Ceci à seule fin de fixer la ligne où s’arrête ce monde équivoque, singeant assez habilement ce vrai monde dans lequel il voudrait entrer, et qui ne consentira jamais à lui ouvrir ses portes. […] » est venue au monde pour aimer, pour être aimée. […] C’est justement contre ce monde d’exception qu’il faut réagir, monde dangereux et pour le lecteur et pour celui qui l’exploite. […] monde impur, traître monde. […] Et la fille qu’elle vient de mettre au monde a pour père un misérable !
Il se contente d’être un honnête homme selon le monde, et, si M. […] Pailleron, Le Monde où l’on s’ennuie. […] Pas le moins du monde. […] Point du tout ; elle se répète sans cesse dans le monde. […] Pas le moins du monde.
Laya le redit à sa manière, presque dans les mêmes termes : “Mon père a le meilleur cœur du monde ; mais il n’a pas ces allures larges, cette science des hommes qui se résume en un mot : l’indulgence.” […] Si dans quelques pièces précédentes qui roulaient à peu près sur les mêmes personnages, et dont les situations étaient empruntées à un monde au moins très voisin de celui-là, la nature même des scènes et des tableaux nuisait à la leçon qui en pouvait résulter ; si l’exemple avait sa contagion à première vue, et son rapide attrait avant que le dégoût eût opéré, il n’en est pas ainsi de la nouvelle pièce, où l’auteur a su très bien observer et saisir, pour le lui mieux enlever, le faux vernis d’honnêteté dont se couvre précisément ce monde limitrophe, qui voudrait bien par moments s’incorporer à l’autre et s’en faire reconnaître. […] À cela il a été répondu, moins comme contradiction directe à ce que ces éloges avaient, liitérairement, de mérité, que comme correctif et au point de vue où la commission avait à juger l’ouvrage, qu’il ne paraissait point du tout certain que la peinture fidèle de ce vilain monde fût d’un effet moral aussi assuré ; que le personnage même le plus odieux de la pièce avait encore bien du charme ; que le personnage même le plus honnête, et qui fait le rôle de réparateur, était bien mêlé aux autres et en tenait encore pour la conduite et pour le ton ; que le goût du spectateur n’est pas toujours sain, que la curiosité est parfois singulière dans ses caprices, qu’on aime quelquefois à vérifier le mal qu’on vient de voir si spirituellement retracé et si vivant ; que, dans les ouvrages déjà anciens, ces sortes de peintures refroidies n’ont sans doute aucun inconvénient, et que ce n’est plus qu’un tableau de mœurs, mais que l’image très vive et très à nu, et en même temps si amusante, des vices contemporains, court risque de toucher autrement qu’il ne faudrait, et qu’il en peut sortir une contagion subtile, si un large courant de verve purifiante et saine ne circule à côté.
Il était providentiel, en quelque sorte, que ce fût un juif qui, le premier, du point de vue saint-simonien, réhabilitât à son rang dans la tradition cette société religieuse, la plus forte qui ait jamais existé, et donnât la clef de l’obstination mystérieuse du peuple dispersé qui sert de spectacle au monde. […] L’institution politique qu’il produisit depuis Grégoire VII jusqu’à Léon X fut perpétuellement battue en brèche et manqua d’un ciment durable : ce qu’il réussit à jeter dans le monde, ce fut le réseau invincible entre les âmes. Or, voilà pourquoi le christianisme est resté en chemin de son œuvre ; voilà pourquoi de Maistre, génie autant mosaïque qui catholique, ne conçoit pas que Dieu, auteur de la société des individus, n’ait pas poussé l’homme, sa créature chérie et perfectible, jusqu’à la société des nations ; voilà pourquoi les juifs s’obstinent à contempler avec un sentiment orgueilleux de supériorité leur loi, si complète en elle-même, que le christianisme a brisée avant d’avoir à rendre au monde l’unité définitive ; voilà pourquoi la religion de l’avenir, qui devra renfermer tous les caractères du judaïsme et du christianisme, renfermera aussi dans ses temples les juifs et les chrétiens, en les mettant d’accord, selon qu’il a été dit dans les anciennes et les nouvelles Écritures. […] On y verra clairement jusqu’où peut aller, en aperçus ingénieux de l’avenir, la philosophie sans la foi, la sagesse sans la religion ; on se demandera quel bonheur il revient au genre humain d’une idée isolée, trouvée une fois lancée dans le monde pour le plus grand plaisir de quelques penseurs, et à laquelle toute une vie d’amour et de dévouement n’a pas été consacrée ; on admirera Lessing ; on saluera en passant, avec bienveillance et respect, la statue de marbre du sage, mais on se jettera en larmes dans les bras de Saint-Simon ; on se hâtera vers l’enceinte infinie où l’humanité nous convie par sa bouche, et où l’on conviera en lui l’humanité ; on courra aux pieds de l’autel aimant et vivant, dont il a posé, et dont il est lui-même la première pierre4.
Il semble que notre propre destinée se perde au milieu du monde qui se découvre à nos yeux ; que des réflexions, qui tendent à tout généraliser, nous portent à nous considérer nous-mêmes comme l’une des millièmes combinaisons de l’univers, et qu’estimant plus en nous la faculté de penser que celle de souffrir, nous donnons à l’une le droit de classer l’autre. […] Le joug d’une loi commune à tous, ne fait point naître ces mouvements de rage qu’un sort sans exemple exciterait ; en réfléchissant sur les générations qui se sont succédées au milieu des douleurs, en observant ces mondes innombrables, où des milliers d’êtres, partagent simultanément avec nous le bienfait ou le malheur de l’existence, l’intensité même du sentiment individuel s’affaiblit, et l’abstraction enlève à soi-même. […] Quelques anciens, exaltés sur les jouissances de l’étude, se sont persuadés que le paradis consistait seulement dans le plaisir de connaître les merveilles du monde ; celui qui s’instruit chaque jour, qui s’empare du moins de ce que la Providence a abandonné à l’esprit humain, semble anticiper sur ces éternelles délices et déjà spiritualiser son être. […] Je relis sans cesse quelques pages d’un livre intitulé : La Chaumière indienne ; je ne sais rien de plus profond en moralité sensible que le tableau de la situation du Paria, de cet homme, d’une race maudite, abandonné de l’univers entier, errant la nuit dans les tombeaux, faisant horreur à ses semblables sans l’avoir mérité par aucune faute ; enfin, le rebut de ce monde, où l’a jeté le don de la vie.
Il n’hésitera pas à nommer les convolvulus, les scolopendres, les champignons, les francolins, les oies sauvages, les palétuviers, les cocotiers, les calebassiers, les êtres les plus humbles et les plus vulgaires, les plus étranges et les plus inconnus du inonde végétal et du monde minéral. […] Notre monde effraie, dégoûte sa pauvre âme : elle revient, et meurt dans un naufrage, sous les yeux de Paul. […] Ici, nous sommes dépaysés ; et l’étrangeté de ce monde exotique a une force particulière pour exciter en nous le sentiment des beautés naturelles. […] Sur le monde malade d’un abus d’esprit, lassé de la vie la plus artificielle qui fut jamais, disposé déjà par Jean-Jacques à goûter le sentiment plus que la pensée, cette églogue rafraîchissante tomba.