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805. (1890) L’avenir de la science « I »

Non seulement il négligea totalement le vrai et le beau (la philosophie, la science, la poésie étaient des vanités) ; mais, en s’attachant exclusivement au bien, il le conçut sous sa forme la plus mesquine : le bien fut pour lui la réalisation de la volonté d’un être supérieur, une sorte de sujétion humiliante pour la dignité humaine : car la réalisation du bien moral n’est pas plus une obéissance à des lois imposées que la réalisation du beau dans une œuvre d’art n’est l’exécution de certaines règles. […] Mais il y a dans les branches diverses de la science et de l’art deux éléments parfaitement distincts et qui, également nécessaires pour la production de l’œuvre scientifique ou artistique, contribuent très inégalement à la perfection de l’individu : d’une part, les procédés, l’habileté pratique, indispensables pour la découverte du vrai ou la réali-sation du beau ; de l’autre, l’esprit qui crée et anime, l’âme qui vivifie l’œuvre d’art, la grande loi qui donne un sens et une valeur à telle découverte scientifique.

806. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Françoise. » pp. 159-174

Le systême de M. de Montcrif est opposé à celui de Despréaux, qui n’avoit rien tant à cœur que de voir ériger en auteurs classiques nos meilleurs écrivains, & qui vouloit que l’académie Françoise travaillât en conséquence, & s’occupât à les épurer de toutes les fautes de langage, à leur donner force de loi, à les empêcher de vieillir & de tomber journellement. […] L’Italien n’auroit plus sur le François l’avantage d’être fixé : car l’Italien a ses auteurs qui font loi.

807. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution d’Angleterre »

Alors, Dieu vient se mêler à la destinée individuelle ou sociale, en vertu des lois de sa création, mais c’est comme la conclusion inévitable d’un syllogisme, dont les prémisses ont été posées par l’homme, et qui se referme tout à coup sur sa liberté et la brise. […] Comme tous les esprits qui se froidissent en montant, — car l’esprit est soumis dans sa sphère aux lois que subit le corps dans la sienne, — Guizot a touché cette période de la vie morale qui faisait dire à un grand esprit calmé, l’illustre Goethe : « Le temps m’a rendu spectateur. » Pour tout homme, c’est la disposition qui le met le plus près de l’accomplissement de tout son être, qu’il s’appelle d’ailleurs Shakespeare, Machiavel, Walter Scott, trois grands hommes qui eurent aussi, tous les trois, cette froideur d’impartialité qui n’est pas la glace de l’âme, mais la sérénité du génie.

808. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXII. Philosophie politique »

… La Philosophie dont il s’occupe dans son livre n’est pas cette philosophie générale — qui a seule le droit de porter ce nom absolu de Philosophie — et qui a pour prétention de donner la loi de tous les phénomènes. […] Montesquieu n’est pas seulement l’homme d’une constitution comme Sieyès ; il l’est de toutes les constitutions possibles qu’il explique et détaille dans son Esprit des Lois, comme des mécanismes qu’on démonte, pour en faire mieux comprendre le jeu.

809. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

— peut facilement supporter ; mais aimer quand la vieillesse est venue, quand le cœur, selon la loi vulgaire applicable aux créatures humaines, devrait être froidi et se sent jeune encore, par le fait de la loi d’exception qui s’applique aux créatures supérieures, c’est, à coup sûr, le malheur suprême, et Corneille, le sévère, le majestueux, le Romain Corneille, l’a connu !

810. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre V. Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l’honneur des guerriers morts dans les combats. »

La beauté du climat, en développant leur imagination, leur donnait un caractère enthousiaste et sensible ; la liberté élevait leurs âmes ; l’égalité des citoyens leur faisait mettre un grand prix à l’opinion de tous les citoyens ; la loi, en permettant à chacun d’aspirer aux charges, et de décider des affaires de l’État, leur défendait de se mépriser eux-mêmes ; les arts vils, abandonnés à des mains esclaves, les empêchaient de se flétrir sous les travaux ; les exercices et les jeux les donnaient continuellement en spectacle les uns aux autres ; la multitude des petits États établissait des rivalités d’honneur entre les peuples ; enfin, les grands intérêts et les victoires leur donnaient ce sentiment d’élévation qui aspire à la renommée. […] Le père fait lire à son fils cette inscription sur le rocher : Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts pour obéir à ses saintes lois  ; et ils redescendent à travers les rochers, en silence.

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