Loin que l’unité de lieu soit essentielle, elle prend ordinairement beaucoup sur la vraisemblance. […] Croit-on que leur imagination resistât beaucoup davantage au changement de lieu d’acte en acte ? […] Comment avez-vous pu penser un moment que l’unité d’action entrainât celle de lieu ? […] Dans la nature, il n’est jamais arrivé qu’une action aussi étenduë que celle de nos tragédies, se soit passée dans le même lieu. […] Au théatre même, l’action la plus une, a plusieurs parties qui se passent dans des lieux différens : il est vrai qu’on en rassemble les récits dans le même lieu : mais ces récits ne sont pas l’action ; et n’est-il pas vrai qu’elle consiste beaucoup plus dans ce qu’on fait que dans ce qu’on raconte ?
Ils doivent surtout être clairs, faciles, se présenter naturèlement et n’être mis en oeuvre qu’en tems et lieu. […] enfin (…) veut dire par extension aler en quelque lieu, ensorte que ce lieu soit l’objet de nos demandes et de nos mouvemens. […] On se sert aussi de cette préposition pour marquer le tems : c’est encore par extension, par imitation ; on considère le tems come un lieu, (…). […] manes, les manes, c’est-à-dire, les ames des morts, et dans un sens plus étendu les habitans des enfers, est encore un mot qui a doné lieu à l’antiphrase. […] Il faut des principes : oui sans doute ; mais il en faut en tems et lieu.
Corneille apprit surtout qu’il y avait des règles dont il ne s’était pas douté à Rouen, et qui agitaient vivement les cervelles à Paris : de rester durant les cinq actes au même lieu ou d’en sortir, d’être ou de n’être pas dans les vingt-quatre heures, etc. […] Pierre avait six enfants ; et comme alors les pièces de théâtre rapportaient plus aux comédiens qu’aux auteurs, et que d’ailleurs il n’était pas sur les lieux pour surveiller ses intérêts, il gagnait à peine de quoi soutenir sa nombreuse famille. […] On y voit combien l’impitoyable unité de lieu le tracasse, combien il lui dirait de grand cœur : Oh ! […] Pompée semble s’écarter un peu de la prudence d’un général d’armée, lorsque, sur la foi de Sertorius, il vient conférer avec lui jusqu’au sein d’une ville où celui-ci est le maître ; mais il était impossible de garder l’unité de lieu sans lui faire faire cette échappée. Quand il y avait pourtant nécessité absolue que l’action se passât en deux lieux différents, voici l’expédient qu’imaginait Corneille pour éluder la règle : « C’étoit que ces deux lieux n’eussent point besoin de diverses décorations, et qu’aucun des deux ne fût jamais nommé, mais seulement le lieu général où tous les deux sont compris, comme Paris, Rome ; Lyon, Constantinople, etc.
Marie De Medicis n’a jamais dû se rencontrer en un même lieu avec des tritons, quand bien même on supposeroit un lieu pittoresque, comme Monsieur Corneille vouloit qu’on supposât un lieu théatral. […] Il est vrai qu’il paroît impossible d’imaginer en ce genre rien de meilleur que cette idée élegante par sa simplicité, et sublime par sa convenance avec le lieu où elle devoit être placée. […] Mais au lieu des guides elle n’attrappe que les traits. […] Mais ce qui convient au lieu où le tableau se trouve placé ; saint Dominique couvre le monde de son manteau et du rosaire. […] On produit tant qu’on veut de ces symboles par le secours de deux ou trois livres qui sont des sources intarissables de pareils colifichets, au lieu qu’il faut avoir une imagination fertile et qui soit guidée encore par une intelligence sage et judicieuse, pour réussir dans l’expression des passions et pour y peindre avec verité leurs simptômes.
Dans les champs Cimmériens de l’Odyssée, le vague des lieux, les ténèbres, l’incohérence des objets, la fosse où les ombres viennent boire le sang, donnent au tableau quelque chose de formidable, et qui peut-être ressemble plus à l’enfer chrétien que le Ténare de Virgile. […] Nous savons qu’au sortir de ce monde de tribulations, nous autres misérables, nous trouverons un lieu de repos, et si nous avons eu soif de la justice dans le temps, nous en serons rassasiés dans l’éternité. […] Ni le Dante, ni le Tasse, ni Milton, ne sont parfaits dans la peinture des lieux de douleur.
Il y a lieu de croire que, bien qu’un seul acteur parût et récitât, il supposait une action réelle, et qu’il venait, dans les intervalles du chœur, en rendre compte aux spectateurs, soit par voie de narration, soit en jouant le rôle d’un héros, puis d’un autre, et ensuite d’un troisième. […] Une passion bien imitée trouve aussi aisément entrée dans le cœur humain, parce qu’elle va trouver les mêmes ressorts pour les ébranler, avec cette différence remarquable qui a sans doute frappé Eschyle : c’est que les passions feintes nous procurent un plaisir, au lieu que les passions véritables ne nous donnent qu’une satisfaction légère et noyée dans une grande amertume. […] Mais il faut convenir qu’en ceci la poésie l’emporte infiniment sur la philosophie, dont les raisonnements trop crus sont un préservatif trop faible ou un remède peu sûr contre les mauvais effets de ces passions : au lieu que les images poétiques ont quelque chose de plus flatteur et de plus insinuant pour faire goûter la raison. […] Il s’est représenté l’épopée comme une reine auguste assise sur un trône, et dont le front chargé de nuages laisse entrevoir de vastes projets et d’étranges révolutions : au lieu qu’il s’est figuré la tragédie, éplorée et le poignard en main, telle qu’on la présente, accompagnée de la terreur et de la compassion, précédée par le désespoir, et bientôt suivie de la tristesse et du deuil. […] Mais les tragédiens ont été obligés d’en rectifier l’art pour l’ajuster à la tragédie : il faut des coups de maître pour exposer heureusement un sujet sur le théâtre ; au lieu qu’il n’est besoin que d’une belle simplicité, qui toutefois est rare, pour commencer un poème épique.