Wagner était, aussi, savant ; mais il était en plus poète, et il nous dit que c’est « avec un ravissement de joie » qu’il s’aperçut de l’identité des légendes, que Tristan n’est qu’une légère variation, et qu’il pouvait écrire le drame de la mort par amour (« der Tod durch Liebesnoth »), sans quitter, à proprement parler, le cadre tracé par son Ring ; au contraire, que cela en formerait « un acte complémentaire » (VI, 479). […] Et c’est aussi grâce à l’esprit de leur temps, que Tristan et Isolde se trouvèrent les héros de nombreuses aventures amoureuses très frivoles et plus eue libres, tandis que le bon roi Marke devint un assez sot type de la nombreuse tribu qui fut la joie de Molière et de La Fontaine. […] Mais nous ne lui en savons que d’autant plus gré : ce nous avoir ménagé, au milieu de banals applaudissements et de nos propres sensations suraiguës, ces bonnes et innocentes joies de « délicats ». […] D’autres encore voient dans le Ring le système poussé à ses dernières limites, et saluent avec joie, comme une concession au goût du public, la forme mélodique souvent plus arrondie dans Tristan, la réintroduction de la rime, etc. […] Nus joies trompent notre désir ; elles sont négatives de nature et marquent seulement pour nous la fin d’un malheur (Die Welt als Wille, IV, 67) ».
J’y entendais le rossignol darder dans la nuit taciturne ces notes tantôt éclatantes, tantôt plaintives, qui semblent avoir, dans une seule voix, toutes les consonances de la joie et de la tristesse de la nature. […] Les violettes y représentaient les saintes tristesses du repentir, les muguets l’encens qui s’élève de l’autel, l’aubépine la miséricorde qui pardonne et sourit après les sévérités divines, l’églantine la joie pieuse qui rentre dans le cœur et qui l’enivre, l’œillet rouge de poète y représentait le cantique, les marguerites et les boutons d’or les voluptés et les passions méprisables du monde, qu’il faut fouler aux pieds, sans les voir ou sans les compter, en marchant au ciel. […] Ceux d’entre vous qui préfèrent, à cause de leur âge plus tendre, les promenades et les jeux de cette belle matinée à des délassements d’esprit peuvent se retirer ; les autres resteront librement avec moi pour jouir d’autres plaisirs. » La foule s’élança dans les jardins avec des cris de joie qui se confondirent avec les gazouillements des oiseaux libres des charmilles ; huit ou dix adolescents des plus âgés ou des plus lettrés restèrent, retenus par la confiance qu’ils avaient dans le goût délicat du maître et par leur attrait déjà prononcé pour les plaisirs d’esprit. […] D’abord ils frappent l’écho des brillants éclats du plaisir : le désordre est dans ses chants ; il saute du grave à l’aigu, du doux au fort ; il fait des poses ; il est lent, il est vif : c’est un cœur que la joie enivre, un cœur qui palpite sous le poids de l’amour. […] Le chant est aussi souvent la marque de la tristesse que de la joie.
Ailes des paupières, nos regards volent et le vent en l’honneur duquel Picasso de chaque pierre triste a fait jaillir les Arlequins et leurs sœurs cyclopéennes et tout un monde endormi dans les secrets des guitares, l’immobilité du bois en trompe l’œil, les lettres d’un titre de journal, le vent en l’honneur duquel Chirico a construit des villes immuables et Max Ernst ses forêts, pour quelles résurrections emporte-t-il nos mains, ces fleurs sans joie. […] Accrochés au souvenir, aux faits, jamais ils ne connaîtront cette exaltation de qui a renoncé à la joie du ventre, à cet espoir dont Paul Valéry nous disait qu’il n’est que la méfiance de l’être à l’égard des prévisions de son esprit… Le poète, lui, au contraire, ne flatte ni ne ruse. […] Des hommes en d’autres temps avaient la joie de planter des arbres qu’ils appelaient arbres de la liberté. […] La rue des Martyrs fait allusion pour les contemporains aux filles de joie. […] J’entends qu’il n’a point de raisons à nous donner et que sa joie est aussi dédaigneuse de l’expression artistique ou littéraire que celle de l’enfant, par exemple, qui, pour la première fois, va au bord de la mer. » cl.
Elle n’était pas, sur le chapitre de la comédie, de l’avis de Bossuet, de Bourdaloue et des autres grands oracles religieux d’alors ; elle devançait l’opinion de l’avenir et celle des moralistes plus indulgents : À l’égard des prêtres qui défendent la comédie, écrivait-elle assez irrévérencieusement, je n’en parlerai pas davantage : je dirai seulement que, s’ils y voyaient un peu plus loin que leur nez, ils comprendraient que l’argent que le peuple dépense pour aller à la Comédie n’est pas mal employé : d’abord, les comédiens sont de pauvres diables qui gagnent ainsi leur vie ; ensuite la comédie inspire la joie, la joie produit la santé, la santé donne la force, la force produit de bons travaux ; la comédie est donc à encourager plutôt qu’à défendre. […] Mais ce n’étaient là que des éclairs de joie, et le fond des pensées de Madame en ces années était le découragement et un soulèvement de cœur perpétuel contre la grande orgie dont elle était témoin.
. — Ce sentiment, ajoutait-il, est né avec moi ; je l’ai eu dès mon enfance, et à peine en étais-je sorti, que je secouai le joug de la domination paternelle aux dépens de tout ce qui m’en pouvait arriver ; et, pendant plusieurs années, je me réveillais la nuit avec un mouvement de joie que me donnait la pensée de ne plus dépendre de personne. […] Ce renoncement suprême en vue de Marianne ne lui paraissait pas même mériter le nom de sacrifice : « Je ne sens que de la joie, disait-il, en songeant que je vais, en attendant la mort, mener une vie plus triste qu’elle, et j’aime si fort ma douleur qu’il me semble que c’est encore un moindre malheur de la souffrir que de la perdre ; si ma chère Marianne la peut voir, elle lui fait plaisir. » Il haïssait les biens, les grandeurs, tout ce qu’il ne pouvait plus partager ; il n’aimait que cette douleur, la seule chose qui lui restât de son amie ; il en parlait, d’ailleurs, comme d’une peine poignante, qui le tenait cruellement éveillé durant les nuits et qui prolongeait ses insomnies jusqu’au matin, où il ne s’assoupissait qu’à la fin et par excès de fatigue : « Mais j’ai beau faire, je ne saurais perdre de vue l’objet de mon tourment. […] Dès l’abord, M. de Tréville, cet homme d’esprit, cet ancien ami de Madame Henriette d’Angleterre, devenu l’un des amis de Port-Royal, ce pénitent sincère, mais qui avait lui-même ses variations, avait averti Lassay en essayant de le consoler ; et ce dernier lui répondait : Je sais que vous me faites l’honneur de me dire que le temps adoucit les douleurs les plus vives ; mais les grandes afflictions font le même effet sur l’âme que les grandes maladies font sur le corps : quoique l’on en guérisse, le tempérament est attaqué ; on vit, mais on ne jouit plus d’une santé parfaite : il en est de même de l’âme, elle ne peut plus jamais sentir une joie pure.
Le chapitre de la noce qui se fait aux Bertaux est un tableau achevé, d’une vérité copieuse et comme regorgeante, mélange de naturel et d’endimanché, de laideur, de roideur, de grosse joie ou de grâce, de bombance et de sensibilité. […] Lui, il est heureux pour la première fois de sa vie, et il le sent ; occupé de ses malades tout le jour, il trouve, en rentrant au logis, la joie et la douce ivresse ; il est amoureux de sa femme. […] Ce double rêve côte à côte et à perte de vue, du père abusé qui ne songe qu’à de pures douceurs et joies domestiques, et de la belle et forcenée adultère qui veut tout briser, est d’un artiste qui, quand il tient un motif, lui fait rendre tout son effet.