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21. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

Nicolaï notait une différence très nette entre le personnage tel qu’il lui apparaissait et le même personnage tel qu’un instant après il se le figurait par un effort d’attention et de mémoire. […] On est dupe pour un instant de son demi-rêve, puis on cesse de l’être, puis on l’est encore, puis on cesse encore de l’être : cela fait une ligne incessamment brisée de croyances incessamment démenties et d’illusions incessamment redressées. […] À ce moment, et en vertu de la correction, l’image présente me paraît sensation passée ; c’est là proprement le souvenir. — Sans doute, un instant après, à la réflexion, je saurai qu’il n’y a en moi qu’une image présente, que cette vive demi-vision interne de vagues bleues pailletées d’or et enserrées dans un demi-cercle de sables blancs est tout actuelle et interne. […] Selon que le rapport des extrémités de l’image avec les extrémités de la sensation actuelle est différent, le mouvement de bascule s’accomplit dans un sens ou dans l’autre, et nous sommes à chaque instant témoins en nous-mêmes de ces étranges glissements. […] Au même instant, cette figure recule dans le passé et y flotte vaguement sans se fixer encore nulle part.

22. (1911) Études pp. 9-261

À chaque instant le trait veut bondir, s’abandonner à son élan. […] Aucun instant de fraîcheur. […] À chaque instant recommence le livre. […] À chaque petit instant de ma vie, j’ai pu sentir en moi la totalité de mon bien. […] Je ne peux pas la nier, elle est aussi claire à certains instants que ma vie même.

23. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

Toutefois, dans le cours de ces soixante-quinze ans si pleins d’ardeur, d’élan, de foi en l’avenir, animés d’un si vif désir de changer les bases de la société existante, il y a un instant où les esprits conçoivent des pensées nouvelles et les cœurs des sentiments nouveaux. […] C’est l’instant où la France, qui semble avoir dû ses dernières victoires à la vitesse acquise au siècle précédent, va déchoir de sa grandeur militaire ; le traité d’Aix-la-Chapelle, signé en 1748, est pour elle une halte, présage d’une décadence prochaine. C’est l’instant où va se produire un schisme parmi les philosophes, où Rousseau va disputer à Voltaire la royauté des intelligences, où la sensibilité va s’opposer à la raison, où le courant négatif en matière religieuse va entrer en lutte avec un courant positif qui ramène les esprits vers le christianisme et les doctrines spiritualistes. C’est encore l’instant où les attaques des écrivains, jusque-là dirigées contre l’Eglise, vont se tourner contre l’Etat, où la préoccupation des affaires publiques va primer toutes les autres, où les théories politiques, réalistes et modérément réformistes avec Montesquieu, vont devenir dualistes et révolutionnaires avec l’auteur du Discours sur l’origine de l’inégalité.

24. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

Le Paul qui a des impressions est un Paul qui a vécu dans l’intervalle, et le Paul qui a vécu dans l’intervalle est un Paul qui était à chaque instant interchangeable avec Pierre, qui occupait un temps identique à celui de Pierre et qui a vieilli juste autant que Pierre. […] Mais, aussitôt rentrée, elle marque la même heure que l’autre (il va de soi que les deux instants sont pratiquement indiscernables). […] Mais à cet instant précis elle était encore, comme elle l’était déjà à l’instant précis où elle quittait le système, fantasmatique. […] Il peut jeter son dévolu sur l’un quelconque des systèmes de son univers ; il peut d’ailleurs changer de système à chaque instant ; mais force lui est, à un moment déterminé, de se trouver dans l’un d’eux. […] Mais, justement parce que sa pensée peut se poser n’importe où et se déplacer à chaque instant, il aime à se figurer qu’elle est partout, ou qu’elle n’est nulle part.

25. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Mais, en réalité, le corps change de forme à tout instant. […] Écartez de sa position d’équilibre un pendule idéal, simple point mathématique : une oscillation sans fin se produit, le long de laquelle des points se juxtaposent à des points et des instants succèdent à des instants. […] Tous les instants se valent. Aucun d’eux n’a le droit de s’ériger en instant représentatif ou dominateur des autres. […] L’univers devenait un système de points dont la position était rigoureusement déterminée à chaque instant par rapport à l’instant précédent, et théoriquement calculable pour n’importe quel moment.

26. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Réponse à M. Dubout. » pp. 305-316

Vous assurez que vous n’avez contre moi nulle rancune. « Pas un instant, dites-vous, je n’ai supposé que M.  […] Si je disais à mon tour, vous empruntant votre tournure : « Pas un instant je n’ai supposé que M. Dubout, comme l’ont insinué quelques médisants, ait obéi à un autre sentiment qu’au zèle pur de la vérité ; pas un instant je n’ai cru qu’il cédait, dans sa poursuite grotesquement acharnée, à un dépit cuisant d’auteur tombé, à une rage de vanité déçue, à une démangeaison de réclame, à une humeur processive et hargneuse d’homme d’affaires et de chicanou provincial, ou encore au désir têtu de montrer aux habitants de sa petite ville, témoins de son retour humilié, que ces gens de Paris ne lui faisaient pas peur et qu’ils n’auraient pas avec lui le dernier mot. » Qu’auriez-vous à dire ? […] La question est, exactement, de savoir si une personne est dans les conditions requises pour la confession sacramentelle dans l’instant où elle se vante d’avoir préparé un assassinat et où elle déclare, avec la plus furieuse insistance, qu’elle va l’accomplir.

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