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529. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Un instant, il nous montre la victoire d’un devoir incontestable (Horace), puis d’un devoir plus douteux (Polyeucte) sur la passion ; mais bientôt cela ne lui suffit plus : ce qu’il exalte, c’est le triomphe de la volonté toute seule, ou tout au plus de la volonté appliquée à quelque devoir extraordinaire, inquiétant, atroce, et dans la conception duquel se retrouvent, avec la naïve et excessive estime des « grandeurs de chair » (Pascal), les idées de l’Astrée et de la Clélie sur la femme et les doctrines du XVIe siècle sur la séparation de la morale politique et de l’autre morale. […] Et quand bien même le simple souffrirait davantage, en quoi cela lui donnerait-il sur l’artiste la supériorité morale que paraît lui accorder M.  […] Phèdre est d’une infinie délicatesse morale, et Aricie d’une ravissante coquetterie. […] En un sens, rien de plus vrai ni de plus philosophique que la tragédie, qui nous montre les forces élémentaires, les instincts primitifs déchaînés sous la plus fine culture intellectuelle et morale. […] Pour ces raisons, le théâtre de Racine (toujours au rebours de celui de Corneille) nous laisse sous l’impression d’une fatalité inéluctable : il n’a rien « d’édifiant », rien d’un enseignement par la « morale en action ».

530. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Duclos, dans ses récits, dans ses livres de morale, a de ces observations de bon sens bien touchées, bien frappées, et qui prouvent que le moraliste en lui connaissait son sujet, et le médecin son malade. […] La plupart étant incapables d’un tel examen doivent consulter le sentiment intérieur : les plus éclairés pourraient encore en morale le préférer souvent à leurs lumières, et prendre leur goût ou leur répugnance pour la règle la plus sûre de leur conduite. […] Plusieurs chapitres des Considérations, tels que celui « Sur le ridicule, la singularité et l’affectation », ne sont que des articles développés de définition et de synonymie morale, dignes d’être loués par Beauzée. […] Les bons chapitres de Duclos n’ont que l’inconvénient d’être d’une observation morale trop suivie, trop continue, sans rien qui y jette du jour et de la lumière ; ils sont semés de jolis mots qui gagneraient à être détachés, et qui sont faits pour circuler comme des proverbes de gens d’esprit : L’orgueil est le premier des tyrans ou des consolateurs.

531. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Parfaitement honnête homme et homme d’honneur dans son procédé et ses actions, il n’avait pas, en écrivant, la même mesure morale que nous ; il voyait de l’hypocrisie là où il n’y a qu’un sentiment de convenance légitime et une observation de la nature raisonnable et honnête, telle que nous la voulons retrouver même à travers les passions. […] La morale italienne, dont Beyle abuse un peu, est décidément trop loin de la nôtre. […] Aucune morale, aucun principe d’honneur : il est seulement déterminé à ne pas simuler de l’amour quand il n’en a pas ; de même qu’à la fin, quand cet amour lui est venu pour Clélia, la fille du triste général Fabio Conti, il y sacrifiera tout, même la délicatesse et la reconnaissance envers sa tante. […] Une de ses grandes théories, et d’après laquelle il a écrit ensuite ses romans, c’est qu’en France l’amour est à peu près inconnu ; l’amour digne de ce nom, comme il l’entend, l’amour-passion et maladie, qui, de sa nature, est quelque chose de tout à fait à part, comme l’est la cristallisation dans le règne minéral (la comparaison est de lui) : mais quand je vois ce que devient sous la plume de Beyle et dans ses récits cet amour-passion chez les êtres qu’il semble nous proposer pour exemple, chez Fabrice quand il est atteint finalement, chez l’abbesse de Castro, chez la princesse Campobasso, chez Mina de Wangel (autre nouvelle de lui), j’en reviens à aimer et à honorer l’amour à la française, mélange d’attrait physique sans doute, mais aussi de goût et d’inclination morale, de galanterie délicate, d’estime, d’enthousiasme, de raison même et d’esprit, un amour où il reste un peu de sens commun, où la société n’est pas oubliée entièrement, où le devoir n’est pas sacrifié à l’aveugle et ignoré.

532. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

C’étaient des pièces courtes, d’ordinaire des fables, où ses rouges-gorges, ses chardonnerets avaient leur rôle et amenaient leur morale toujours humaine et sensible, bien que puritaine. […] Ces premières fleurs de poésie sont toutefois des fleurs d’hiver, cela s’y sent un peu trop à une teinte morale et austère qui est répandue sur le tout ; mais il n’en sera pas ainsi de son second recueil, de son grand et charmant poème. […] Il avait voulu être utile et plaire en même temps pour mieux insinuer au monde sa morale et ses conseils : il n’avait réussi qu’à demi ; il se dit qu’une autre fois il réussirait mieux peut-être. […] Il n’est question du sopha que dans le premier livre et pendant les cent premiers vers environ, après quoi l’auteur passe à ses thèmes de prédilection, la campagne, la nature, la religion et la morale.

533. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Voilà la vérité morale, la vérité éternelle ; et à l’égard de Saint-Simon, de ce duc entêté, implacable, féroce, tout ce que vous voudrez, mais honnête homme au sens roide du mot, le duc de Noailles l’a prouvé et a vérifié la maxime. […] Saint-Simon qui l’avait pris un jour la main dans le sac et en flagrant délit de machination, pour perdre au début d’un règne quelqu’un dont il pouvait redouter la rivalité ou la contradiction, savait à quoi s’en tenir sur sa qualité morale, sur sa fibre de cœur : il suffit d’une seule occasion pareille pour avoir son jugement fixé sur la valeur morale foncière d’un homme qui peut, d’ailleurs, éblouir son monde et jeter de la poudre aux yeux des autres70. […] Le marquis d’Argenson n’est pas, comme Saint-Simon, un ennemi personnel du maréchal de Noailles, mais c’est un antipathique, d’une autre race morale, d’une tout autre humeur et d’un caractère tout au rebours.

534. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

Michelet veut voir comment la France est née, comment elle a formé sa personnalité morale, de quelle vie elle a vécu. […] Il avait le sens des symboles, et la grandeur poétique, la plénitude morale du symbolisme chrétien l’ont saisi : à mesure que la religion du moyen âge se matérialisera, se desséchera, il pleurera cette grande ruine ; il cherchera de tous côtés les illuminés, les indépendants, les révoltés, qui ont gardé la vue de l’Idée et le contact de Dieu : il mettra en eux son amour et sa joie. […] La nature, si dure et si immorale au sentiment de beaucoup de nos contemporains, est pour Michelet une inépuisable source de joie, de force et de foi : il y renouvelle sa vie morale. […] Biographie : Jules Michelet (1798-1874 . fils d’un imprimeur ruiné par le Consulat et l’Empire, répétiteur dans une pension en 1817, professeur au collège Sainte-Barbe en 1822, maître de conférences à l’Ecole normale en 1827. supplée Guizot à la Sorbonne (1833-1836), puis est désigné pour la chaire de morale et d’histoire du Collège de France (1838).Éditions : Principes de la philosophie de l’histoire ; Précis d’histoire moderne, 1828 ; Histoire romaine, 1831 ; les Mémoires de Luther, 1835. 2 vol. in-8 ; Du Prêtre, de la Femme et de la Famille, 1844. in-8 ; le Peuple, 1816. in-8 ; le Procès des Templiers, 1841-52, 2 vol. in-4 ; l’Oiseau, 1850, in-12 ; l’Insecte, 1857, in-18 ; l’Amour, 1858, in-18 ; la Femme, 1859, in-18 ; la Mer, 1861, in-18 ; la Sorcière, 1832, in-18 ; la Bible de l’humanité, 1861. in-18 ; la Montagne, 1868, in-18 ; Histoire de France (Moyen Age, 1833-13, 6 vol. in-8 ; Révolution, 1847-53. 7 vol. in-8 ; Renaissance et Temps modernes, 1855-67, 11 vol. in-8), 1878-80, Marpon, 28 vol. in-12 ; 1885 et suiv., Lemerre, 28 vol. pet. in-12. — Œuvres posthumes : Histoire du xixe siècle, 3 vol., 1876 ; Ma Jeunesse (pub. p.

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