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314. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

La langue de Racine a presque disparu, et fait l’effet maintenant de ce spectre charmant de Francesca, dans un des poèmes de Byron, à travers la main pâle de laquelle passe un clair rayon de la lune… Et ce n’est pas dire pour cela que la langue de Racine dût être l’idéal — éternel et immobile — de la langue poétique. Je constate seulement que cette langue n’est plus dans la préoccupation littéraire, et que s’il y a un contemporain qui la rappelle encore, mais en la faisant vibrer plus fort que Racine, c’est Lamartine, le souverain des poètes français du xixe  siècle, et peut-être de tous les temps. […] Il est impossible que le fond de la langue poétique ne soit pas pur quand on a cette pureté dans l’inspiration.

315. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Le Sage » pp. 305-321

Avocat, sans causes, au Parlement, et père de quatre enfants, eu proie à ces tortionnantes délices paternelles qu’on savoure quand on n’a pas le sou, doué d’une intelligence plus apte à s’assimiler qu’à produire, il suivit le conseil de son protecteur, l’abbé de Lyonne, d’étudier la langue espagnole pour traduire des livres espagnols, et il se trempa dans l’Espagne des livres, au lieu de se tremper dans l’Espagne de la réalité. […] Sa langue est la langue correcte et limpide du siècle de Louis XIV, mais descendue de trente-six crans ! Calme et pure, nulle part cette langue ne s’élève ni ne bouillonne. Ce n’est guères que la langue de l’abbé Prévost, le verre d’eau claire qui ne se change point en vin et pour lequel il n’y a pas de noces de Cana.

316. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

., etc. » Cette voix, cette langue, cette allure, cette coupe de phrase, à laquelle notre langue à nous du xixe  siècle a jeté une couleur plus vive, et, si l’on veut (qu’est-ce que cela me fait ?) […] Mais là même, dans ce livre où le feu est regardé sous tous les aspects, comme l’auteur de J’aime les Morts avait déjà regardé la tombe, il y a des passages — et ils sont nombreux — d’une poésie d’images teintées de tous les reflets de l’élément dont il fait l’histoire, et, de plus, comme dans J’aime les Morts, il y a cette autre poésie de la langue, aussi certaine en prose, quoique différente, que la poésie de l’idée et des vers. Arthur de Gravillon aime la langue française à la fureur, et c’est comme cela qu’il faut l’aimer, et il lui fera de fiers enfants, s’il ne s’amuse pas à madrigaliser avec elle dans toutes ces préciosités que je lui ai reprochées et qu’il a, du reste, comme tous les amoureux qui commencent. […] Fermons ici le bilan de ce jeune homme qui n’a imité qu’un seul jour, et puis qui, tout de suite, a été lui-même, d’une humour à lui, d’une poésie à lui, d’une langue à lui, et dont l’écueil, je l’ai dit, pour son succès immédiat et sa gloire, est la distinction même de son talent.

317. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

Le mot logos avec sa double acception de discours et de pensée ou raison, permettait aux écrivains grecs des antithèses que notre langue ne saurait reproduire sans en défigurer le sens. […] Les Egyptiens, comme les Grecs, eurent une notion confuse des rapports de la parole avec la pensée ; leur langue écrite ou parlée nous en apporte le témoignage. […] De l’universalité de la langue française, sujet proposé par l’Académie de Berlin en 1783 ; publié à Paris en 1797 ; p. 13-14 et 49 note. […] VIII, p. 191 ; d’après ces deux derniers passages, le corps serait l’agent du développement et de la différenciation des langues ; ailleurs (Recherches, ch.  […] Il discute explicitement les thèses de Max Müller dans Max Müller and the science of language, a criticism, New York, 1892.], est moins satisfaisant encore : il ne connaît d’autre « langage interne » que les formes de pensée, les habitudes mentales, qui sont imposées à l’esprit par la langue maternelle, et qui changent, ou se multiplient lorsque nous apprenons à penser en une langue étrangère (La vie du langage, p. 18-19).

318. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

Définition du romantisme : individualisme, lyrisme, sentiment et pittoresque ; destruction du goût, des règles, des genres : refonte générale de la littérature et de la langue. — 2. […] Il brisera les formes trop arrêtées, trop fixes, qui ne se laissent plus manier par la pensée de l’artiste, ces habitudes tyranniques de composition et de style qui filtrent pour ainsi dire l’inspiration et éliminent l’originalité : en brisant les genres, les règles, le goût, la langue, le vers, il remettait la littérature dans une heureuse indétermination, dans laquelle le génie des artistes et l’esprit du siècle chercheraient librement les lois d’une reconstitution des genres, des règles, du goût, de la langue, du vers. […] Nous avons vu, en deux maîtres de la langue, en Rousseau et en Chateaubriand, ces deux grandes tendances se déterminer, et de l’un à l’autre, les facultés discursives, le raisonnement, les idées s’atténuer, l’émotion grandir et la puissance poétique. […] Nos littérateurs, qui n’étaient pas en général des érudits, ni très savants aux langues étrangères, eurent ainsi pour instructeurs les Guizot et les Barante, les Fauriel et les Raynouard, les Lœve-Veimars et les Pichot : avant qu’ils eussent voyagé, les paysages du Nord et de l’Orient vinrent les troubler de sombres ou radieuses visions. […] Les deux circonstances que je viens d’indiquer aidèrent les jeunes esprits à s’affranchir des règles classiques, à briser surtout les formes de la langue et de la versification.

319. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 16, des pantomimes ou des acteurs qui joüoient sans parler » pp. 265-295

Mais l’usage apprenoit à entendre le langage muet des pantomimes à ceux qui ne l’avoient pas étudié par méthode, à peu près comme il apprend la signification de tous les mots d’une langue étrangere, dont on sçait déja plusieurs termes, quand on vit au milieu d’un peuple qui parle cette langue. […] Tous les membres du corps d’un pantomime sont autant de langues, à l’aide desquelles il parle sans ouvrir la bouche. […] Aussi Cassiodore appelle-t-il les pantomimes des hommes dont les mains disertes avoient, pour ainsi dire, une langue au bout de chaque doigt. […] Lucien raconte encore qu’un roi des environs du Pont Euxin, qui se trouvoit à Rome sous le regne de Neron, demandoit à ce prince avec beaucoup d’empressement un pantomime qu’il avoit vû joüer, pour en faire son interprete en toutes langues. Cet homme, disoit-il, se fera entendre de tout le monde, au lieu que je suis obligé de païer je ne sçais combien de truchemens pour entretenir commerce avec mes voisins qui parlent plusieurs langues differentes que je n’entens point.

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