Mais si l’on vous demandait à quels instruments de musique, à quelles couleurs, à quels sentiment correspondent exactement les voyelles et les diphtongues et leurs combinaisons avec les consonnes, vous seriez, j’imagine, fort empêché. […] Quelque chose de moins précis, de moins raisonnable, de moins clair, de plus chantant, de plus rapproché de la musique que la poésie romantique et parnassienne. […] Il s’enivrait, avec les autres, de la musique des mots, mais de leur musique seulement ; et il est resté un étranger parmi ces Latins sensés et lucides… Un jour, il disparaît. […] L’unité de cette petite pièce n’est donc point dans la signification totale des mots assemblés, mais dans leur musique et dans la mélancolie et la langueur dont ils sont tout imprégnés. […] Il a un « art poétique » tout à fait subtil et mystérieux (qu’il a, je crois, trouvé sur le tard) : De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l’impair Plus vague et plus soluble dans l’air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il avait cela de l’honnête homme de La Bruyère qu’il pouvait causer avec vous pendant tout un dîner, toute une soirée, en vous parlant de tout avec agrément, avec intérêt, et cependant sans vous dire un seul mot de musique, sans mettre sur le tapis les choses de son métier. […] Cousin, de tout temps poëte par l’imagination, entendant le dramatique à merveille, et qui alors aimait assez le théâtre, refaisait volontiers, en conversation du moins, les pièces qu’il avait vues, et ce jour-là au dessert, se sentant plus en verve encore que de coutume, il s’écria (je ne réponds que du sens et non des paroles) : « Je veux faire un drame, un opéra, j’en inventerai l’action, j’en tracerai le plan : toi (s’adressant à l’un des convives), tu l’écriras en vers ; vous, mon cher (se tournant vers un autre convive), vous en composerez la musique, vous en ferez les chœurs et les chants ; et quand l’ouvrage sera fini, nous le donnerons à Feydeau ou au Grand-Opéra. » Le poëte ainsi désigné, c’était Loyson ; le musicien, c’était Halévy ; le sujet de la pièce eût même été, dit-on, tiré d’un conte de Marmontel, les Quatre Flacons. […] Cette musique de Pygmalion paraît avoir occupé quelque temps l’imagination d’Halévy. […] Il écrivait de la musique, de la prose ou des vers, il lisait avec une attention imperturbable, lorsque l’on causait autour de lui. […] « Il écrivait tout, musique et littérature, avec grand soin, et était difficile pour lui-même : il raturait, il émondait ; il voulait la clarté, l’expression juste.
Il savoit la Musique & les Mathématiques, qu’il fit toujours marcher de pair, & expliquoit le premier Art par les principes du second. […] Rousseau un grand nombre d’articles de son Dictionnaire de Musique.
La musique y fait le charme du merveilleux ; le merveilleux y fait la vraisemblance de la musique ; on est dans un monde nouveau ; c’est la nature dans l’enchantement, et visiblement animée par une foule d’intelligences dont les volontés sont des lois. […] La musique est une langue. […] Si la comédie de Térence et de Molière enchante, il faut que la comédie en musique me ravisse. […] Cela est aussi disparate que de mettre en musique une conspiration, un conseil, que d’opiner en chantant. Il est reçu de chanter les plaintes, la joie et la fureur ; mais la musique, faite pour toucher, ne raisonne pas.
Lisez dans ce volume qu’il vient de publier le beau chapitre sur la musique religieuse, qui remonte à 1832. […] Il vient de parler des diverses hymnes et proses célèbres de la liturgie, le Dies iræ, le Vexilla, le Stabal, et il en a défini l’impression profonde avec largeur et vérité : « Je sais que beaucoup, dit-il, qui n’ont peut-être jamais mis le pied dans une église pour prier, qui n’ont jamais ressenti dans leur cœur la pieuse ferveur de la foi, riront de mon enthousiasme et de mon admiration ; mais je dois leur dire que depuis sept ans j’ai manqué peu de représentations au Théâtre-Italien, que j’ai suivi assidûment les concerts du Conservatoire, que Beethoven m’a donné la fièvre de plaisir, que Rossini m’a remué jusqu’au fond de l’âme, que Mme Malibran et Mlle Sontag ont été pour moi de bienfaisantes divinités ; que pendant près de deux ans je n’ai eu d’autre religion, d’autre espérance, d’autre bonheur, d’autre joie que la musique ; que, par conséquent, ils ne peuvent me regarder comme un trappiste qui ne connaît que ténèbres et matines ; mais il faut qu’ils sachent aussi que celui qui leur parle, et qui aujourd’hui est bien loin de la foi chrétienne, a été pendant cinq ans catholique fervent, qu’il s’est nourri de l’Évangile, de l’Imitation ; qu’élevé dans un séminaire, il y a entendu des chœurs de deux cents jeunes gens faire résonner sous une voûte retentissantel’In exitu. Israël et le Magnificat ; que tout ce qu’il y a de poésie dans le culte chrétien, l’encens, les chasubles brodées d’or, les longues processions avec des fleurs, léchant, le chant surtout aux fêtes solennelles, grave ou lugubre, tendre ou triomphant, l’a vivement exalté ; qu’il a respiré cet air, vécu de cette vie, et que, par conséquent, il a dû pénétrer plus avant dans le sens et l’intelligence de la musique chrétienne que beaucoup de jeunes gens qui, nourris des traditions de collège et ne voyant dans la messe qu’une corvée hebdomadaire, ne se seraient jamais avisés d’aller chercher de l’art et de la poésie dans les cris inhumains d’un chantre à la bouche de travers. » Et plus loin, insistant, sur le caractère propre, à ces chants grandioses ou tendres, et qu’il importe de leur conserver sans les travestir par trop de mondanité ou d’élégance, devançant ce que MM. d’Ortigue et Félix Clément ont depuis plaidé et victorieusement démontré, il dira (qu’on me pardonne la longueur de la citation, mais, lorsque je parle d’un écrivain, j’aime toujours à le montrer à son heure de talent la plus éclairée, la plus favorable, et, s’il se peut, sous le rayon) : « J’ai dit tout à l’heure, en parlant du Dies iræ, que je ne connaissais rien de plus beau ; j’ai besoin d’y revenir et de m’expliquer. […] allez, quelque jour de fête, entendre à la cathédrale une messe en musique de quelque compositeur en renom, avec les chœurs et l’orchestre et les premiers artistes de l’Opéra ; puis ensuite retournez dans la Semaine Sainte, écoutez le Stabat, le Vexilla régis ou la Passion, ou, à quelques cérémonies funèbres, le Requiem, du lutrin ou les Litanies chantées non par de grands artistes, mais tout simplement par des chantres ou des enfants de chœur ; et puis, en sortant, demandez-vous qui vous a le plus profondément ému, qui a laissé dans votre âme une impression plus religieuse et plus mélancolique, qui vous a rappelé que vous étiez venu pour prier, des chanteurs ou des chantres, de la musique fuguée ou du plain-chant, de l’orchestre ou de l’orgue. […] Cependant vous avez eu le temps de remarquer que les chœurs mollissent et que les voix de femmes surtout manquent de vigueur dans l’attaque, qu’un trombone a émis un son d’une justesse douteuse ; et, la messe finie, vous sortez en vous demandant comment il se fait que les chœurs français soient si inférieurs à ceux de l’Allemagne et en regrettant vivement qu’une musique aussi belle ne soit pas rendue avec toute la perfection désirable.
Et, s’ils vivaient, c’était grâce à leur musique sempiternelle, musique étrange et qui, à leurs âmes, servait de diversion prestigieuse. […] Un jour, il composa le sublime et ravissant « Madrigal à la Musique ». […] Seule les plaint comme elles le désirent la musique, la délicieuse, chaste, compatissante et complaisante musique. […] Il ne veut pas que le poème n’ait été que le prétexte de sa musique. Et sa musique n’en est ni diminuée ni contrainte.