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421. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

J’entends que ma mère mourra, Et le sait bien, la pauvre femme ; Et le fils pas ne demeurera. […] Père, mère, petits et grands, Pâris et Hélène, les dames et les seigneurs du temps jadis, papes, empereurs et dauphins, sont morts : donc tous les hommes meurent Voilà l’induction, qui tire la loi d’une collection de faits particuliers. […] Et toutes les mères s’acharnant par amour maternel à recommander leurs fils, tous ces amours étant égaux et également sacrés, tous les jeunes gens auraient même droit au diplôme.

422. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

Aujourd’hui que le vice ne m’est plus bon et que je ne suis plus bon au vice, c’est une jeune fille qui a l’air décent et modeste, la démarche composée, le regard timide, et qui marche en silence à côté de sa mère, qui m’arrête et me charme. […] Si notre religion n’était pas une triste et plate métaphysique ; si nos peintres et nos statuaires étaient des hommes à comparer aux peintres et aux statuaires anciens : j’entends les bons, car vraisemblablement ils en ont eu de mauvais et plus que nous, comme l’Italie est le lieu où l’on fait le plus de bonne et de mauvaise musique ; si nos prêtres n’étaient pas de stupides bigots ; si cet abominable christianisme ne s’était pas établi par le meurtre et par le sang ; si les joies de notre paradis ne se réduisaient pas à une impertinente vision béatifique de je ne sais quoi qu’on ne comprend ni n’entend ; si notre enfer offrait autre chose que des gouffres de feux, des démons hideux et gothiques, des hurlements et des grincements de dents ; si nos tableaux pouvaient être autre chose que des scènes d’atrocités, un écorché, un pendu, un rôti, un grillé, une dégoûtante boucherie ; si tous nos saints et nos saintes n’étaient pas voilés jusqu’au bout du nez ; si nos idées de pudeur et de modestie n’avaient proscrit la vue des bras, des cuisses, des tétons, des épaules, toute nudité ; si l’esprit de mortification n’avait flétri ces tétons, amolli ces cuisses, décharné ces bras, déchiré ces épaules ; si nos artistes n’étaient pas enchaînés et nos poètes contenus par les mots effrayants de sacrilège et de profanation ; si la Vierge Marie avait été la mère du plaisir ; ou bien, mère de Dieu, si c’eût été ses beaux yeux, ses beaux tétons, ses belles fesses qui eussent attiré l’Esprit Saint sur elle, et que cela fût écrit dans le livre de son histoire ; si l’ange Gabriel y était vanté par ses belles épaules ; si la Magdelaine avait eu quelque aventure galante avec le Christ ; si aux noces de Cana le Christ entre deux vins, un peu non-conformiste, eût parcouru la gorge d’une des filles de noces et les fesses de saint Jean, incertain s’il resterait fidèle ou non à l’apôtre au menton ombragé d’un duvet léger : vous verriez ce qu’il en serait de nos peintres, de nos poètes et de nos statuaires ; de quel ton nous parlerions de ces charmes qui joueraient un si grand et si merveilleux rôle dans l’histoire de notre religion et de notre Dieu, et de quel œil nous regarderions la beauté à laquelle nous devrions la naissance, l’incarnation du Sauveur, et la grâce de notre rédemption. […] Il semble qu’on vous propose là d’aller coucher avec la mère de votre dieu.

423. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

De dures années, pendant lesquelles il ne reçut pas un bout de lettre de sa mère, de sa mère qui avait une telle adoration pour son mari, que dans la crainte de le contrarier, elle ne donna à son fils, pendant tout ce long temps, signe de vie, de tendresse maternelle. […] Daudet me parlait aujourd’hui de sa mère, dont il tient plus que de son père ; de celui-ci il n’aurait que les violences. Cette mère dont il cause volontiers, il me la peint, avec des paroles tendres. […] Je me revoyais aujourd’hui, rue Pinon, dans le grand lit de ma mère. D’un côté il y avait mon oncle Armand, à la jolie tête d’un ancien officier de hussards, de l’autre côté ma mère pleurant.

424. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Ménalcas, qui n’est ni si libre ni si noble que son ami, répond qu’il ne déposera pas un agneau, parce qu’il a un père et une mère difficiles qui comptent tout le troupeau chaque soir. […] Quand Polyphème, pour tenter la Nymphe, lui promet quatre petits ours, quand il lui dit qu’il l’aime mieux que son œil unique, et qu’il consentirait à ce qu’elle le lui brûlât, c’est naturel, c’est même touchant encore ; mais quand il regrette que sa mère ne l’ait pas fait naître avec des branchies afin de pouvoir nager comme les poissons, quand il se montre déjà tout amaigri, et que, pour punir sa mère de ne pas lui être serviable, pour la faire enrager (comme dit Fontenelle), il menace de se plaindre de je ne sais quel mal à la tête et aux pieds, la mignardise décidément commence, et elle va jusqu’à la mièvrerie. Cela ressemble trop à une parodie moqueuse, de voir le pâtre colossal le prendre sur ce ton et faire l’enfant, comme l’Amour piqué qui s’en viendrait bouder sa mère. […] « Tout entière je devins plus froide que la neige ; du front la sueur me découlait à l’égal des rosées humides ; je ne pouvais plus parler, pas même autant que dans le sommeil les petits enfants bégaient en vagissant vers leur mère. […] Car il faudrait que deux fois l’an, par les prairies, les mères des agneaux donnassent à tondre leurs molles toisons en faveur de Theugénis aux pieds fins, tant elle est une active travailleuse !

425. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Sa mère, Helvia, femme supérieure par le courage et la vertu, comme toutes les mères où se moulent les grands hommes, l’enfanta sans douleurs. Un génie apparut à sa nourrice, dit la rumeur antique, et lui prédit qu’elle allaitait, dans cet enfant, le salut de Rome, ce qui signifie que la physionomie et le regard de cet enfant répandaient dans le cœur de sa mère et de sa nourrice on ne sait quel pressentiment de grandeur et de vertu innées. […] VII Ces aptitudes et ces goûts oratoires et littéraires de la famille de Cicéron, et la tendresse qui se change en ambition pour son fils dans le cœur d’une noble mère, firent élever dans les lettres grecques et romaines l’enfant, qui promettait de bonne heure tant de gloire à sa maison. […] La rapide et universelle intelligence de l’enfant fit une explosion plutôt que des progrès aux premières leçons qu’il reçut, en sortant du berceau, sous les yeux de sa mère. […] La patrie, qui est notre mère commune, te hait : elle te craint ; depuis longtemps elle a jugé les desseins parricides qui t’occupent tout entier.

426. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

Une seule chose nous choque un peu, Mme Daudet, Porel et moi, c’est au quatrième acte, quand la mère fait la confession à sa fille : qu’elle, — aussi bien que toutes les autres femmes : — a été trompée par son austère mari, et qu’un moment, avant l’explication complète, la fille a la pensée que sa mère a été coupable… Une complication de scène, qui jette de l’antipathique sur la fille. […] Je la vois encore quelques heures avant sa mort, à l’hospice Dubois, sachant qu’elle allait mourir, et préoccupée seulement de l’idée, que la visite que ma mère lui faisait, allait la faire dîner une demi-heure plus tard. […] Samedi 18 juin Mme Daudet me lit des fragments de son livre : Mères et enfants. […] Daudet raconte qu’à l’âge de douze ans, après une absence de chez lui — c’était, je crois, sa première frasque amoureuse — rentrant à la maison, la tête perdue, et s’attendant à une terrible raclée, la porte ouverte par sa mère, il lui venait soudainement l’inspiration de lui jeter : « Le pape est mort !  […] Il aimait beaucoup sa mère, et quand sa mère vint à mourir, il eut l’idée de forger, pour mettre sur sa tombe, un petit saule pleureur.

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