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462. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Diderot, si diversement jugé, est de tous les hommes du xviiie  siècle celui dont la personne résume le plus complétement l’insurrection philosophique avec ses caractères les plus larges et les plus contrastés. […] Juger la philosophie du xviiie  siècle d’après Condillac, c’est se décider d’avance à la voir tout entière dans une psychologie pauvre et étriquée. […] Jean-Jacques, dans ses Confessions, a jugé fort dédaigneusement l’Annette de Diderot, à laquelle il préfère de beaucoup sa Thérèse. […] Je sais d’ailleurs quels reproches sévères et réversibles sur tout le siècle doivent tempérer ces éloges, et j’y souscris entièrement ; mais l’esprit antireligieux qui présida à l’Encyclopédie et à toute la philosophie d’alors ne saurait être exclusivement jugé de notre point de vue d’aujourd’hui, sans presque autant d’injustice qu’on a droit de lui en reprocher.

463. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Quoique nous pliions sous l’influence de Goethe qui a replacé, prétend-on, les anciens dans leur vraie lumière, nous, c’est-à-dire tous, n’avons ni pour Virgile, ni pour aucun ancien, excepté Tacite qui se rapproche de nous par la haine éternelle du pouvoir chez l’homme et l’insultante manière de juger nos maîtres, l’intérêt animé et sincère qui répond par un frémissement ou une palpitation à chaque coup de scalpel porté dans l’œuvre du grand écrivain-Les raisons de cette indifférence sont nombreuses. […] cette unité du génie épique de l’antiquité qui s’appelle tour à tour Homère et Virgile, non seulement l’auteur de l’Étude que voici ne l’a pas assez déterminée dans ce que ses éléments ont d’identique et de différent, de commun et de particulier, de contrastant et de sympathique, mais il l’a méconnue encore de fait comme d’essence, — aussi bien sur le terrain de l’histoire que dans l’intelligence des poètes qu’il avait à juger. […] Dans sa critique, sans principe d’ailleurs, sans métaphysique, sans absolu, toute de goût et de sensation comme celle de Villemain, Sainte-Beuve, il faut le reconnaître, est encore supérieur à Villemain, qui ne fut jamais qu’un humaniste plus ou moins vernissé par l’Université, tandis que lui, Sainte-Beuve, est un talent qui existait par lui-même, et ce talent nous allons le juger à distance des tapages d’une mort qui, si on se le rappelle, fut un événement. […] C’est l’intelligence, le talent, l’aptitude qui restera ici jugée.

464. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Qu’il la touchât avec plus ou moins de vigueur, cette question qui renferme les autres, nous n’avons pas à l’examiner, mais il la posait, mais pour lui elle effaçait tout sous son importance, et c’était toujours de cette question suprême, c’était toujours de l’intérêt absolu du Gouvernement et du Pouvoir, quels qu’en fussent momentanément les titulaires, qu’il écrivait l’histoire et qu’il en jugeait les événements. […] Pour eux et pour leur infortunée descendance, 93 n’aurait pas moins sonné, et il importe de le crier aux esprits imbéciles qui croient qu’on paradoxe contre les grands hommes de la France, parce qu’on ose embrasser et juger leur vie ! […] Comme les femmes tombées qu’on a le malheur d’adorer, il ne l’a plus vue, cette époque, il ne l’a plus comprise, il ne l’a plus jugée, et devant elle il a perdu toute raison et même tout libre arbitre. […] On ne replaide pas tous les matins des causes jugées et perdues.

465. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

Leurs ouvrages sont traduits dans notre langue, & chacun de nous a pu les juger au moins d’après la traduction. […] Il en est de ce dernier à-peu-près comme des Grands qui ne doivent être jugés que par leurs Pairs. […] C’est dommage que le défaut de conclusion nous empêche de juger s’il auroit aussi bien terminé le plan de ces deux ouvrages. […] Quant au langage des passions, & à l’expression des sentiments, le Lecteur jugera si je les ai saisis.

466. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » p. 134

Peut-être les pensées qu’il eût tirées de son propre fonds, n’eussent-elles pas été aussi sublimes que celles de l’Auteur des Provinciales ; mais on peut juger, par ses Ouvrages, qu’il étoit en état de composer un bon Livre, sur un aussi solide fondement.

467. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 538-539

En effet, on peut juger, par certains morceaux de ses Discours pleins de chaleur & de dignité, que plus de sobriété dans l’usage de son esprit, plus de retenue à sacrifier au goût des contrastes & de l’antithese, l’auroient encore plus approché de nos vrais modeles en ce genre.

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