Cette bibliothèque offrait cette particularité : d’un côté, il y avait Hésiode, Sophocle, Euripide, Platon, Hérodote, Thucydide, Pindare, Théocrite, Anacréon, Théophraste, Démosthène, Plutarque, Cicéron, Tite-Live, Sénèque, Perse, Lucain, Térence, Horace, Ovide, Properce, Tibulle, Virgile, et, au-dessous on lisait gravé en lettres d’or : Amo ; de l’autre, il y avait Eschyle seul, et au-dessous, ce mot : Timeo. […] C’est là que saint Jérôme vint lire, sur le texte athénien, le fameux passage de Prométhée prophétisant le Christ : « Va dire à Jupiter que rien ne me fera nommer celui qui doit le détrôner. » D’autres docteurs de l’Église firent sur cet exemplaire la même vérification. […] Eschyle parlant d’Orphée, le titan mesurant l’hécatonchire, le dieu interprétant le dieu, quoi de plus splendide, et quelle soif on aurait de lire cette œuvre ! […] Si vous tenez à lire le mot que nous hésitons à écrire, adressez-vous à Racine. […] Aristophane a fait ce qu’il a pu pour empêcher son bannissement, et si quelque chose peut diminuer l’indignation de lire les Nuées acharnées sur Socrate, c’est qu’on voit dans l’ombre la main d’Aristophane retenant le manteau d’Eschyle qui s’en va.
L’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits et l’Horoscope sont des fables très intéressantes en ce qu’elles indiquent précisément par leur répétition et La Fontaine est revenu sur ces mêmes sentiments en d’autres pages de ses œuvres en ce qu’elles indiquent la petite colère de La Fontaine contre les devineurs, les devineresses, les faiseurs d’horoscope, les astrologues, les gens qui lisent notre destinée ou qui prétendent la lire dans les cieux. […] Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes Il en est peu qui fort souvent Ne se plaisent d’entendre dire Qu’au livre du Destin les mortels peuvent lire. […] Comment lire en son sein ? […] Mais La Fontaine nous montre par là qu’il aime à discuter on le sait par ailleurs qu’il aime à exposer des thèses philosophiques ou scientifiques, et que peut-être il y avait un peu trop d’inclination même, puisqu’il s’attarde tellement sur de pareilles choses, qui parfois ne sont pas précisément très agréables pour le lecteur ; mais là où il montre que cette faculté de dialecticien il l’avait, éminemment et avec une souplesse, une aisance, avec une grâce tout à fait extraordinaires, c’est dans le passage suivant, que l’on trouve dans le Discours à Madame de La Sablière et que je vais vous lire. […] Telle est la montre qui chemine A pas toujours égaux, aveugle et sans dessein : Ouvrez-la, lisez dans son sein : Mainte roue y tient lieu de tout l’esprit du monde ; La première y meut la seconde ; Une troisième suit ; elle sonne à la fin.
Le poète des Amoureuses a ôté aussi un conteur charmant dans son roman du Petit Chose, sous le nom duquel on a lu le vrai nom du Little Moore français. Toujours prosateur, mais pour cela n’éteignant pas en lui la poésie, Alphonse Daudet a publié en volume les Lettres de mon moulin, qui nous donnèrent une sensation si neuve quand nous les lûmes dans Le Figaro. […] Journaliste, fou des journaux qui l’ont perdu, en ne le rendant propre à rien qu’à faire des journaux, il les ramasse partout sans y voir, les sent, trouve qu’ils sentent bon, lèche leur encre et maudit sa femme qui ne veut pas les lui lire, — une catin bégueule, — parce qu’elle y trouve des inconvenances. […] En résumé, son livre n’aura de succès que par l’attendrissement qu’il causera à ceux qui le liront ; car la maîtresse faculté de Daudet, c’est la faculté de l’attendrissement, et, je l’ai dit en commençant, elle perce encore (heureusement !) […] Alphonse Daudet n’a pas été épouvanté par cette immensité, et quoique sa fresque, à lui, porte fatalement les reflets de cet homme, qui est la Lumière, et dont tous ceux qui touchent aux mœurs du temps et du Paris moderne semblent plus ou moins les caméléons, il sera lu, pourtant, après Balzac, comme quelqu’un qui existe par lui-même.
Si un historien de nos jours, me racontant ces scènes du xvie siècle, me le dit, je ne le crois qu’avec une certaine méfiance ; mais la date de Mézeray le laisse à cent lieues de nos réminiscences et de nos allusions ; et c’est pour cela qu’il y a une partie de l’histoire qu’il faut continuer de lire dans les originaux ou chez les rédacteurs et compilateurs naïfs qui en tiennent lieu. […] Le jour de la visite que fit la reine Christine à l’illustre compagnie (11 mars 1658), c’est Mézeray qui, faisant l’office de secrétaire, lut, à l’article Jeu du Dictionnaire, cette locution proverbiale qui fit rire, dit-on, du bout des dents la princesse : « Jeux de prince, qui ne plaisent qu’à ceux qui les font. […] On raconte que l’aimable fils de Colbert, M. de Seignelay, pour lors âgé de seize ans, et qui étudiait en philosophie au collège de Clermont, ayant lu le livre, en parla à son père, et lui parut singulièrement instruit, d’après cette lecture, de l’origine des impôts et revenus du roi, de la taille, gabelle, paulette, etc., et même de leurs abus et inconvénients, que Mézeray était plus porté à exagérer qu’à diminuer. […] [NdA] On peut lire cette requête au tome XXVI, fol. 280 des manuscrits de Mézeray (Bibliothèque impériale).
C’était, comme le savent tous ceux qui ont lu les mémoires et correspondances de ce temps-là, un composé de vanité, de jactance nobiliaire, de zèle épiscopal, de savoir confus, d’éloquence bizarre et parfois burlesque. […] Nous sommes au plus fort de cette pluie d’épigrammes fines qui ne laisse pas de répit et qui ne cesse plus : La véritable éloquence, poursuivait sans pitié l’abbé de Caumartin, doit convenir à la personne de l’orateur : la vôtre ne laisse pas ignorer à ceux qui vous entendent ou qui vous lisent, d’où vous venez et ce que vous êtes. […] Ce qu’il y avait de plus mortifiant, c’est que l’abbé de Caumartin lui avait d’avance soumis hypocritement son discours, que le prélat l’avait lu, approuvé, corrigé, dit-on, en quelques endroits, et qu’il y avait rehaussé peut-être quelques louanges. […] III, p. 362) Saint-Simon ait dit : « M. de Louvois n’était bon qu’à être premier ministre en plein », et que dans le second membre de cette même phrase il se soit attaché à lui refuser précisément les principales qualités d’un premier ministre ; j’aimerais mieux lire qu’il n’était bon qu’à être « premier ministre en petit », quoique cela ne me satisfasse qu’à peu près.
Taine a choisi le fabuliste pour sujet de sa thèse française ; mais, depuis quelques années, les brillants candidats au grade de docteur nous ont habitués, le lendemain matin de leur réception, à lire des livres plutôt que des thèses proprement dites : il a suffi pour cela que le brocheur enlevât la page finale où se lisait le visa de M. le doyen. […] Taine, dans sa théorie de la fable et dans la théorie du beau qu’il y adapte, montre combien il l’a lu et le possède, combien il applique et imite son procédé d’abstraction quand il le veut. Avoir lu Aristote et Kant, et le prouver à chaque ligne en parlant de La Fontaine, là est le tour singulier et comme la gageure.