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503. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Or, ceci bien posé, il est aisé de rétablir en leur vraie place et de voir en leur vrai jour les hommes originaux du temps, qui, dans leur conduite ou dans leurs œuvres, ont fait autre chose que remplir le programme du maître. […] Il ne tarda pas à en sortir ; et son père, en le mariant, lui transmit sa charge de maître des eaux et forêts. […] Ces plaines immenses de blés où se promène de grand matin le maître, et où l’allouette cache son nid ; ces bruyères et ces buissons où fourmille tout un petit monde ; ces jolies garennes, dont les hôtes étourdis font la cour à l’aurore dans la rosée et parfument de thym leur banquet, c’est la Beauce, la Sologne, la Champagne, la Picardie ; j’en reconnais les fermes avec leurs mares, avec les basses-cours et les colombiers ; La Fontaine avait bien observé ces pays, sinon en maître des eaux-et-forêts, du moins en poëte ; il y était né, il y avait vécu longtemps, et, même après qu’il se fut fixé dans la capitale, il retournait chaque année vers l’automne à Château-Thierry, pour y visiter son bien et le vendre en détail ; car Jean, comme on sait, mangeait le fonds avec le revenu.

504. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

La satire fait comme un accompagnement railleur aux préceptes didactiques : mais cela même, et certains dénis de justice, certaines duretés, font du poème une œuvre de polémique autant que de théorie : c’est le langage d’un homme qui ne sent pas encore son autorité très affermie ; un maître qui enseigne à plus de mesure et d’impartialité. […] On les honore de bouche : on n’en fait pas les maîtres de la pensée et du cœur. […] Rhétoriciens excellents — mais purs rhétoriciens, — ils font apparaître les anciens, et même Homère, Comme d’incomparables maîtres de rhétorique : en dix ans de commerce assidu avec les chefs-d’œuvre latins ou grecs, un jeune homme acquiert un trésor de pensées belles à citer dans leur forme parfaite, et l’art d’étendre lui-même des lieux communs ou de les condenser en sentences ; jamais il n’aura senti vivre dans un texte grec l’âme de la Grèce, ou de tel Grec ; il ne se doutera pas qu’on peut tirer d’une phrase d’orateur ou d’une période poétique des émotions aussi profondes et de même ordre que celles qu’excite un temple ou une statue. […] Les romantiques furent excusables de tirer dessus : quoique, peut-être, il eût mieux valu arracher aux Baour-Lormian et aux Viennet l’illusion qui les rendait forts, et tourner contre eux le maître et les modèles même dont ils se croyaient les défenseurs.

505. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Pour bien juger ce maître irréparable, il faut se souvenir que l’œuvre de sa vie est une histoire de la religion : Histoire des origines du Christianisme, Histoire d’Israël. […] Une conception de l’univers et de la vie s’affirme dans ces œuvres maîtresses qui ont rempli l’existence de Renan : la même qui nous est renvoyée par ces essais de toute sorte, où sa pensée se reposait, où se jouait sa fantaisie, études d’histoire, de critique ou de morale, dialogues ou drames philosophiques, et toutes ces allocutions, confidences, propos, où d’un mot le maître donnait le contact et le secret de son âme. […] Mais il a agi sur quelques intelligences, quelques âmes d’élite, et par elles passe, par elles surtout passera dans le domaine commun de la pensée le meilleur de l’œuvre du maître. […] Trois de ces Mémoires me paraissent se distinguer dans la foule : ceux de Mme de Rémusat943, qui a pour ainsi dire donné le branle, une femme intelligente, curieuse, un peu commère ; ceux de Marbot944, un soldat, très brave et pas du tout paladin, qui nous donne la note très juste et très réelle de l’héroïsme militaire du temps, mélange curieux de naturelle énergie, d’amour-propre excité et d’ambition d’avancer ; ceux enfin de Pasquier945, un honnête homme sans raideur, excellent serviteur de tous les régimes pour des motifs légitimes, fidèle à ses maîtres sans servilité, à sa fortune sans cynisme, et très clairvoyant spectateur de toute l’intrigue politique ou policière qui se machinait derrière le majestueux tapage des batailles946.

506. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

Ils frissonnent sous l’œil du maître, Son ombre les rend malheureux. […] Pourtant ils invitaient Louise Michel et les compagnons anarchistes à leurs réunions et c’est à l’influence anarchiste qu’il faut attribuer leur mépris des règles et des maîtres et leur obstination à ne vouloir, dans toutes les questions de métrique et de forme, se réclamer que de leur caprice. […] Sans doute pour rattraper la gaffe et s’excuser, Samain argua-t-il de son dénuement qui ne lui avait pas permis de se procurer les œuvres du Maître. […] Voilà ce que c’est que d’aborder les maîtres sans avoir fait provision de courtisanerie ni s’être instruit, au préalable, de leurs petites manies.

507. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Louis Le  Cardonnel, avec qui il était en relations, se chargea de le conduire chez le maître. […] Le poète s’y révélait comme un héritier avantagé des Rivarol, des Chamfort, de ces maîtres qui faisaient tenir en un mot la substance d’un livre et poussèrent l’art de causer dans son intégrale perfection31. […] Retté lui fait grief, en nous expliquant la genèse d’une des pièces les plus hermétiques du maître : Jamais un coup de dés n’abolira le hasard. […] Poizat, esprit sage et prudent et que requièrent peu les aventures, écrit dans son Histoire du Symbolisme : « Nul poète ne mérite autant que Mallarmé ce titre de maître si facilement prodigué. » M. 

508. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

Un élève de Condillac te donnera, ombre de disciple, une ombre de maître. […] J’aurais pu, par le crime qu’on espère cacher toujours mais qu’un hasard découvre, aller jusqu’à l’échafaud. » Les vertèbres secouées par un glissement froid, il a montré le poing à son maître, avec de grands cris de malédiction : « Prends donc garde, toi, à ce que tu mets dans tes flacons. […] Et « les cartes de tarot » et « la princesse peinte par Pisanello » et « le piédestal d’argent du haut crucifix de Verrocchio » et, en un mot, « tous les objets du musée, alors comme aujourd’hui, entouraient leur maître ». […] Charles Godard, qui auréole sa signature de divers titres éblouissants tels que « professeur agrégé de l’Université » ou bien encore « membre associé franc-comtois de l’académie de Besançon », est naturellement un esprit docile qui suit toujours quelque maître de très près et tremble de laisser échapper la traîne conductrice.

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