en amalgamant des mots diversement colorés on pouvait en faire un bouquet agréable aux yeux. […] Comment croire que la contemplation quotidienne de ces jolies choses ne donne pas des habitudes à l’esprit comme aux yeux ? […] Le règne est venu de la beauté frêle, langoureuse, éthérée qui vit les yeux levés vers les étoiles et toujours prête, semble-t-il, à s’envoler de terre. […] Nous disons tous les jours dessiller les yeux, sans songer que nous faisons ainsi allusion à l’usage où l’on était de coudre les cils ou les paupières de l’oiseau de proie, afin de le dresser plus facilement. […] Donc, que l’historien d’une littérature ouvré les yeux et ne dédaigne pas de regarder de près cette face du passé !
C’est ce que Wagner a fait, en partie par une série de scènes nouvelles, en partie par une foule de modifications de détails qui passent inaperçus à l’œil banal, quoiqu’ils changent la nature du drame du tout au tout. […] Ils ne renoncent à ce rêve d’amour que sous la séduction de l’or que l’astucieux Loge fait briller à leurs yeux. […] Un article en faveur de Wagner étant considéré comme une rareté, était toujours-accueilli les yeux fermés. […] Ceux-là sont appelés des « enragés » et vus d’un mauvais œil en France comme en Allemagne ; ils inspirent, comme disait naïvement l’auteur de Wagner jugé en France, un sentiment de gêne. […] l’a-t-on dévoilée avec les soins nécessaires, et tous les ménagements qu’il fallait, aux yeux faibles ?
Faute d’usage, au contraire, un organe s’atrophie, comme l’œil de la taupe, celui de certains rats des cavernes (wotama), celui des crabes qui vivent dans les antres profonds de la Carniole et du Kentucky : chez ces crabes, le support de l’œil subsiste, mais l’œil a disparu ; le pied du télescope est encore là, mais le télescope lui-même avec ses verres n’y est plus. […] La première lueur du soleil excite votre œil et, à mesure que le soleil levant monte à l’horizon, il semble que le plaisir se lève aussi et monte à l’horizon de votre conscience ; mais quand la lumière est devenue trop vive, votre œil est blessé, aveuglé. […] Maintenant, substituez une surface bleue à la surface blanche : le bleu, dont le rayon était déjà présent dans la lumière blanche comme un de ses éléments constitutifs, se trouve maintenant présenté séparément à votre œil par l’élimination des autres éléments lumineux ; or, votre plaisir est instantanément accru. […] Celle-ci nous montre que la sensibilité supérieure est liée à des organes spéciaux, comme l’œil, l’oreille, le nez, la bouche, tandis que la sensibilité inférieure est répandue dans le corps, diffuse, sans connexion avec des organes bien différenciés. […] La première étoile filante qui passe devant les yeux de l’enfant le charme sans s’être fait prévoir ni désirer ; un jeu de lumière dans le ciel est comme un sourire gratuit de la nature.
L’épanouissement de Natacha, de ses yeux ravissants d’enfant-reine, à son charme vif, rieusement surpris de jeune fille, la plus fine, la plus frémissante, la plus gracieusement et tendrement jolie qui soit dans les livres, son égarement de passion et sa tristesse ployée, se joint à l’endurcissement progressif du prince Bolkonsky, impérieux, quinteux, puis follement colère, hors de lui de chaude usure et s’affaissant sur son lit de mort en une douceur timorée d’enfant vieillot, besoigneux d’aide. […] À mesure que l’œuvre déploie les méandres populeux de son cours, qu’elle va charriant les foules, les armées, les villes, les existences, les scènes, que s’entrouvent peu à peu les âmes, que vieillissent ou pubèrent les esprits et les corps, l’intelligence du lecteur, s’emplissant de tout un monde d’images suggérées, se penche sur ce spectacle avec la contemplation profonde, le suspens de l’être qui sous ces yeux ouverts verrait se dresser le spectre du monde, obscur et précis, où s’agitent ses semblables et lui-même. […] Il est induit à tout percevoir avec la clarté précise et noire d’une illumination d’éclair, avec des yeux tout proches et étonnés de découvrir l’intime des choses, de connaître des âmes d’inconnus mieux que celle d’amis, de parler sur la vaste scène de la vie des dons d’interne et neuve pénétration, comme d’un être rénové et de sens intacts. […] Les lieux de massacre à la terre gluante et noire de sang, les lazarets pleins de râles, de cris, de membres amputés, d’exhalaisons putrides, sont des lieux d’humanité, comme les multitudes grouillantes, odorantes et bavardes des jours de fête, comme les troupes de laboureurs, tendant des muscles suants sous les lourds soleils, comme ces bals où hommes et femmes échangent, de leurs yeux vagues, d’inarticulés et frissonnants appels aux consommations de la volupté. […] Le prince André Bolkonsky, cet homme sec, clair, acerbe, qui tient à la vie par des liens si étroits, s’inquiète, s’aigrit, vit au hasard et se déçoit de vains semblants d’envie, jusqu’au jour où une balle le jette à terre et le force à plonger ses yeux vacillants dans la paix d’un ciel que ne souillent pas la fumée, le sang et les cris des batailles.
Comme Marguerite Bonnet l’a montréc le ralliement de René Crevel au surréalisme ne fut pas une adhésion immédiate, loin s’en faut ; dans le n°36 des Feuilles libres de mars-juin 1924, il fustige Les Pas perdus d’André Breton, un recueil d’essais critiques entaché d’un suprême péché à ses yeux, celui de Littérature. […] Autruche qui ferme les yeux et croit qu’elle ne sera point vue, nous savons qu’elle avait mauvaise conscience, comme les trop gros mangeurs, mauvaise haleine. […] L’œil d’un Picasso, aigu à percer les nuages commodes, déchire les voiles des brouillards trop doux pour éclairer d’une lumière inexorable les mystères cachés derrière chaque objet, chaque forme, chaque couleur. […] Les tours d’ivoire seront démolies, toutes les paroles seront sacrées et l’homme, s’étant enfin accordé à la réalité, qui est sienne, n’aura plus qu’à fermer les yeux pour que s’ouvrent les portes du merveilleux. » Éluard procède d’une façon proche de Crevel, reprenant les mêmes éléments, citations, notes de lecture qu’il cite parfois de mémoire, recycle et ajuste en des contextes différents, avec des variantes. […] L’œil ici se fait oiseau, passage préparé dans le paragraphe précédent par l’image de l’œil qui « perce les nuages ».