/ 1730
18. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Il y a donc une observation intérieure de conscience aussi véridique que l’observation extérieure des sens. […] L’observation intérieure comme l’observation extérieure, n’embrasse d’abord que des masses, et n’atteint que tardivement et péniblement les détails. […] L’observation de conscience, comme l’observation sensible, peut donc, en se perfectionnant, distinguer plusieurs objets là où elle n’en remarquait qu’un seul, changer les notions vagues en notions précises, les notions incomplètes en notions complètes, les notions fausses en notions exactes. […] Les événements intérieurs ont donc leurs lois, comme les événements extérieurs, et, puisque le progrès de l’observation a découvert de nouvelles lois dans le monde physique, le progrès de l’observation doit découvrir de nouvelles lois dans le monde moral. […] Ce n’est pas assez d’imposer avec vous à la psychologie l’observation et l’induction, à l’exemple des sciences physiques ; il faut encore, malgré vous, la renfermer dans l’étude des faits, seules choses réelles, à l’exemple des sciences physiques.

19. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Tourgueneff »

C’est de l’observation à bâtons rompus, de l’observation de nature et d’aventure, relevée par de la fantaisie, et avec ces deux mots-là, vous avez tout ! […] Lui est un chasseur, un vrai chasseur, mais il ne tire pas que la grosse ou que la fine bête, et son observation, — quand elle s’égaille, comme disaient les Chouans, des chasseurs aussi, mais terribles ! — son observation porte crânement le képi sur l’oreille et joue à merveille de sa carabine à quatre coups ! […] Mais, quel qu’il soit, ce gentilhomme de bon goût qui n’a pas une prétention, pas un pédantisme, et dont le talent est franc… comme un Russe ne l’est pas toujours, il est aussi éloigné de ce qu’on appelle l’observation à la loupe de madame Beecher-Stowe, à laquelle, le croira-t-on ? […] La seule chose qui soit évidente, c’est que, fantaisiste d’occasion plus encore que de nature, il incline vers les détails et les entortillements de la vignette bien plus sympathiquement que vers les généralités types, et que la longue galerie de petits tableaux de genre qu’il nous dresse n’est rien de plus, en dernière analyse, que les mille hasards de ses rencontres et de ses coureuses observations.

20. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Préface » pp. -

Un roman comme Daphnis et Chloé n’est qu’une bucolique dont un génie chrétien peut faire, au bout de quinze cents ans, une autre bucolique, intitulée Paul et Virginie ; mais ce n’est pas assurément une telle composition, — pas plus que ces récits naïfs du Moyen-Age rajeunis par le pauvre marquis de Tressan, qui peuvent rappeler en quoi que ce puisse être, ces créations de l’Imagination et de l’Observation tout ensemble, qui commencent à La Princesse de Clèves et qui finissent aux Parents pauvres et aux Paysans. […] Ce n’est donc pas l’Imagination, — cette fée qui nous a dévidé au Moyen-Age un si beau et si long fuseau de Fables, de Fabliaux et de Contes, — ce n’est pas l’Imagination qui a manqué à cette féconde époque pour inventer le Roman ; c’est l’Observation. […] Rousseau lui-même, le maladif Rousseau, avec son âme de domestique humilié qui lui fausse toutes choses, ne peut, dans sa Nouvelle-Héloïse, soutenir la comparaison avec des observateurs d’une franchise, d’une vigueur et d’une santé dans l’observation, comme Fielding, Richardson, Goldsmith. […] Non-seulement le génie du romancier crée des types, des situations, des caractères, des dénouements, et à sa manière, fait de la vie, comme Dieu, — de la vie immortelle, — mais ces types, ces caractères, ces situations sont des découvertes dans l’ordre de l’imagination et de l’observation combinées ; ce sont des faits qui doivent rester acquis à l’inventaire humain, comme les faits de la Science. […] L’illustre auteur de La Comédie humaine n’a pas changé la nature du roman qui existait avant lui , mais il en a élargi les assises, et il l’a positivement élevé à l’état de Science, à force d’observations, de renseignements, de notions de toute espèce, d’une exactitude, d’une sûreté et d’une justesse merveilleuses.

21. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

Tout ce que l’observation, l’expérience, et par conséquent la science nous permettent d’affirmer, c’est l’existence d’une certaine relation entre le cerveau et la conscience. […] Exercé à l’observation intérieure, le philosophe devrait descendre au-dedans de lui-même, puis, remontant à la surface, suivre le mouvement graduel par lequel la conscience se détend, s’étend, se prépare à évoluer dans l’espace. […] Ces faits, à leur tour, corrigeant et complétant ce que l’expérience interne aurait eu de défectueux ou d’insuffisant, redresseraient la méthode d’observation intérieure. […] Remarquez que la pensée réelle, concrète, vivante, est chose dont les psychologues nous ont fort peu parlé jusqu’ici, parce qu’elle offre malaisément prise à l’observation intérieure. […] Des savants d’une compétence indiscutable la combattent aujourd’hui, en s’appuyant sur une observation plus attentive des lésions cérébrales qui accompagnent les maladies du langage.

22. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Les Mémoires d’une femme de chambre » pp. 309-321

Mais les Mémoires d’une femme de chambre, c’est-à-dire de la femelle de ce genre d’animal dont on a dit le mot resté proverbe : « Pour un valet de chambre, il n’y a pas de héros » (et, vous le savez, la femelle de toutes les espèces est, en fait d’observation, de finesse et de tact, bien au-dessus de tous les mâles de la terre, même dans cette espèce supérieure de messieurs les valets !)  […] Il fallait les révolutions et les progrès dont nous sommes témoins, et toutes sortes d’émancipations philanthropiques, pour que nous eussions le précieux avantage d’avoir chez nous des moralistes à nos gages et des observateurs passionnés, capables d’écrire, sur le papier pris dans nos tiroirs, leurs observations, en belle écriture américaine, avec plus ou moins d’orthographe. […] Au dix-huitième siècle, on n’aperçoit encore, parmi messieurs les domestiques, que le laquais Rousseau derrière la chaise de ses maîtres, gravant dans sa mémoire, entre deux assiettes qu’il leur donne, des observations qu’il mettra plus tard dans ses Confessions. Mais Rousseau, le plus grand des génies gauches et empêtrés, n’a ni la grâce, ni le délié, ni le coup d’œil, ni l’observation intimement assassine que peut avoir une femme de chambre avec sa maîtresse. […] Mais n’ajouter rien à ce que nous savons et nous refaire, en l’abaissant et en l’encanaillant chaque fois davantage, La Dame aux Camélias ou Le Demi-Monde, ou le quart de monde, et s’enfoncer dans des milieux encore plus immondes et qui ne sont plus des mondes du tout, je dis que ce n’est pas là seulement amour de l’immoralité, mais, en matière d’observation, manque de regard et radicale impuissance !

23. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 35, de la mécanique de la poësie qui ne regarde les mots que comme de simples sons. Avantages des poetes qui ont composé en latin sur ceux qui composent en françois » pp. 296-339

Enfin l’observation des regles de la poesie latine jette plus de beautez dans des vers, que n’y en jette l’observation des regles de la poesie françoise. […] En effet ces regles ne sont autre chose que les observations et la pratique des meilleurs poëtes latins reduites en art. […] Ma quatriéme raison pour prouver que la mécanique de la poësie s’aide mieux de la langue latine que de la langue françoise, c’est que les beautez qui résultent de la simple observation des regles de la poësie latine, sont plus grandes que les beautez qui résultent de l’observation des regles de la poësie françoise. […] Je vais montrer que l’observation des regles de la poësie françoise ne produit ni l’un ni l’autre effet. L’observation de ces regles ne rend pas les vers ni nombreux ni mélodieux.

/ 1730