C’est l’accent du cœur qui le met à part des poètes d’un temps où l’âme se retire de toutes choses devant la sensation et la matière envahissantes… Naturellement, un pareil poète doit être plus ou moins méconnu à une époque vide et pédante où lord Byron lui-même paraît affecté, Lamartine vague, et Alfred de Musset négligé ; car c’est là l’opinion qui commence à courir parmi ceux qui se croient les forts de la littérature actuelle, parmi les poètes matérialistes et réalistes de notre décadence littéraire. […] Il n’est, lui, ni un sonnettiste, ni un ciseleur, les deux petites choses populaires, pour l’instant, en littérature. […] Son esprit, à l’origine de sa vie, a dû être trempé dans cet attendrissement dont Lamartine pénétra tout son siècle, au temps de sa jeunesse, quand, après le sang qu’avait fait couler ce terrible poète de Napoléon Bonaparte, ce fut au tour des larmes de couler… A ce moment unique dans l’Histoire, toutes les imaginations faites pour la poésie s’imbibèrent de celle-là, inconnue dans la littérature française, car avant Lamartine, excepté La Fontaine, en quelques vers trop rares, mais divins, quel poète français avait vraiment rêvé ? […] Si le génie de l’expression rayonne davantage dans Lamartine, si le pathétique de la passion et des larmes est incomparable dans son poème sublime où la nature muette, après les cris qu’y pousse la nature vivante, est peinte avec plus de relief et plus de grandeur que dans Virgile, — et par la raison que la nature vivante s’empreint sur cette nature muette pour la spiritualiser et la transfigurer, — la supériorité morale appartient pourtant à du Clésieux, et la supériorité morale n’est pas une chose indifférente ou vaine en littérature. […] C’est la peinture, et la plus intense, qui domine en littérature.
Avant qu’André Chénier fût couvert de l’écarlate du sien, il n’était qu’un studieux jeune homme plongé dans les littératures grecque et latine, et cachant le poète dans la chrysalide de l’érudit. […] Gabriel de Chénier la question de la notice est bien moins une affaire de poésie et de littérature qu’une affaire de haute moralité. […] André Chénier, qui chercha si longtemps une inspiration dans les littératures anciennes dont le charme — car elles ont un charme, ces Syrenes ! […] Il suffit d’avoir, au berceau, étouffé des serpents, et André Chénier, dès le berceau de sa poésie lyrique, en a étouffé… Supposez que cette tête rêveuse de pasteur grec n’eût pas été tranchée par l’un des derniers coups de la guillotine de Thermidor, et qu’André Chénier, mort à trente et un an, eût échappé à l’échafaud et eût pu répandre dans des vers plus nombreux, dans des pièces de plus longue haleine, la masse d’indignation et d’horreur qui s’était entassée en lui, et qui aurait fait, en ces vers vengeurs, avalanche, la littérature n’aurait peut-être pas, en poésie, d’œuvre plus belle ! […] La notice a descendu l’idéale figure d’André du piédestal qu’il avait dans nos têtes et l’a mis de niveau égal avec tous ceux qui font péniblement de la littérature, et les notules, qui bourrent et surchargent ce livre ailé et envolé depuis longtemps dans sa gloire, nous montrent trop le poète rongé par le versificateur et par l’érudit.
Intermédiaire entre ceux qui écrivent et ceux qui lisent, mais avant tout marchande comme son époque, elle ne tient compte que des profits à faire et elle ne se préoccupe plus du côté élevé de sa fonction et de l’influence très légitime qu’elle pourrait exercer sur l’esprit de son temps et sur son expression, la littérature. […] il n’y a pas trop de mépris en littérature pour ceux-là qui, plus épris du succès que fermes dans leur conscience d’artistes, renoncent à leur originalité, courbent leur talent jusqu’à des compositions infimes, et détrempent les brillantes couleurs de leur palette dans l’eau des lavoirs où la Vulgarité s’abreuve. […] Voilà pourquoi la littérature et la librairie étant jointes par la nature des choses, la Critique, pour être complète, doit les embrasser toutes les deux. Or, si l’état de la littérature, c’est-à-dire la force intellectuelle d’une époque, se juge par le nombre et la distinction des livres qui sortent de la plume de ses écrivains, la librairie, qui est l’instrument et le véhicule plus ou moins intelligent de la littérature, se juge d’abord par l’état de cette dernière ; mais elle se juge surtout par ce qui est bien davantage son action directe, positive, réfléchie, personnelle, et nous n’entendons plus ici les livres nouveaux qu’elle édite, mais les livres anciens qu’elle réimprime.
Certainement, ces sortes de livres ne sont pas les premiers, en fait de romans, dans l’histoire des littératures. […] Après avoir savouré les détails de son livre, qui sont jolis souvent et parfois touchants, après avoir admiré l’adresse et la délicatesse de touche avec laquelle l’auteur, qui est l’amant de son histoire, sauve sa maîtresse de la vileté ordinaire aux femmes comme elle, — car, il faut bien le dire, Louise est de la race aux camélias, dont on abuse vraiment trop dans les romans et au théâtre, et qui fera, si on continue, appeler la littérature française du xixe siècle la littérature des filles entretenues, — on est tout étonné de cette rupture peu intelligible qui vient brusquement clore le livre, et on voudrait se l’expliquer. […] Il y avait à cette histoire d’amour, — et je n’écris pas ce mot avec un mépris léger : les histoires d’amour, en littérature, sont, pour peu qu’on y mette un peu de talent, non pas des redites, mais du renouveau, au contraire, — il y avait trois dénouements possibles, tranchés et vrais tous les trois, et qui auraient fait leçon dans l’esprit du lecteur après avoir fait coup dans son âme. […] III La bibliographie n’est pas toujours de la littérature.
. — Leur curiosité et leur littérature. — Leur chevalerie et leurs amusements. — Leur tactique et leur succès. […] Les Normands en Angleterre. — Leur situation et leur tyrannie. — Ils importent leur littérature et leur langue. — Ils oublient leur littérature et leur langue. — Peu à peu ils apprennent l’anglais. — Peu à peu l’anglais se francise. […] Que diriez-vous d’une société qui, pour toute littérature, aurait l’opéra et ses fantasmagories ? C’est pourtant une littérature de ce genre qui nourrit les esprits au moyen âge. […] Qu’est-ce donc que l’homme a appris dans cette civilisation et par cette littérature ?
Il a vécu et agi ; il n’a point réfléchi ni écrit ; sa littérature nationale se réduit à des fragments et des rudiments, à des chansons de harpistes, à des épopées de taverne, à un poëme religieux, à quelques livres de réforme. En même temps, la littérature normande s’est desséchée ; séparée de la tige, et sur un sol étranger, elle a langui dans les imitations ; un seul grand poëte, presque Français d’esprit, tout Français de style, a paru, et après lui comme avant lui s’étale le radotage irrémédiable. […] Le Français sociable et égalitaire, se rallie autour de son roi qui lui donne la paix publique, la gloire extérieure, et le magnifique étalage d’une cour somptueuse, d’une administration réglée, d’une discipline uniforme, d’une prépondérance européenne et d’une littérature universelle. […] Ils ont voyagé par toute l’Europe, et souvent plus loin ; ils savent des langues et des littératures ; leurs filles lisent couramment Schiller, Manzoni et Lamartine. […] De toutes parts les laïques y aident, et l’avertissement moral, parti de la littérature en même temps que de la théologie, réunit dans un seul accord le monde et le clergé.