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533. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Nisard et Sainte-Beuve, qu’entre…, mettons entre Corneille, Racine et Molière, et qu’enfin la critique est une représentation du monde aussi personnelle, aussi relative, aussi vaine et, par suite, aussi intéressante que celles qui constituent les autres genres littéraires. […] Au reste, il isole ces œuvres, néglige le plus souvent la personne même des écrivains ; ou, s’il en parle, c’est pour leur attribuer, au nom du libre arbitre, le mérite ou le déshonneur d’avoir servi ou trahi l’idéal littéraire dont il a posé au commencement la définition. […] Ainsi, dogmatique ou scientifique, la critique littéraire n’est jamais, en fin de compte, que l’œuvre personnelle et caduque d’un misérable homme. […] Mais, qu’on l’aime ou non, il faut avouer que son esprit est une des résultantes les plus riches et les plus distinguées de la culture littéraire et morale de la seconde moitié du siècle. […] En somme, le baudelairisme, le renanisme et le beylisme sont des habitudes et des goûts de son esprit, peut-être aussi des acquisitions préméditées d’un artiste qui s’est donné pour tâche de refléter et de porter en lui l’âme d’une certaine époque littéraire.

534. (1890) L’avenir de la science « XIII »

Plusieurs parties de l’histoire littéraire, qui ne sont pas encore suffisamment vivifiées par l’étude immédiate des sources, offrent des inexactitudes compa-rables à celles que commettait le Moyen Âge. […] Les esprits superficiels seraient tentés de croire qu’une intelligence élevée ferait œuvre plus méritoire et plus honorable en écrivant une histoire littéraire de l’Inde, par exemple, qu’en se livrant au labeur ingrat de l’édition des textes et de la traduction. […] Sans doute, il est des superstitions littéraires et des fautes de critique où tombaient fatalement ces premiers humanistes et que nous, aiguisés que nous sommes par la comparaison d’autres littératures, nous pouvons éviter. […] L’histoire littéraire de l’Inde en effet ne sera possible qu’au bout de deux siècles de travaux comme ceux que le XVIe et le XVIIe siècle ont consacrés aux littératures classiques. […] Sans être partisan du communisme littéraire et scientifique, je crois pourtant qu’il est urgent de combattre la dispersion des forces et de concentrer le travail.

535. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Il y a vingt-neuf ans de cela, je le vois encore faire son entrée dans le monde littéraire, d’abord dans le cercle intime de Victor Hugo, puis dans celui d’Alfred de Vigny, des frères Deschamps. […] Dans le présent épisode surtout, les Confessions ont retenti des deux parts, et ce serait le cas de dire avec Bossuet, si nous en avions le droit et si nous n’étions pas des leurs, qu’il y en a « qui passent leur vie à remplir l’univers des folies de leur jeunesse égarée. » L’univers, il faut en convenir aussi, c’est-à-dire la France, s’y est prêtée en toute bonne grâce ; elle a écouté et accueilli avec un intérêt prononcé, et d’une âme encore très littéraire en ce temps-là, tout ce qui du moins lui paraissait éloquent et sincère. […] Le succès qu’obtint à la Comédie-Française cette jolie chose poétique prouva qu’il y avait lieu encore, dans le public, à de l’émotion littéraire délicate quand on la savait éveiller. […] Il n’était pas de ceux que la critique console de l’art, qu’un travail littéraire distrait ou occupe, et qui sont capables d’étudier, même avec emportement, pour échapper à des passions qui cherchent encore leur proie et qui n’ont plus de sérieux objet.

536. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

Sainte-Beuve, empêché par sa santé, la page suivante, qui est un hommage tout littéraire rendu au savant et à l’ami : « Messieurs, ce ne serait point à moi de venir prononcer quelques paroles en l’honneur du savant homme dont le cher et respecté souvenir nous réunit dans cette commémoration funèbre : ce serait à quelqu’un de ses vrais collègues, de ses pairs (parcs), de ses vrais témoins et juges en matière d’érudition : mais ils sont rares, ils sont absents, dispersés en ce moment ; — mais quelques-uns de ces meilleurs juges de l’érudition de Dübner sont hors de France, à Leyde, à Genève, dans les Universités étrangères ; mais Dübner en France, aussi modeste qu’utile, aussi absorbé qu’infatigable dans ses travaux, n’appartenait à aucune académie, et tandis que son illustre compatriote et devancier parmi nous, M.  […] Il n’aurait pu manifester hautement, l’eût-il possédé, le sens littéraire délicat et hardi d’un Cobet. […] Il ne serait même pas impossible de faire un jour, de tous ces morceaux dispersés, un petit recueil d’aménités littéraires philologiques à l’usage des simples amateurs de l’Antiquité, des humanistes curieux et non asservis à la routine. […] Connaissant la nature des richesses littéraires que j’avais rapportées de mes différents voyages, il attachait la plus grande importance à leur prompte publication.

537. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Vitet, l’un des écrivains qui ont le plus contribué comme critiques à l’organisation et au développement des idées nouvelles dans la sphère des arts, un de ceux qui avaient le plus travaillé à mettre en valeur la forme dramatique de l’histoire et à la dégager des voiles de l’antique Melpomène ; homme politique des plus distingués, il se trouvait en présence d’un homme d’État chargé de le recevoir sur un terrain purement littéraire. […] Un bon sens élevé, éloquent, règne dans tout ce discours si bien pensé et si littéraire par l’expression comme par l’inspiration. […] Le chapitre littéraire à part qu’il mérite dans l’histoire de ces années, nous espérons bien le lui consacrer à loisir ; mais aujourd’hui, c’est un peu trop fête pour cela, et il y a trop de distractions alentour. […] On m’excusera du moins si j’y ai trouvé un texte naturel à l’occasion d’une séance littéraire aussi judicieuse, aussi régulièrement belle, et des plus honorables pour l’Académie.

538. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre premier. Pour faire des Tragédies qui puissent intéresser le public en 1823, faut-il suivre les errements de Racine ou ceux de Shakspeare ? » pp. 9-27

Nous y répondons par un seul fait : Quel est l’ouvrage littéraire qui a le plus réussi en France depuis dix ans ? […] Le hasard a voulu que ce soit vous, Parisiens, qui soyez chargés de faire les réputations littéraires en Europe ; et une femme d’esprit, connue par son enthousiasme pour les beautés de la nature, s’est écrié, pour plaire aux Parisiens : « Le plus beau ruisseau du monde, c’est le ruisseau de la rue du Bac. » Tous les écrivains de bonne compagnie, non seulement de la France, mais de toute l’Europe, vous ont flattés pour obtenir de vous en échange un peu de renom littéraire ; et ce que vous appelez sentiment intérieur, évidence morale, n’est autre chose que l’évidence morale d’un enfant gâté, en d’autres termes, l’habitude de la flatterie. […] Il me semble que ces moments d’illusion parfaite sont plus fréquents qu’on ne le croit, en général, et surtout qu’on ne l’admet pour vrai dans les discussions littéraires.

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