/ 1503
331. (1908) Après le naturalisme

L’instinct, la possession : force de la force ; la jouissance physique : exagération de la force de vivre incluse en nous et débordant de son cadre. […] Aussitôt libérés de la servitude, les hommes ne songèrent, selon leurs instincts originels, qu’à abuser de leur pouvoir nouveau. […] Tous les instincts se trouvent autorisés à se manifester. […] Il n’obéit qu’au dérèglement des instincts en désordre. […] Les instincts de jouissance matérielle se sont justifiés de mauvaises théories.

332. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

On arrive ainsi à un jugement pur de toute réflexion, à une affirmation sans mélange de négation, à l’intuition immédiate, fille légitime de l’énergie naturelle de la pensée, comme l’inspiration du poète, l’instinct du héros, l’enthousiasme du prophète. […] La logique naturelle procède par des affirmations empreintes d’une foi naïve, que l’instinct seul produit et soutient. […] En s’adressant à cet instinct du cœur, il est sur d’éveiller un écho sublime, de faire jaillir toutes les sources du pathétique. […] C’est là son premier instinct, et cet instinct ne l’abandonne jamais. […] Tout s’achève pour l’homme entre la naissance et la mort, en dépit des instincts et des pressentiments de son cœur et même des principes de sa raison.

333. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Mais, dans l’un ou dans l’autre cas, elle n’aurait plus été elle-même, c’est-à-dire une génération poétique jetée de côté et interceptée par un char de guerre, une génération vouée à des instincts qu’exaltèrent et réprimèrent à l’instant les choses, et dont les rares individus parurent d’abord marqués au front d’un pâle éclair égaré. […] Dans ces premiers accès d’enthousiasme germanique, Nodier ne savait que fort peu l’allemand ; il lisait plus directement Shakspeare ; mais il avait pour ainsi dire le don des langues ; il les déchiffrait très-vite et d’instinct, et en général il sait tout comme par réminiscence. […] Par un généreux mais décevant instinct, il s’en alla accoster d’emblée, en littérature comme en politique, ceux surtout qui étaient dehors et qui lui parurent immolés, Bonneville ou Granville, comme Oudet et Pichegru. […] C’est dans cet intervalle qu’il produisit les Tristes, et même le Dictionnaire des Onomatopées, singulière inspiration chez un proscrit romanesque, et bien notable indice d’un instinct philologique qui grandira.

334. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

Un homme quelquefois a plus d’instinct qu’un monde. […] Chaque animal, fidèle à son instinct, sans pouvoir changer sa façon de vivre, suit inviolablement la loi de la nature. […] Platon n’avait été qu’un rêveur radical fondant les lois politiques sur des chimères au lieu de les fonder sur des instincts ; il prêchait un communisme destructeur de tout individualisme, de toute propriété, de tout travail rémunéré par lui-même, de toute hérédité, de toute famille, et par conséquent de toute société permanente. […] Rousseau, qui attribue la formation de la société à une délibération, y est réfutée vingt siècles d’avance par Cicéron, qui attribue la société à l’instinct social, révélation de la nature humaine.

335. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Voici comment il analyse cet instinct d’observation solitaire, ce dévouement à une innocente étude, cette abnégation de tous les soins matériels, cette force intellectuelle d’un homme qui, sans maître, fait toute son éducation d’histoire naturelle au fond des bois, et complète seul une branche de la science, branche importante que l’on désespérait de compléter jamais. […] C’était un homme doué du sentiment religieux et poétique, et qui par ses récits éveillait en moi l’instinct qui l’animait lui-même. […] C’est un fait dont j’ai été plusieurs fois témoin ; et, frappé de la prudence et de la propreté de cet être si mignon, ayant remarqué d’ailleurs qu’à cette même époque il ne voulait mordre à aucune espèce d’appât, je me mis en tête, un beau matin, de tenter plusieurs expériences, afin de voir ce que l’instinct ou la raison le rendraient capable de faire, si on le poussait à bout de patience. […] Lecteur, si comme moi vous étudiez la nature pour vous élever l’esprit par la contemplation des phénomènes étonnants qu’elle offre à chaque pas dans son immense domaine, ne resterez-vous pas frappé d’une admiration profonde en voyant ce petit poisson, objet si chétif et si humble, auquel le Créateur a donné des instincts si merveilleux ?

336. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

La vie de Mozart fut, au contraire, une lutte incessante pour une existence paisible et assurée, qui, toujours, devait lui être refusée… Son maître, à lui, était le grand public, qu’il avait, chaque jour, à charmer par quelque œuvre nouvelle : et ses compositions reçurent, de cette vie cruelle, leur caractère spécial d’improvisation rapide… … Si Beethoven avait disposé sa vie, d’après une conception théorique froide et réfléchie, il n’aurait pu la diriger plus sûrement, par rapport à la vie de ses deux grands prédécesseurs, qu’il fit, en vérité, d’après la seule impulsion de son naïf instinct naturel. Cet instinct, ici, décide tout, étonnamment ; c’est lui qui donne à Beethoven sa claire aversion pour une manière de vivre pareille à celle de Haydn. […] Tout cela n’est-il point l’œuvre d’un prodigieux instinct, plus sûr que toute raison, et qui devait, le guider toujours, en toutes les extériorisations de son caractère ? Quelles réflexions auraient pu mieux diriger sa vie, dans le sens de son tempérament natif, que cette impulsion invincible de son instinct ?

/ 1503