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12. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Il ne serre pas d’assez près ses contours, il ne jette pas aux objets ou n’en reçoit pas de ces traits de flamme qui fixent l’image et qu’on emporte. […] D’ailleurs, il était paisible, confiant et bon ; il se jetait dans l’imprévu avec cette insouciance naturelle aux êtres qui ne croient pas que le mal puisse exister ; il ne se plaignait pas de la fortune, qui l’avait exposé aux chances les plus dures, et il remerciait la nature des instincts qu’elle lui avait donnés et des trésors de jouissances inconnues qu’elle avait renfermés dans son âme. […] Mais, à part ces critiques de détail, il n’y a que des éloges à donner à la vue d’ensemble jetée sur la littérature d’alors, et à ces couleurs de flétrissure énergique, encore mieux applicables à la nôtre aujourd’hui. […] Il semble même, plus tard, que l’exemple de Rousseau, et ses succès, revenant jusqu’au sage ami, aient réveillé la tentation dans son cœur et jeté une ombre d’un moment sur sa félicité longtemps inaltérable. […] La scène se passe dans le Hartz, vers 1714 ; le paysage est grandement décrit ; les personnages historiques, à demi mystérieux, y sont jetés tout d’abord à la Walter Scott et sans les longueurs.

13. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’empire russe depuis le congrès de vienne »

Cela dit du fond des choses, resterait le style, cette magie qui, quand on l’a, consacrerait l’erreur même et jetterait son voile d’illusion sur les pauvretés de la pensée et jusque sur les hontes de l’ignorance. […] ce n’est pas nous qui jetterons la pierre au seul gouvernement qui convienne à la Russie actuelle, nous savons trop ce qu’il doit entrer nécessairement de despotisme dans l’éducation des peuples enfants ; nous voulons seulement constater, dans notre limite de critique littéraire, pourquoi il n’y a pas d’histoire en Russie. […] ce n’est pas uniquement la peur de cet œil qui ne dort jamais, — qui s’ouvre au plafond entre deux lustres, — qui s’ouvre au parquet entre les deux roses d’un tapis, — et l’ombre menaçante de cette main retrouvée sur tous les murs et qui peut les saisir dans leur alcôve la mieux fermée, et les jeter, en deux temps, aux traîneaux fuyants de l’exil, qui empêchent les Russes de préparer leur histoire future en écrivant des Mémoires, — ces mines d’où l’Histoire doit sortir ! […] Pouchkine, il est vrai, a commencé de jeter sur le tambour des journaux français son nom cymbalique, un de ces noms, par parenthèse, que la gloire aimerait à faire sonner ! […] Croit-il l’avoir renouvelé parce qu’il lui a fait porter l’uniforme, et, lui que les Russes, dit on, dans leur éternelle manie d’Européens, appellent leur Balzac, a-t-il donc vu dans cet illustre modèle, dont on incline le nom jusqu’à lui, que jeter un costume étranger sur un type équivaille à en créer un ?

14. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre V, la Perse et la Grèce »

. — Le Darius de la Bible (Dariawesch) décrète que quiconque, dans l’espace de trente jours, priera un autre dieu que lui, sera jeté dans la fosse aux lions. […] Les satrapes le dénoncent au roi, qui veut le sauver ; mais ils lui disent : « — Sache, ô roi, que la loi des Perses est qu’aucun arrêt rendu par le roi ne puisse être ni révoqué, ni changé. » Darius, qui aimait Daniel, se désole : il n’en fait pas moins jeter aux lions le prophète, et il scelle de son anneau la dalle de la fosse. […] Ils se jettent du pont dans la mer, le navire allégé atteint le rivage, Xerxès, parce que le pilote a sauvé la vie du roi, lui fait présent d’une couronne d’or ; et il lui fait trancher la tête, parce que son conseil a causé la mort de beaucoup de Perses. […] Avec une de ces ironies littérales que l’antiquité appliquait souvent aux supplices, les Spartiates jetèrent dans un puits le héraut de Darius, en lui criant d’aller y prendre la terre et l’eau pour le roi. […] Ce fut pour eux un sacrilège comparable à celui d’un homme qui aurait jeté des choses impures dans un fleuve sacré.

15. (1761) Salon de 1761 « Récapitulation » pp. 165-170

Entre la mère et la fiancée, une sœur cadette debout, penchée sur la fiancée, et un bras jeté autour de ses épaules. […] Sur le devant, à terre, dans l’espace vide que laissent les figures, proche des pieds de la mère, une poule qui conduit ses poussins auxquels la petite fille jette du pain ; une terrine pleine d’eau, et sur le bord de la terrine, un poussin, le bec en l’air, pour laisser descendre dans son jabot l’eau qu’il a bue. […] Les deux enfants dont l’un assis à côté de la mère s’amuse à jeter du pain à la poule et à sa petite famille, et dont l’autre s’élève sur la pointe du pied, et tend le col pour voir, sont charmants ; mais surtout le dernier. […] Et cette poule qui a mené ses poussins au milieu de la scène, et qui a cinq ou six petits comme la mère aux pieds de laquelle elle cherche sa vie, a six à sept enfants ; et cette petite fille qui leur jette du pain, et qui les nourrit.

16. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

C’est Antoine qui, un soir, me jeta : « Mais comment ne faites-vous pas une pièce des Frères Zemganno ? […] Une grosse discussion, dans laquelle je jette : « Non, je ne crois pas au surnaturalisme entre les vivants et les morts, hélas ! […] Cette sortie jette un froid parmi nous deux, restés à table. […] » quand le capitaine leur a jeté à la tête : « Tu es un imbécile !  […] jeta un camarade.

17. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Le comte de Vigny, — que nous pouvons appeler maintenant simplement : Alfred de Vigny, puisqu’il n’est plus qu’un grand nom littéraire de la France du xixe  siècle et que l’Immortalité ne dit : monsieur à personne, — le comte de Vigny a cela de rare et de merveilleux, qui fermera la bouche aux âmes communes toujours prêtes à jeter la pierre aux poètes, qu’on ne peut trouver une contradiction dans sa vie, et que ce qu’il fut comme poète, il le fut également comme homme. […] lord Byron n’était qu’un dandy quand il jetait dans son écritoire la plume sublime avec laquelle il avait écrit Le Giaour. […] Dans ce portrait dont il est question, son front, qui surplombe un visage tranquillement triste, jette l’ombre de sa voûte puissante à ces yeux rêveurs qui cherchent involontairement le ciel, mais qui, dans la réalité, revenaient se tourner vers les vôtres avec des airs fins et spirituels comme nous entendons le regard, nous autres polissons de la terre ! […] — je les retrouve à toute place dans ce recueil de poésies, et avec un accent plus mâle et plus grandiose encore que celui des vers que je viens de citer : Ce Sisyphe éternel est beau, seul, tout meurtri, Brûlé, précipité, sans jeter un seul cri, Et n’avouant jamais qu’il saigne et qu’il succombe À toujours ramasser son rocher qui retombe. […] quand je lis : Les Destinées, La Mort du Loup, dont les détails sont d’une réalité de description incomparable : Qui, sans daigner savoir comment il a péri, Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri !

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