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1372. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Vendredi 16 janvier Eugène Carrière, qui vient dîner à Auteuil, avec Geffroy, m’apporte pour la collection de « Mes Modernes » un portrait dudit Geffroy, sur le parchemin blanc de son bouquin : Notes d’un journaliste, un portrait ayant une étroite parenté avec les belles choses enveloppées des grands peintres italiens du passé. […] Nous recausons après dîner avec Rodin, et je lui dis que l’œil de l’Europe ancienne et moderne était et est resté plus sensible à la ligne qu’à la couleur, et je lui donnai cet exemple des vases étrusques dont toute la beauté vient de la silhouette des figurines, tandis que dans la céramique de la Chine et du Japon, c’est avant tout la tache colorée qui en fait la beauté. […] Et copiant ce papyrus, j’avais comme le sentiment de m’être endormi dans l’escalier, de m’être assoupi dans un endroit public, et de faire un rêve, où la galopade de deux gamins en gros souliers, descendant les marches à cloche-pied, ou la bruyance simiesque d’une jeune négresse en joie, ou la dissertation, pleine de consonnes, d’archéologues tudesques, ou le regard par-dessus mon épaule d’un Égyptien d’aujourd’hui, coiffé du fez classique, ou l’opoponax odorant d’une cocotte, me frôlant de l’envolée du voile de son chapeau, ou enfin les bruits, les parfums, le contact des gens : toutes les émanations modernes de la vie vivante traversaient légèrement mon rêve dans le vieux passé, sans interrompre mon ensommeillement. […] Jeudi 27 août Les arbres, tels que je les vois avec mon œil de myope, à travers mon lorgnon n° 12, ne ressemblent en rien aux arbres peints, dans les tableaux anciens et modernes. […] C’est cette création qui fait l’immortalité du livre ancien ou moderne.

1373. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — I. » pp. 88-109

Belin, et encore moins déprécier Fernel, auquel il décerne le premier rang entre les modernes, mais qui pourtant était homme et a pu faillir ; il ajoute : Je vous tiens pour Minerve et au-delà ; mais j’ai de quoi montrer (absque jactantia dixerim) que je ne suis point du tout dépourvu de ses faveurs, après l’huile que j’y ai usée, et une bonne partie de ma santé que j’y ai prodiguée. […] Ce Renaudot qui avait titres et qualités : « Docteur en la faculté de médecine de Montpellier, médecin du roi, commissaire général des pauvres, maître et intendant général des bureaux d’adresse de France », était un homme à idées modernes comme plus tard l’a été Charles Perrault.

1374. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

Le livre de La Boétie n’est autre chose qu’un des mille forfaits classiques qui se commettent au sortir de Tite-Live et de Plutarque, et avant qu’on ait connu le monde moderne ou même approfondi la société antique. […] Du moins l’éditeur de 1833, M. de Lamennais, a eu le mérite de la franchise ; il a fait sa préface et l’a dirigée contre qui de droit, absolument comme si l’on vivait sous Tibère : « La Terreur a régné en Europe il y a quarante ans, disait-il : il serait curieux de voir aujourd’hui sur une couronne le bonnet rouge de Marat. » L’année suivante (1836), on réimprimait le même traité de La Servitude volontaire, transcrit en langage moderne pour être plus à la portée d’un chacun, voire des moins aisés, par Adolphe Rechastelet, anagramme de Charles Teste (Bruxelles et Paris).

1375. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

Elle trouve l’âme et le charme de la beauté moderne : la physionomie. […] La société moderne n’est pas si déshéritée !

1376. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

La bonne foi, le bon sens, le désir sincère de marcher selon la Charte et dans la voie de conciliation du passé avec les intérêts modernes étaient alors chez Louis XVIII et dans la partie éclairée du ministère Richelieu, de même que, douze et quinze ans plus tard, les rôles étant changés et intervertis, ce bon sens et ce désir étaient dans la Chambre, et la déraison sur le trône et alentour. […] Il eut, à son début, sa journée d’éclat (28 octobre 1815), lorsque répondant à M. de Kergorlay qui s’attaquait à l’inviolabilité des biens nationaux et qui prétendait l’infirmer au nom de mille exemples historiques, anciens et modernes, allégués en preuve de l’éternelle vicissitude des choses et de l’instabilité des institutions humaines, il éleva et opposa, en face de ce spectacle philosophique trop décourageant, le point de vue du vrai politique et de l’homme d’État, qui doit se placer, au contraire, et raisonner constamment dans la supposition de la stabilité et, s’il se pouvait, de l’éternité des lois sur lesquelles la société repose, et qui doit d’autant plus paraître s’y fier et les proclamer durables, que l’on vient d’échapper à de plus grands orages : « Voilà, s’écriait-il, voilà ce qu’il faut espérer, ce qu’il faut vouloir, voilà ce qu’il faut, s’efforcer de voir et de démontrer comme le résultat possible et même assuré d’une conduite où la sagesse se trouvera heureusement combinée avec la fermeté.

1377. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Tout peut se dire ; toutes les opinions sincères ont le droit de sortir et de s’exprimer ; il y a, certes, lieu pour des critiques doctes et fins de disserter longuement et de faire mainte distinction à propos d’Horace Vernet ; mais le ton de Gustave Planche parlant d’un homme de ce talent et de cette renommée, d’un homme de ce passé et de cet avenir, qui était à la veille de se développer de plus en plus, et qui allait nous traduire aux yeux notre guerre d’Afrique, nous montrer notre jeune armée en action, à l’œuvre, dans sa physionomie toute moderne et expressive, ce ton est d’une insolence et d’une fatuité vraiment ineffables : « À ne peser que les cendres de sa gloire, s’écrie-t-il, nous les trouvons légères, et nous les jetons au vent ! […] On peut croire toutefois que ces excès de la critique, à partir d’un certain moment, contribuèrent peut-être à le tenir plus en garde et en méfiance qu’il ne l’aurait été sans cela contre les tentatives coloristes modernes.

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