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308. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

« Où sont-ils allés nos songes fortunés qui nous montraient de ce côté l’inconnue retraite d’habitants inconnus, ou bien le lieu d’abri des astres durant le jour, et le lit mystérieux de la jeune aurore, et le sommeil caché du grand astre durant les nuits ? […] Douce et claire est la nuit, sans souffle et sans murmure ; A la cime des toits, aux masses de verdure, La lune glisse en paix et se pose au gazon, Et les coteaux blanchis éclairent l’horizon. […] Ce grand anatomiste se trouve une nuit éveillé par le bruit des morts de son cabinet qui se sont remis à vivre, qui dansent en ronde et chantent en chœur un hymne à leur grande patronne la Mort ; c’est par cet hymne en vers que le dialogue commence. […] Et souvent, aux accents de la cloche dernière, Aux funèbres échos de l’hymne qui conduit Les morts sans souvenir à l’éternelle nuit, Avec d’ardents soupirs et d’un élan sincère Il envia celui que le sépulcre enserre. […] « Je ne fais pas appel, en mourant, aux rois sourds de l’Olympe ou du Cocyte, ni à l’indigne terre, ni à la nuit ; je ne t’invoque point non plus, dernier rayon dans l’ombre de la mort, ô conscience de l’âge futur !

309. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Qui n’a pas surtout épié de l’oreille ces musiques de la nuit sereine dans les beaux climats de l’Orient, dans les belles saisons de l’Occident, sur les margelles des eaux courantes, sur les rives des grands fleuves, au bord retentissant de la mer ? […] J’ai passé bien souvent des heures, et surtout des heures de nuit transparentes, à savourer ces sons surhumains, tantôt sous la voile d’un navire au pied du mât, tantôt sur les côtes de Syrie, entre les cimes du Liban et les plages mugissantes de la mer. […] On entendrait le frôlement des poils de la chenille de nuit entre les brins d’herbe qu’elle courbe sous son poids. […] Seulement je vous dirai que nous y sommes arrivés dans la nuit de Noël, et que nous y avons assisté, dans la chapelle royale, à la messe de minuit et aux trois saintes messes. […] Lorsqu’il s’est éveillé ce matin à neuf heures, il ne savait où il était, ni comment il était parvenu sur son lit ; il n’avait pas fait un mouvement de toute la nuit. » Ces lettres sont pleines de ces minuties de père, de mère, de nourrice, qui se mêlent comme dans la vie commune aux miracles de l’enfance du génie.

310. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Je le laisse dans cet étau au moins un jour et une nuit, et quand il est sec il ne bouge plus. […] Si on les suspend près du poêle, ils dépérissent par manque d’air nourrissant ; si on les met près de la fenêtre, ils dépérissent par suite du froid des longues nuits. […] pensai-je alors, mais par cette obscurité, dans cette nuit, où est-elle allée ? […] Enfin elles sont parties ; j’ai malgré moi pris mon chapeau et mon mantelet, et je me suis vue poussée dehors, marchant dans la nuit sans savoir où j’allais. […] En s’habillant, Goethe me raconta un rêve de sa nuit.

311. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

L’abbé Le Dieu n’a pas le dessein de diminuer Bossuet, mais il soumet son illustre maître à une épreuve à laquelle pas une grande figure ne résisterait ; il note jour par jour, à l’époque de la maladie dernière et du déclin, tous les actes et toutes les paroles de faiblesse qui lui échappent, jusqu’aux plaintes et doléances auxquelles on se laisse aller la nuit quand on se croit seul, et dans cette observation il porte un esprit de petitesse qui se prononce de plus en plus en avançant, un esprit bas qui n’est pas moins dangereux que ne le serait une malignité subtile. […] Bossuet donne raison à Mécène et à la fable si connue : « Pourvu qu’en somme je vive… » Ce dimanche 7 d’octobre 1703, M. de Meaux a paru fort gai, à son réveil, d’avoir bien dormi toute la nuit, et de joie il lui est échappé cette parole : « Je vois bien que Dieu veut me conserver. » Il a ensuite entendu la messe dans sa chapelle et s’est encore recouché jusqu’à son dîner. […] Et mardi, 5 février, qui est le mardi gras : Ce mardi soir, il y a eu grand festin ; et Mme Bossuet a encore couru le bal toute la nuit avec Mme de Pecouel et autres. […] Il note « qu’il a mangé trois tranches d’une éclanche de mouton », et il ajoute : « J’ai bien dormi avec une petite moiteur, la nuit, sans reproche du gigot. » On a jour par jour le menu des cataplasmes, et cela va jusqu’aux derniers mois (1713).

312. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

C’est songer à sa réputation personnelle plus qu’au bien de la chose, que « d’attendre à faire en place publique ce qu’on peut faire en la chambre du Conseil, et de venir étaler en plein midi ce qu’on eût mieux fait la nuit précédente. » Il n’est pas de ceux qui pensent « que les bons règlements ne se peuvent entendre qu’au son de la trompette. » Et puis il s’exagère si peu l’honneur de ces postes secondaires ! […] La lettre mémorable de Montaigne, écrite au maréchal de Matignon et datée de la nuit du 22 mai, est déjà connue depuis une quinzaine d’années ; elle a été amplement discutée et commentée par plus d’un et par moi-même. […] J’ai passé toutes les nuits ou par la ville en armes, ou hors la ville sur le port ; et avant votre avertissement, y avait déjà veillé une nuit sur la nouvelle d’un bateau chargé d’hommes armés qui devait passer.

313. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

et la Nuit et le Moment ; Clarisse Harlowe elle-même, plus révérencieuse, eut son tour. […] Ce tableau d’alcôve au retour du bal, la blancheur de l’aube qui fait pâlir le croissant et l’ombre, tandis qu’une femme lasse, couchée et à demi sommeillante, livre aux yeux un bras nu qui pend ; le parfum qu’elle exhale, comme une fleur sous la brise des nuits, ce chant incertain accompagné de guitare au pied du balcon, toute cette scène mystérieuse qui aboutit au soupçon dans le cœur de l’époux, forme une ouverture d’un calme inquiétant, assez approchante, pour l’effet, du début de Parisina. […] Ainsi, d’élans en élans, d’émotion en impiété, tout nous mène à la volupté enivrante de la nuit, au meurtre de l’époux, à la volupté encore, sur cette mer de Venise, où reparaissent voguant, pleins d’oubli, le meurtrier aimé et la belle adultère : Peut-être que le seuil du vieux palais Luigi Du pur sang de son maître était encor rougi ; Que tous les serviteurs, sur les draps funéraires, N’avaient pas achevé leurs dernières prières ; Peut-être qu’à l’entour des sinistres apprêts, Les prieurs, s’agitant comme de noirs cyprès, Et mêlant leurs soupirs aux cantiques des vierges, N’avaient pas sur la tombe encore éteint les cierges, Peut-être de la veille avait-on retrouvé Le cadavre perdu, le front sous un pavé ; Son chien pleurait sans doute et le cherchait encore : Mais, quand Dalti parla, Portia prit sa mandore, Mêlant sa douce voix, que la brise écartait, Au murmure moqueur du flot qui l’emportait… Les deux autres drames de ce volume, Don Paez et la Camargo, renfermaient des beautés du même ordre, mais moins soutenues, moins enchaînées, et dans un style trop bigarré d’enjambements, de trivialités et d’archaïsmes. […] L’adorable drôlerie, A quoi rêvent les Jeunes Filles, imbroglio malicieux et tendre qu’on peut lire entre le Songe d’une Nuit d’Été ou Comme il vous plaira et le cinquième acte de Figaro, n’est que le gracieux persiflage de cette idée de chaos où il se joue, de même que Frank m’en paraît la personnification sombre, fatiguée et luttante.

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