Une nation devenue libre, dont les passions ont été fortement agitées par les horreurs des guerres civiles, est beaucoup plus susceptible de l’émotion excitée par Shakespeare, que de celle causée par Racine. […] La découverte de l’imprimerie a nécessairement diminué la condescendance des auteurs pour le goût national : ils pensent davantage à l’opinion de l’Europe ; et quoiqu’il importe que les pièces qui doivent être jouées aient avant tout du succès à la représentation, depuis que leur gloire peut s’étendre aux autres nations, les écrivains évitent davantage les allusions, les plaisanteries, les personnages qui ne peuvent plaire qu’au peuple de leur pays. […] Les jeux de mots, les équivoques licencieuses, les contes populaires, les proverbes qui s’entassent successivement dans les vieilles nations, et sont, pour ainsi dire, les idées patrimoniales des hommes du peuple ; tous ces moyens, qui sont applaudis de la multitude, sont critiqués par la raison.
Il est en effet naturel de supposer que, dans l’incessante mobilité des coutumes et des goûts par lesquels passe une nation, il y a des traits fondamentaux qui subsistent toujours. […] Il faut donc suivre avec attention les changements que subit le tempérament d’une nation. […] Je veux bien que la masse de la nation demeure indemne, que la manie d’imitation ne descende pas jusqu’aux couches profondes.
Pourquoi nous blâmer d’avoir loué des hommes, qui, dans le tableau de notre Littérature, jouissent d’une célébrité avouée de tous les Connoisseurs & chez toutes les Nations cultivées ? […] La Nation a déjà compris, &, sans nous, l’expérience eût suffi pour lui faire comprendre, que les inventions en Littérature sont moins des moyens de perfection & des signes de fécondité, que des causes de dépérissement & des preuves de foiblesse ; que la révolte contre les principes religieux est un symptome de vertige, & ne sauroit être le fruit du développement de la raison. […] Elle en reviendra enfin à se persuader, comme toutes les Nations sages, que son bonheur & sa gloire ne consistent pas à renfermer dans son sein des Raisonneurs chimériques, des Littérateurs présomptueux, des Impies extravagans ; mais à respecter la Religion, à cultiver utilement les Lettres, à réprimer les abus du caprice & de la folle raison.
L’Allemagne n’est pas une nation, l’Allemagne n’est pas une unité. […] La France, elle, c’est bien une nation, une unité — longtemps déjà avant la Révolution. […] Les Quatre se frotteront les mains, jusqu’à ce que trois se disent qu’il est temps de dévorer le quatrième : car les loups se mangent entre eux, quoi qu’en dise la sagesse des nations.
Notre littérature, nous devons en être convaincus à présent, fut tellement nationale, qu’elle commence à nous échapper depuis que nous commençons à cesser d’être la même nation. […] Cette économie des desseins de la Providence, dévoilée avec la prévision d’un prophète ; cette pensée divine gouvernant les hommes depuis le commencement jusqu’à la fin ; toutes les annales des peuples, renfermées dans le cadre magnifique d’une imposante unité ; ces royaumes de la terre, qui relèvent de Dieu ; ces trônes des rois, qui ne sont que de la poussière ; et ensuite ces grandes vicissitudes dans les rangs les plus élevés de la société ; ces leçons terribles données aux nations, et aux chefs des nations ; ces royales douleurs ; ces gémissements dans les palais des maîtres du monde ; ces derniers soupirs de héros, plus grands sur le lit de mort du chrétien, qu’au milieu des triomphes du champ de bataille ; enfin l’illustre orateur, interprète de tant d’éclatantes misères, osant parler de ses propres amertumes, osant montrer ses cheveux blancs, signe vénérable d’une longue carrière honorée par de si nobles travaux, et laissant tomber du haut de la chaire de vérité des larmes plus éloquentes encore que ses discours : tel est le Bossuet de nos habitudes classiques, de notre admiration traditionnelle.
… Esprit léger chez une nation légère, il en était le type littéraire élevé à sa plus haute puissance. […] « La France, dit M. de Chalambert, était une nation catholique dont les croyances, les mœurs et les institutions reposaient sur la religion catholique. […] Après la conversion d’Henri IV, l’insolence royaliste seule put regarder la Ligue comme vaincue, et ce vers si comiquement gascon sur un héros gascon : Il confondit Mayenne, et la Ligue, et l’Ibère, car la Ligue avait obtenu ce qu’elle avait voulu, un roi catholique, et Henri IV avait été obligé de communier, à son sacre, sous les deux espèces ; mais plus tard, de fait, oui, elle fut vaincue, et, sinon elle, qui n’existait plus, au moins cette nation qu’elle avait si grandement et si vaillamment représentée !