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948. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

L’un voit en hauteur, l’autre en profondeur ; celui-ci pénètre le rythme interne des apparitions, celui-là leur rythme externe ; tel va de la forme extérieure vers l’intérieur ; tel part de l’âme et cherche le reflet de l’esprit dans les formes, et ainsi de suite. […] Les aspirations, les émotions, les manifestations de la Volonté, tous les événements de la vie intérieure de l’homme, que la Raison enferme dans le mot ample et vague de « sentiment », peuvent être exprimés par les innombrables mélodies possibles, mais toujours dans la généralité d’une simple forme, d’une façon immatérielle, comme une chose en soi, non pas d’après sa manifestation extérieure ; en d’autres termes, la Musique en exprime l’âme, sans le corps. […] Ils vont aveuglément à leur perte, contraints par une nécessité intérieure maîtresse de leurs résolutions, pareils à l’humanité même qui suit une route implacable, où, qu’elle le veuille ou non, elle a pour compagnon éternel le Malheur. […] L’expression complète et libre des crises de passion intérieure réclamait des formes nouvelles. […] L’élément mélodique aurait son analogie dans le sang et la chair qui revêtent si différemment la charpente intérieure du corps et, en en modifiant l’apparence extérieure, créent l’innombrable variété des types humains19.

949. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Quand son frère lui parla de ses intentions de mariage, elle laissa voir un si cruel trouble intérieur que celui-ci résolut de renoncer à un projet qui paraissait menacer le bonheur d’un être si dévoué et si cher. […] L’agitation des dix années qui suivirent la mort de sa femme lui avait un peu dissimulé ce qui manquait à sa vie intérieure ; mais maintenant qu’au dehors tout s’écroulait à la fois, qu’allait-il devenir ? […] Les bruits du dehors l’empêchaient d’entendre le rythme intérieur. […] Mon journal nous initie à ce travail intérieur et aux circonstances décisives qui en ont été l’occasion. […] Il a la parole très régulière et cependant très animée ; il y a dans son débit une chaleur contenue, une flamme intérieure qui donne la vie à tout ce qu’il touche ».

950. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Un peloton de fusiliers marins, placé dans l’intérieur des terres, au Pas de la Masque, leur assurait la libre pratique de toutes les hauteurs qui dominent Toulon. […] Il voulait, selon ses propres expressions, demeurer près d’un intérêt constant, qui faisait le bonheur de sa vie intérieure. […] Il était général en second de l’armée de l’intérieur, un sous-Barras. […] Pour un garçon qui, au sortir du giron maternel, avait traîné une adolescence morose dans des dortoirs de collège et chez des hôteliers de garnison, cet intérieur représentait une somme considérable de magnificence et de bon goût. […] Sa voix affaiblie ne sait plus exprimer les sentiments d’invincible fidélité qui sont le ressort essentiel de sa vie intérieure.

951. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Les œuvres nouvelles qui sortent de ces luttes infinies, de ces mondes intérieurs de souffrances, d’analyses, de pointillements, peuvent être belles encore, belles comme des filles engendrées et portées dans les angoisses, belles de la blancheur des marbres, de complexion bleuâtre, veinées, perlées et nacrées, mais sans une certaine vie primitive et saine. […] Ses conclusions sur l’honneur, seule vertu humaine encore debout, seule religion, dit-il, sans symbole et sans image au milieu de tant de croyances tombées ; les espérances qu’il fonde sur ce seul appui fixe de l’homme intérieur, sur cette île escarpée (disait Boileau), solide encore, selon M. de Vigny, dans la mer de scepticisme où nous nageons ; cet acte de foi en désespoir de cause sied à notre poëte.

952. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Ses veux, qui lui refusaient souvent le service, ne faisaient qu’accuser alors l’épuisement des centres intérieurs et crier grâce, en quelque sorte, pour le dedans. […] Jules Macqueron, un touchant tableau de sa disposition intérieure.

953. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Il ne possède pas ses idées, mais ses idées le possèdent ; il les subit ; pour en réprimer la fougue et les ravages, il n’a pas ce fond solide de bon sens pratique, cette digue intérieure de prudence sociale qui, chez Montesquieu et même chez Voltaire, barre la voie aux débordements. […] Voilà l’avantage de ces génies qui n’ont pas l’empire d’eux-mêmes : le discernement leur manque, mais ils ont l’inspiration ; parmi vingt œuvres fangeuses, informes ou malsaines, ils en font une qui est une création, bien mieux une créature, un être animé, viable par lui-même, auprès duquel les autres, fabriqués par les simples gens d’esprit, ne sont que des mannequins bien habillés  C’est pour cela que Diderot est un si grand conteur, un maître du dialogue, en ceci l’égal de Voltaire, et, par un talent tout opposé, croyant tout ce qu’il dit au moment où il le dit, s’oubliant lui-même, emporté par son propre récit, écoutant des voix intérieures, surpris par des répliques qui lui viennent à l’improviste, conduit comme sur un fleuve inconnu par le cours de l’action, par les sinuosités de l’entretien qui se développe en lui à son insu, soulevé par l’afflux des idées et par le sursaut du moment jusqu’aux images les plus inattendues, les plus burlesques ou les plus magnifiques, tantôt lyrique jusqu’à fournir une strophe presque entière à Musset480, tantôt bouffon et saugrenu avec des éclats qu’on n’avait point vus depuis Rabelais, toujours de bonne foi, toujours à la merci de son sujet, de son invention et de son émotion, le plus naturel des écrivains dans cet âge de littérature artificielle, pareil à un arbre étranger qui, transplanté dans un parterre de l’époque, se boursoufle et pourrit par une moitié de sa tige, mais dont cinq ou six branches, élancées en pleine lumière, surpassent tous les taillis du voisinage par la fraîcheur de leur sève et par la vigueur de leur jet.

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