Les listes de Gratifications et pensions aux gens de lettres, qui figurent dans les Registres des comptes des bâtimens du roi, sont une lecture fort instructive : depuis 1664 jusqu’à sa mort, Chapelain guide les libéralités du roi et de son ministre. […] Ce grand seigneur académicien, qui avait la passion des lettres, de l’esprit, et du style exact, et qui écrivait avec une précision si fine, encore qu’un peu sèche, ne se rangea jamais complètement au parti de Boileau. […] Mais surtout sa gloire acquise par des œuvres critiques et dogmatiques, ses vers passés en proverbes ou reconnus pour les lois de l’art d’écrire, persuadent à des gens de lettres par toute l’Europe que les théoriciens peuvent créer une littérature ou lui imposer une direction : on perd de vue tout ce que l’œuvre de Despréaux continue et achève ; au lieu d’un terme et d’un couronnement, on y voit un commencement, une création de mouvement ; et l’on agit en conséquence.
S’il fallait admettre à la lettre tout ce que les légendaires et les chroniqueurs nous rapportent sur les origines des peuples et des religions, nous en saurions bien plus long qu’avec le système de Niebuhr et de Strauss. […] C’est assurément un admirable génie que saint Paul ; et pourtant, sont-ce les grands instincts de la nature humaine pris dans leur forme la plus générale qui font la beauté de ses lettres, comme ils font la beauté des dialogues de Platon, par exemple ? […] Fichte, dans l’ouvrage où se révèle le mieux son admirable sens moral, a merveilleusement exprimé ce sacerdoce de la science (De la destinée du savant et de l’homme de lettres, 4e leçon.
De même, les actes de Tibère, datés de là, cette grande lettre écrite au Sénat par laquelle il consomme la ruine de Séjan, l’appareil des ruses, et jusqu’aux oisivetés et aux débauches, tout est d’une autre portée et sent sa puissance romaine. […] Ce qu’il regardait également comme un malheur de sa première éducation, de n’avoir pas été instruit dès sa jeunesse aux lettres anciennes, n’a pas moins tourné à son avantage et à la gloire de son originalité d’écrivain. […] [NdA] Se rappeler la lettre du marquis d’Argenson à Voltaire, écrite du champ de bataille de Fontenoy (Commentaire historique… au tome I des Œuvres de Voltaire).
Portalis, accompagné de son fils, qui, dans toutes ses traverses, ne le quitta jamais, était près de passer en Italie et de se rendre à Venise, quand une lettre de Mathieu Dumas l’appela dans le Holstein, où l’attendait une hospitalité cordiale et sérieuse. […] C’étaient les deux comtes de Stolberg, nourris de la fleur grecque et de l’esprit chrétien, philosophes et littérateurs éminents ; Jacobi, philosophe aimable, d’un sentiment délicat et pur ; d’autres encore moins connus ici, enfin une société douce mais grave : « Nous avons rencontré, écrivait-il à Mallet du Pan en avril 1798, de l’instruction et des vertus. » Dans une autre lettre à ce même ami alors réfugié à Londres, il a peint lui-même l’état calme et reposé de son âme en ces années d’attente, de conversation nourrie et de réflexion communicative : Il n’y a rien de nouveau en France, lui écrivait-il (24 juin 1798.) […] Ce libérateur, Portalis l’invoquait dans l’exil sans trop le prévoir : « Une nation naissante a besoin d’un instituteur, écrivait-il à Mallet du Pan (août 1799), et il faut un libérateur à une nation vieillie et opprimée. » Les deux lettres qu’il écrivit à Mallet dans les mois qui précédèrent le 18 Brumaire sont admirables de prévision et de prophétie, et elles contiennent en germe tout le programme du Consulat.
Regnard, qui ne devait pas assister à ce débordement et qui mourut avant Louis XIV, voyait au naturel et peignait avec saillie ces générations affectées et grossières, dont nous trouvons également le portrait en vingt endroits des lettres de Mme de Maintenon. […] On imprima dans le Nouveau Mercure de Trévoux une lettre critique développée. […] [NdA] Il faut citer les paroles mêmes de Mme de Maintenon, qui font un si grand contraste avec l’épicuréisme insouciant de Regnard ; c’est dans une lettre à la princesse des Ursins (19 juin 1707) : « Nous sommes dans un lieu délicieux.
C’était là, comme il le dit lui-même dans une lettre à M. de Kergorlay, « la plus vitale de ses pensées… Indiquer, s’il se peut, aux hommes ce qu’il faut faire pour échapper à la tyrannie et à l’abâtardissement en devenant démocratiques, telle est l’idée générale dans laquelle peut se résumer mon livre… Travailler en ce sens, c’est à mes yeux une occupation sainte. » Ce n’est pas seulement la liberté de l’individu, la liberté de la pensée, la liberté de la commune, que Tocqueville croyait menacées dans les sociétés démocratiques, c’est encore la liberté politique. […] Tocqueville rétablit sa pensée dans la lettre suivante, qui est l’une des plus belles, des plus nobles et des plus instructives de sa correspondance : « Vous me faites voir trop en noir, lui dit-il, l’avenir de ma démocratie. […] Moi, je voudrais que la société vît ces périls comme un homme ferme qui sait que ces périls existent, qu’il faut s’y soumettre pour obtenir le but qu’il se propose, qui s’y expose sans peine et sans regret, comme à une condition de son entreprise, et ne les craint que quand il ne les aperçoit pas dans tout leur jour. » Dans une lettre de la même époque à un autre de ses amis, trop longue pour être citée, il exprime encore avec plus de précision la vraie pensée du livre de la Démocratie.