On a besoin à chaque instant, quand on étudie aujourd’hui Rollin, de se reporter à cette situation d’alentour, et aussi de faire la part des faiblesses, des tâtonnements et des limites d’un esprit qui n’avait de supérieur que l’inspiration morale. […] Rollin n’était pas seulement janséniste pour la morale et pour la doctrine, il l’était pour sa créance et sa crédulité à des circonstances trop chères au parti. […] La modestie pourtant, quand elle est innée et invétérée dans le tempérament même, quand elle augmente (loin de s’aguerrir) et qu’elle s’attendrit d’autant plus avec l’expérience et avec l’âge, n’est plus seulement une vertu morale et chrétienne, c’est le signe ou l’indice naturel d’une limite sentie. […] Son succès principal fut dans l’opportunité, comme sa vraie distinction est dans l’ingénuité et dans la candeur morale. […] Pour rendre à ces nouveaux venus le respect des lettres et des nobles études, on ne saurait les présenter trop sérieuses, trop essentielles à la nature humaine et à son développement, trop liées avec tout ce qui est utile dans l’histoire, dans la politique, trop conformes à la vraie connaissance morale et à l’expérience.
J’oserais assurer que la pureté de la morale a suivi les progrès des vêtements depuis la peau de la bête jusqu’à l’étoffe de soie. […] Peut-on être un grand poëte sans la connaissance des devoirs de l’homme et du citoyen, de tout ce qui tient aux lois des sociétés entre elles, aux religions, aux différents gouvernements, aux mœurs et aux usages des nations, à la société dont on est membre, aux passions, aux vices, aux vertus, aux caractères et à toute la morale ? […] La morale La religion. […] La morale La religion naturelle. […] Le second cours, divisé en deux classes, comprend les premiers principes de la métaphysique, la morale, la religion naturelle et révélée, l’histoire, la géographie, les premiers principes de la science économique.
La morale enduit l’homme contre la grâce. […] Ni l’honneur n’est estimé ou maigrement aimé d’une maigre estime et d’un maigre amour de morale, s’il y a des amours de morale, ni l’amour n’est honoré ou flétri d’un maigre et livresque sentiment de morale ou d’immorale. […] Et surtout à la morale, qui profite toujours. […] En morale nous sacrifions aujourd’hui à demain. […] La lieue aussi est de la morale profonde et de la morale souple.
Mais il ne présente point la morale in abstracto : il la saisit dans la réalité qui la manifeste ou la contredit. […] En même temps que les Vies de Plutarque enivrent les âmes imprégnées de l’amour de la gloire, et à qui ces éloges des plus hautes manifestations de l’énergie personnelle qui se soient produites dans la vie de l’humanité, montrent la voie où elles voudraient marcher, toute l’œuvre de Plutarque séduit comme déterminant assez exactement le domaine de ce que devra être la littérature : morale et dramatique. […] Nous autres ignorants, étions perdus, si ce livre ne nous eût relevés du bourbier : sa merci, nous osons à cette heure et parler et écrire ; les dames en régentent les maîtres d’école ; c’est notre bréviaire. » Ne s’y reliât-il que par Montaigne, Amyot serait encore un des facteurs essentiels du xviie siècle classique : en lui se résume l’apport de l’humanisme dans la constitution de l’« honnête homme » et de la littérature morale.
On a dit qu’il aboutissait à une morale qui, sur des points essentiels, contredit celle des honnêtes gens. Mais, en réalité, on n’a pu lui faire tenir le langage qu’on lui a prêté qu’en faussant les principes sur lesquels il repose. jamais, je crois, Taine, n’eût accepté de regarder la morale comme la simple conclusion d’un syllogisme dont telle ou telle théorie psychologique ou philosophique aurait fourni les prémisses. La morale est une réalité vivante et agissante ; c’est un système de faits donnés ; en faire l’étude du point de vue de la science *, ce n’est pas chercher à la mettre d’accord avec telle ou telle doctrine métaphysique, c’est l’observer telle qu’elle est et tenter de l’expliquer.
J’aime qu’il reproche à La Mettrie de n’avoir pas les premières idées des vrais fondements de la morale, « de cet arbre immense dont la tête touche aux cieux, et dont les racines pénètrent jusqu’aux enfers, où tout est lié, où la pudeur, la décence, la politesse, les vertus les plus légères, s’il en est de telles, sont attachées comme la feuille au rameau, qu’on déshonore en l’en dépouillant. » Ceci me rappelle une querelle qu’il eut un jour sur la vertu avec Helvétius et Saurin ; il en fait à mademoiselle Voland un récit charmant, qui est un miroir en raccourci de l’inconséquence du siècle. […] Mais Socrate, à ma place, la leur aurait arrachée. » Il dit en un endroit au sujet de Grimm : « La sévérité des principes de notre ami se perd ; il distingue deux morales, une à l’usage des souverains. » Toutes ces idées excellentes sur la vertu, la morale et la nature, lui revinrent sans doute plus fortes que jamais dans le recueillement et l’espèce de solitude qu’il tâcha de se procurer durant les années souffrantes de sa vieillesse. […] C’est un admirable petit cours de morale pratique, sensée et indulgente ; c’est de la raison, de la décence, de l’honnêteté, je dirais presque de la vertu, à la portée d’une jolie actrice, bonne et franche personne, mais mobile, turbulente, amoureuse. […] On était dans un siècle d’analyse et de destruction, on s’inquiétait bien moins d’opposer aux idées en décadence des systèmes complets, réfléchis, désintéressés, dans lesquels les idées nouvelles de philosophie, de religion, de morale et de politique s’édifiassent selon l’ordre le plus général et le plus vrai, que de combattre et de renverser ce dont on ne voulait plus, ce à quoi on ne croyait plus, et ce qui pourtant subsistait toujours. […] Garat présageait par ce trait son talent de plume, mais aussi sa légèreté morale.