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598. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

La parole est la langue des hommes, les sons musicaux sont la parole de la nature. […] On ignore l’invention des langues, et même si les langues furent inventées ou innées ; les notes, qui ne parlent qu’à l’oreille, sont moins divines sans doute que les langues qui parlent à l’intelligence ; néanmoins on ignore également comment elles furent inventées : les origines de la musique sont pleines de mystères. […] Il était né à Salzbourg, charmante petite ville allemande qui tient plus du Tyrol que de la Germanie par le site, par la physionomie, par les mœurs et par la langue. […] Rousseau, Zurich par Gessner, Salzbourg par Mozart ; Mozart, à mon avis, plus grand artiste que ces enfants des Alpes ; il n’a parlé qu’avec des sons, mais quelle est la chose divine qu’il n’ait pas exprimée dans cette langue dont la nature lui avait donné en naissant la clef ? […] Nos beaux habits, la langue allemande et ma liberté habituelle, que j’employai fort à propos en commandant en allemand à mon domestique d’appeler les hallebardiers suisses pour nous faire faire place, me servirent à merveille et nous permirent partout de nous mettre en avant.

599. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Tel milord arrive ici avec une réputation très méritée, qui ne paraît dans la conversation qu’un homme assez ordinaire ; c’est qu’on peut être un grand homme d’État, traiter éloquemment en sa propre langue dans les assemblées de sa nation des matières importantes qu’on a étudiées toute sa vie, et balbutier dans une langue étrangère parmi des sociétés dont on ne connaît ni les usages, ni les intérêts, ni les ridicules, ni la frivolité. […] S’il faut qu’il y ait à la cour des philosophes, c’est tout au plus comme il faut qu’il y ait dans la république des lettres des professeurs en arabe, pour y enseigner une langue que presque personne n’étudie, et qu’ils sont eux-mêmes en danger d’oublier, s’ils ne se la rappellent par un fréquent exercice. […] Ils croiraient faire l’histoire des hommes, et ne feraient que celle de la langue. […] Aujourd’hui que notre langue se dénature et se dégrade, les grands écrivains la devineront de même en proscrivant de leurs écrits le ramage éphémère de nos sociétés. […] Il y a bien de l’apparence que ce sont des circonstances pareilles qui ont corrompu sans retour la langue du siècle d’Auguste.

600. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

Il faut les chercher dans la solitude ; c’est là que naissent ces grandes passions, entre ciel et terre, telles que celles que nous avons à vous signaler dans cette âme appelée je ne sais comment dans la langue des purs esprits, appelée ici-bas Louis de Ronchaud. […] C’est le progrès selon la doctrine des progressistes indéfinis, ces adorateurs obstinés du temps qui les dément dans les langues comme dans les choses ; ces adorateurs du présent qui les dévore eux-mêmes et qui anéantit tout autant de choses humaines qu’il en crée. XIX Non, le temps n’est pas Dieu, il n’est que son ouvrier, souvent maladroit, qui pervertit autant de civilisations et de langues qu’il en façonne. […] Mais pardon encore de cette digression déplacée à propos de la rivière d’Ain, à laquelle les Arabes avaient donné un nom sonore comme l’écho des rochers d’où il tombe en cascades de saphir, et que les Gaulois ont rendu muet comme leur langue de corne et de caoutchouc. […] Il y a de ces trois natures dans la sienne : une femme, un poète, un orateur à la langue d’or, au cœur de citoyen.

601. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Il manquait aussi de cette vigueur de talent qui enfante le vers comme la musique innée enfante la mélodie, la langue qui chante. […] Cette affectation se retrouve jusque dans la langue, qui est vieille et étudiée jusqu’à la contorsion, au lieu d’être abandonnée et confiante comme la langue qu’on se parle à soi-même dans ces notes du cœur ou dans ces confidences secrètes à Dieu ou aux hommes. […] Rousseau et de Volney avait déteint sur ses pensées, mais son âme n’avait pas été altérée jusqu’au fond par ces doctrines décolorées et froides qui désenchantent l’esprit sans attendrir le cœur ; et, quand il rentra dans sa patrie, au milieu des ruines faites par l’incrédulité, et des efforts d’un gouvernement hardi et réparateur pour rattacher la France à ses anciens dogmes par des repentirs avoués et par des réconciliations politiques entre les armées et les autels, il ne lui fut pas difficile de renier le culte nouveau, qui n’était encore que doute, et de se rattacher aux douces habitudes de son imagination comme à d’anciens amis éprouvés avec lesquels on vient prier dans les mêmes temples et dans la même langue, après être rentrés sous les mêmes cieux. […] Comme pensée, il peut rivaliser avec avantage les premières grandeurs littéraires de la langue : Bossuet, né dans des circonstances plus simples, n’eut pas plus de solennité, il n’eut qu’à se mettre au service d’une religion sans doutes et d’une monarchie sans limites ; il fut le courtisan de Dieu et du roi. […] Pascal est un fou qui raille spirituellement des fous comme lui ; il écrit bien sa langue, mais nul ne se soucie de le lire ; les jésuites et les jansénistes ne sont déjà plus.

602. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

» C’était bien un maître de Fénelon en effet, celui qui, avec Pellisson, Bussy et Bouhours, et plus qu’aucun d’eux, contribua à mettre en honneur la culture polie, la régularité ornée et simple, à conduire la langue, selon sa propre expression, dans un canal charmant et utile 42. La Bruyère, dans une remarque souvent citée, a dit : « L’on écrit régulièrement depuis vingt années : l’on est esclave de la construction ; l’on a enrichi la langue de nouveaux tours, secoué le joug du latinisme et réduit le style à la phrase purement françoise : l’on a presque retrouvé le nombre, que Malherbe et Balzac avoient les premiers rencontré, et que tant d’autres depuis eux ont laissé perdre. […] Je pourrais ajouter plus d’une remarque de style sur cette langue à la fois si pure de source, si droite d’acceptions, et qui a pourtant bien des latitudes et des licences dans son atticisme.

603. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

Boileau lui-même, ce strict réformateur, qui, à force d’épurer et de châtier la langue, lui laissa trop peu de sa liberté première et de ses heureuses nonchalances, Boileau ne fait autre chose que continuer et accomplir l’œuvre de Malherbe ; et, pour se rendre compte des tentatives de Malherbe, on est forcé de remonter à Ronsard, à Des Portes, à Regnier, en un mot à toute cette école que le précurseur de Despréaux eut à combattre. […] Mais son érudition n’était pas profonde, même en pareille matière, et très-probablement il déchiffrait cette langue surannée avec moins de sagacité et de certitude que ne le font aujourd’hui nos habiles, M. […] A ne les considérer que sous le côté littéraire, il est permis de soupçonner que Boileau et La Fontaine n’avaient peut-être pas tout ce qu’il fallait pour s’apprécier complétement l’un l’autre ; ils représentaient, en quelque sorte, deux systèmes différents, sinon opposés, de langue et de poésie.

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