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602. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Victor Le Clerc eut l’idée de me faire charger, avec mon ami Charles Daremberg, de diverses commissions dans Les bibliothèques d’Italie, en vue de l’Histoire littéraire de la France et d’une thèse que j’avais commencée sur l’averroïsme. […] Cet homme excellent me dissuada nettement de faire mon entrée dans le monde littéraire avec cet énorme paquet sur la tête. […] Certes, le gros livre d’où tout cela venait, avec sa pesanteur et ses allures médiocrement littéraires, ne lui eût inspiré que de l’horreur. […] Les défauts de cette première construction, en effet, sont énormes, et, si j’avais le moindre amour-propre littéraire, je devrais la supprimer de mon œuvre, conçue en général avec une certaine eurythmie.

603. (1901) La poésie et l’empirisme (L’Ermitage) pp. 245-260

L’individualisation, la spécialisation ont eu pour résultat premier, le divorce complet qui semble à l’heure actuelle officiellement proclamé, non seulement entre des esprits de haute valeur littéraire, mais entre les genres littéraires eux-mêmes, ceux-là qu’on voyait aux grandes époques se développer de concert. […] — rétablir de l’art littéraire une notion plus universelle et plus juste ! […]   Empiriste d’abord, le roman des Goncourt qui fut, qui plus qu’il ne fut encore, voulut être une notation successive d’instants, une sorte de cinématographe littéraire, et dont le souci d’art réel resta extérieur, à fleur de peau, tout pittoresque.

604. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

C’est pourquoi il faut avoir un vaste domaine public littéraire. […] Telle époque, dite grand siècle, et, à coup sûr, beau siècle, n’est autre chose au fond qu’un monologue littéraire. […] 1830 a ouvert un débat, littéraire à la surface, social et humain au fond. […] La salle est comble, la vaste multitude regarde, écoute, aime, toutes les consciences émues jettent dehors leur feu intérieur, tous les yeux éclairent, la grosse bête à mille têtes est là, la Mob de Burke, la Plebs de Tite-Live, la Fex urbis de Cicéron, elle caresse le beau, elle lui sourit avec la grâce d’une femme, elle est très finement littéraire ; rien n’égal les délicatesses de ce monstre.

605. (1864) De la critique littéraire pp. 1-13

Monsieur le Directeur, De la critique littéraire Vous m’avez fait l’honneur de me demander si je voudrais m’associer aux efforts que vous faites pour remettre dans son ancien crédit cette Revue qui a compté et compte encore parmi ses rédacteurs tant d’hommes distingués. […] Comme le zèle des abonnés vous manque plutôt que celui des rédacteurs, que les principales parties des connaissances humaines sont dignement représentées dans votre recueil, et que la poésie en est à peu près exclue pour des raisons de prudence qu’il est inutile de détailler, vous avez cru flatter mes goûts en me proposant une place dans la critique littéraire. […] Je ne craindrai donc pas de vous dire que, dans ma pensée, cette condition de l’impartialité n’écarte pas seulement les préjugés littéraires. […] Mais de toutes les œuvres littéraires, la critique est la plus aisée à mal faire.

606. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Spirituel comme il l’était, homme d’aperçu, distingué, sagace, amoureux des idées qu’il poursuit, mais aimé des images qui lui viennent, il pouvait recommencer une autre campagne contre la fortune littéraire, écrire un autre livre, ramener au premier par le second. […] C’est là, en effet, le mérite incontestable et presque rayonnant de ce livre étrange, souvent forcé, qui ne serait rien de plus qu’un livre excentrique et qui en aurait la destinée si le style n’y mettait pas son âme, et, par le plaisir qu’il nous donne, ne le tirait pas du cercle étroit de la pure curiosité littéraire. […] Cet homme de civilisation raffinée et de littérature volontaire, qui, précisément dans le livre où il a cristallisé laborieusement toutes ses études, toutes ses observations, toutes ses pensées, montre, à dix reprises différentes, le mépris philosophique d’un membre du Congrès de la paix pour cette grande chose qui s’appelle la guerre, a très probablement essayé de donner à sa pensée des formes plus savantes, plus littéraires, plus mandarines ; mais il est resté, quoi qu’il ait pu faire, timbré du casque de soldat. […] Il les a, elles le surmontent, elles le trahissent et le dominent malgré lui, malgré ses sympathies, malgré les notions qu’il se fait du beau littéraire, du beau politique et du beau moral !

607. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Quel critique enfin a signalé au public, d’une façon quelconque, l’existence d’une traduction qui met à sa portée une œuvre littéraire comptée au premier rang dans la littérature espagnole, et qui, de plus, lui fait connaître une de ces prodigieuses individualités, comme on dit maintenant, d’autant plus curieuse qu’elle est inexplicable à la sagacité purement humaine de l’Histoire, mais dont, pour cette raison peut-être, l’Histoire aime peu à s’occuper. […] Mais ne l’entendez pas dans le sens littéraire qui voudrait dire : excessivement intuitive, excessivement profonde, excessivement subtile. […] Moins encore que Pascal, qui songeait peu à faire de la littérature lorsque dans ses Pensées il essayait de se faire de la foi, sainte Térèse, dont la littérature espagnole a le très juste orgueil, n’était pas littéraire, et c’est pourquoi peut-être ce qu’elle nous a laissé est si beau ! […] En restant dans une appréciation purement humaine et littéraire, et en écartant toutes les questions théologiques qui se rattachent à une existence prodigieuse et impossible à expliquer avec les lois physiologiques dont nous sommes si fiers, la Vie de Sainte Térèse, confessée par elle, est un de ces grands fragments de l’esprit humain qui importent à l’esprit humain tout entier.

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