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316. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

Maxime du Camp (il est juste de s’en souvenir en jugeant le poète) est avant tout un voyageur, un voyageur consciencieux, infatigable, qui voit tout des lieux lointains qu’il visite, et qui de cette Haute Égypte, de cette Nubie presque inaccessible, rapporte non seulement des images brillantes, propres à orner des pages de récits, mais les empreintes positives des lieux et des monuments obtenues à l’aide des procédés modernes courageusement appliqués sous le soleil. […] Le voyageur qui se sent entraîné par son instinct vers des lieux inconnus, se dit que ce sont certainement d’anciennes patries qu’il va revoir : J’habitai, je le sais, dans d’autres existences Ces pays radieux, et je suis convaincu Que je sais retrouver, à travers les distances, Tous les endroits certains où j’ai déjà vécu.

317. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Arago serait à faire, et, en en retranchant même ce qui ne paraîtrait pas digne de tous deux, il y aurait lieu d’y caractériser deux natures d’esprit et de tempérament tout à fait opposées, et qui devaient presque nécessairement en venir à se contredire et à se combattre : — Arago, ardent, puissant, robuste, doué de génie et capable d’invention, mais qui en fut trop distrait par d’autres qualités qui le tentèrent, par le besoin d’influer, par le talent d’exposer et d’enseigner, par un zèle aussi qu’on peut dire généreux à populariser la science, à en ouvrir à tous les voies et moyens, à en répandre et en propager les résultats généraux ou les applications utiles ; — Biot, esprit étendu, mais nature plus curieuse et plus déliée que riche et féconde, au sourire fin, à la lèvre mince, à la dent aiguë et mordante, dédaigneux du public sur lequel il avait peu de prise, jaloux de garder la science pour les seuls et vrais savants, pour ceux qu’il estimait dignes de ce nom. […] Biot « une mauvaise action. » Il y a lieu de penser qu’il en eut quelque regret, car l’article n’a point été recueilli par lui dans ses Mélanges. […] Il était fier, et avec raison, de cette découverte : « Auparavant, disait-il, les chimistes ressemblaient à des architectes qui, pour connaître un édifice, auraient commencé par le démolir et auraient prétendu ensuite juger de sa structure intérieure d’après la nature, le nombre et le poids des matériaux bruts, au lieu que maintenant, dans bien des cas, on peut saisir la constitution intime des corps sans les endommager, et distinguer les propriétés essentielles des particules mêmes en situation. » — Se plaignant que les chimistes tardassent trop à user de ce nouveau moyen d’investigation délicate : « Les chimistes ne sont que des cuisiniers, disait-il encore ; ils ne savent pas tirer parti de l’admirable instrument que je leur ai mis entre les mains. » Mais, enfin, il y eut de jeunes et habiles chimistes qui en essayèrent et qui donnèrent à M. 

318. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

Avant d’être lui-même et de dégager son talent original, Cervantes subit la loi commune ; il adopta les modes des temps et des lieux où il vivait. […] C’est dans les loisirs de cette prison qu’il aurait commencé son Don Quichotte, et il se serait vengé, bien doucement d’ailleurs, des gens du lieu par ces premiers mots du livre immortel : « Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait il n’y a pas longtemps un hidalgo… » Établi ensuite avec sa famille à Valladodid, où était alors la Cour, il y vivait si pauvrement que sa sœur doña Andréa aidait à la subsistance commune par le travail de son aiguille ; on a retrouvé la note d’un raccommodage qu’elle fit pour les hardes d’un seigneur. […] Don Quichotte, hors ligne et incomparable ; en second lieu, les Nouvelles ; et le Théâtre bien après et en troisième lieu seulement. — Je trouve un bon article critique sur le travail de M. 

319. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine »

Au lieu donc de réserver ce surplus de renseignements confidentiels pour une édition dernière de mon livre sur Port-Royal que je prépare, je m’empresse ici, dès à présent, d’en faire part à tous nos lecteurs. […] Il y avait passé deux mois, à un autre lieu près de Beaumont-sur-Oise, où ils ont aussi du bien, et me dit que durant ces deux mois il avait étudié sept heures par jour avec son père. […] Racine, qui avait demeuré rue des Maçons-Sorbonne, habitait en dernier lieu rue des Marais.

320. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Il y a lieu pourtant dans les poëmes d’une certaine étendue qui s’y rapportent, dans Louise, dans Hermann et Dorothée, à des contrastes ménagés qui sauvent la monotonie et éloignent l’idée du factice. […] En son poëme des Saisons, au chant de l’Été, Léonard disait : Quels beaux jours j’ai goûtés sur vos rives lointaines, Lieux chéris que mon cœur ne saurait oublier ! […]    Dans cette triste inquiétude On passe ainsi la vie à chercher le bonheur : A quoi sert de changer de lieux et d’habitude,    Quand on ne peut changer son cœur ?

321. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Gloire, ambition, fanatisme, votre enthousiasme a des intervalles, le sentiment seul enivre chaque instant, rien ne lasse de s’aimer ; rien ne fatigue dans cette inépuisable source d’idées et d’émotions heureuses ; et tant qu’on ne voit, qu’on n’éprouve rien que par un autre, l’univers entier est lui sous des formes différentes, le printemps, la nature, le ciel, ce sont les lieux qu’il a parcourus ; les plaisirs du monde, c’est ce qu’il a dit, ce qui lui a plu, les amusements qu’il a partagés, ses propres succès à soi-même, c’est la louange qu’il a entendue, et l’impression que le suffrage de tous, a pu produire sur le jugement d’un seul. […] Il faut pour jamais renoncer à voir celui dont la présence renouvellerait vos souvenirs, et dont les discours les rendraient plus amers ; il faut errer dans les lieux où il vous a aimé, dans ces lieux dont l’immobilité est là, pour attester le changement de tout le reste ; le désespoir est au fond du cœur, tandis que mille devoirs, que la fierté même commande de le cacher, on n’attire la pitié par aucun malheur apparent ; seule en secret, tout votre être a passé de la vie à la mort.

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