Palissot : sa Tragi-Comédie, intitulée l'Amour tyrannique, que le Poëte Sarasin compare à tout ce qu'il y avoit alors de plus parfait, ne mérite pas le grand succès qu'elle eut dans le temps qu'on la donna, mais elle ne mérite pas non plus le mépris qu'on en fait à présent ; ses Observations sur le Cid sont au dessus de toutes les Critiques de son Siecle, sans en excepter celle de Barbier d'Aucourt. […] parce que le premier de nos Satiriques l'aura tourné en ridicule ; parce que Chapelle & Bachaumont auront plaisanté avec esprit sur son Gouvernement de Notre-Dame de la Garde : il ne s'ensuit pas qu'on doive oublier tout le mérite qu'il avoit, à plusieurs égards.
Le Correge qui n’étoit pas encore sorti de son état, quoiqu’il fut déja un grand peintre, étoit si rempli de ce qu’il entendoit dire de Raphaël, que les princes combloient à l’envi de présens et d’honneurs, qu’il s’étoit imaginé qu’il falloit que l’artisan, qui faisoit une si grande figure dans le monde, fût d’un mérite bien superieur au sien qui ne l’avoit pas encore tiré de sa médiocrité. En homme sans expérience du monde, il jugeoit de la superiorité du mérite de Raphaël sur le sien, par la difference de leurs fortunes. […] Au contraire, rien ne décele mieux l’homme né sans génie, que de le voir examiner avec froideur, et discuter de sens rassis, le mérite des productions des hommes qui excellerent dans l’art qu’il veut professer. […] Ce que je regarde comme un mauvais présage, c’est qu’un jeune homme soit peu touché de l’excellence des productions des grands maîtres : c’est qu’il n’entre point dans une espece d’enthousiasme en les lisant : c’est qu’il ait besoin, pour connoître s’il doit les estimer, de calculer les beautez et les défauts qu’il y compte, et qu’il ne forme son avis sur leur mérite qu’après avoir soudé son calcul. […] Ne désabusez pas si-tôt un jeune artisan, trop prévenu sur la consideration que son art mérite, et laissez-lui croire du moins durant les premieres années de son travail, que les hommes illustres dans les arts et dans les sciences, tiennent encore aujourdhui le même rang dans le monde qu’ils y tenoient autrefois en Grece.
On voit combien ce nom et le souvenir d’une ancienne grandeur en imposaient encore : « L’orateur, dit-il, craint de faire entendre devant les héritiers de l’éloquence romaine, ce langage inculte et sauvage d’au-delà des Alpes, et son œil effrayé croit voir dans le sénat les Cicéron, les Hortensius et les Caton assis auprès de leur postérité pour l’entendre. » Il y a trop d’occasions où il faut prendre la modestie au mot, et convenir de bonne foi avec elle qu’elle a raison ; mais ici il y aurait de l’injustice : l’orateur vaut mieux qu’il ne dit ; s’il n’a point cet agrément que donnent le goût et la pureté du style, il a souvent de l’imagination et de la force, espèce de mérite qui, ce semble, aurait dû être moins rare dans un temps où le choc des peuples, les intérêts de l’empire et le mouvement de l’univers, qui s’agitait pour prendre une face nouvelle, offraient un grand spectacle et paraissaient devoir donner du ressort à l’éloquence : la sienne, en général, ne manque ni de précision, ni de rapidité. […] Cet ouvrage est parvenu jusqu’à nous, et il a, en grande partie, les défauts de ce temps-là ; mais l’évêque qui osa reprocher au maître du monde le meurtre de Thessalonique, et commanda à son empereur d’expier devant les hommes et devant Dieu un crime que des courtisans féroces avaient conseillé et que des courtisans lâches n’avaient pas manqué d’applaudir, mérite bien grâce pour les défauts de goût, et pour quelques phrases peut-être ou faibles ou barbares. […] À examiner en général le règne de ce prince, ses succès, ses triomphes, son application au gouvernement, enfin le mérite qu’il eut, et qu’il partagea avec si peu de souverains, de devenir meilleur en montant sur le trône, il paraît avoir mérité une partie de ces hommages. […] Gratien, qui eut de la faiblesse et du zèle, qui posséda peut-être le courage militaire, mais à qui le courage d’esprit et les talents manquèrent, que les écrivains d’un parti ont comparé aux meilleurs princes, que ceux du parti contraire ont comparé à Néron ; Gratien, dont le plus grand mérite peut-être est d’avoir, élevé Théodose à l’empire, et qui, après un règne de huit ans, mourut à vingt-quatre, vaincu à Paris et assassiné à Lyon, eut aussi ses panégyristes. […] L’ouvrage n’a aucun mérite pour le fond ; et, à l’égard du style, il est quelquefois ingénieux, mais sans goût, sans harmonie et sans grâce.
Vigneil-Marville, l’Abbé Bourzeis, l’Abbé Fraguier, Fontenelle, &c. ont rendu les plus grands hommages à son mérite. […] Ce n’est pas ainsi qu’il procéda dans son établissement : le mérite & les défauts des Ouvrages y étoient appréciés avec autant de lumieres que de courage & d’équité. Il est vrai que cette liberté de prononcer sur les Ecrivains, qui, en général, ne demandent que des Panégyristes, lui attira des disgraces, & en occasionna la suppression pour quelque temps : mais l’autorité comprit bientôt qu’il n’étoit pas moins essentiel de maintenir les loix de la Littérature, que celle de la subordination dans les autres ordres de l’Etat ; qu’il sera toujours avantageux aux Littérateurs d’être instruits, redressés, & contenus dans les bornes qu’ils ne doivent pas franchir ; que le bon usage des connoissances & des talens est un objet essentiel à l’intérêt & aux agrémens de la société ; que l’abus de ces deux puissans ressorts, dignes de toute l’attention de la Politique, entraîne toujours des suites dangereuses ; qu’un esprit éclairé, courageux, inflexible, mérite de l’encouragement, & ne doit point être livré à d’injustes persécutions.
Les gens de bien, d’honneur, bons juges en pareil cas, et témoins de tout ce qui s’est passé, me feront peut-être plus d’honneur que je n’en mérite, par l’approbation qu’ils donneront à ma conduite. […] Je ne sais quel jugement fera le public de cette campagne ; mais je t’assure qu’à la suivre de près, j’ai plus de mérite que de celle de l’année passée. […] Je lui ai répondu qu’il fallait se laisser juger ; que les campagnes heureuses sautaient aux yeux, que les autres demandaient trop de discours en public pour en faire connaître le mérite. […] Je crois que c’est l’approbation qu’elle mérite. » Tout cela est d’une grande bonhomie et simplicité d’âme. […] Alceste paraît avoir été un Philinte auprès de ce Rubentel qu’on ne put garder au service malgré son mérite et qui s’en alla vivre et mourir seul à Paris, disgracié, irrité, pestant contre les humains et gardant une dent contre quiconque était plus heureux que lui.
Est-ce d’abord par le rare discernement qu’il fit paroître, en préférant le mérite des Modernes à celui des Anciens ? […] On ne peut nier qu’il ne l’ait eu plein de gaieté, de politesse, de modération, qualités qui transpirent dans ses Ecrits, & bien supérieures au mérite de faire de bons Ouvrages ; mais sont-ce-là des titres pour prétendre aux honneurs de la Philosophie ? […] « Si l’on en excepte Perrault, dont le Versificateur Boileau n’étoit pas en état d’apprécier le mérite, & quelques autres, tels que la Motte, Terrasson, Boindin, Fontenelle, sous lesquels la raison & l’esprit philosophique ont fait de si grands progrès, il n’y avoit peut-être pas un homme [dans le Siecle dernier] qui eût écrit une page de l’Encyclopédie qu’on daignât lire aujourd’hui ».