L’adorable princesse qui put dire à son lit de mort à Monsieur : Je ne vous ai jamais manqué, aimait pourtant à se jouer dans les mille trames gracieuses qui se compliquaient autour d’elle, et à s’enchanter du récit de ce qu’elle inspirait. […] Lorsqu’en effet on représenta, en novembre 1670, la pièce désirée et inspirée par Madame, cette princesse si chère à tous n’existait plus depuis quelques mois ; Madame était morte !
Elle inspire leurs jugements, elle redresse leur front lorsqu’ils entrent dans une galerie ou chiffonnent un volume qu’ils devront « juger ». […] L’esprit scolaire et académique se meurt devant le grand sentiment d’indépendance générale qui inspire toute la fin de ce siècle.
Pourtant, comme on ne peut bien comprendre le caractère et le doux génie de Mme Récamier, cette ambition de cœur qui, en elle, a montré tant de force et de persistance sous la délicatesse ; comme on ne peut bien saisir, disons-nous, son esprit et toute sa personne sans avoir une opinion très nette sur ce qui l’inspirait en ce temps-là, et qui ne différait pas tellement de ce qui l’inspira jusqu’à la fin, j’essaierai de toucher en courant quelques traits réels à travers la légende, qui pour elle, comme pour tous les êtres doués de féerie, recouvre déjà la vérité.
C’est là que M. de Musset déroule sa théorie du Don Juan et oppose les deux espèces de roués qui se partagent, selon lui, la scène du monde : le roué sans cœur, sans idéal, tout égoïsme et vanité, cueillant le plaisir à peine, ne visant qu’à inspirer l’amour sans le ressentir, Lovelace ; et l’autre type de roué, aimable et aimant, presque candide, passant à travers toutes les inconstances pour atteindre un idéal qui le fuit, croyant aimer, dupe de lui-même quand il séduit, et ne changeant que parce qu’il n’aime plus. […] J’en distingue une intitulée Soirée perdue, où il a entrecroisé assez gracieusement un motif d’André Chénier avec une pensée de Molière, une satire Sur la paresse, où le poète s’est excité d’une lecture de Régnier ; un joli conte, Simone, où il s’est souvenu de Boccace et de La Fontaine ; mais surtout un Souvenir plein de charme et de passion encore, où il ne s’est inspiré que de lui-même.
Cent ans plus tard, en France, Balzac écrit Le Prince, sous Richelieu, préparant Louis XIV ; tandis qu’en Italie le grand patriote Machiavel ne peut s’inspirer que d’hommes tels que Cesare Borgia, Giuliano di Medici ou Lorenzo di Piero di Medici ; aventuriers, tyranneaux de province… En 1494 déjà, une invasion française interrompait l’épopée de Boiardo ; au xvie siècle Arioste se réfugie dans les domaines intangibles de la fantaisie, il écrit une œuvre de beauté durable, universelle, mais inefficace pour la patrie ; ses prophéties sur l’avenir de la maison d’Este sont pleines de rhétorique et… d’ironie involontaire aussi ; après lui, Torquato Tasso subit à la fois la réaction catholique et le joug des traditions académiques. — En France, le triomphe du catholicisme est aussi celui de l’unité nationale ; « Paris vaut bien une messe » n’est pas une boutade, c’est un mot qui résume une grande nécessité ; ce catholicisme-là n’asservit pas la pensée ; pour plusieurs écrivains, qui nous l’ont dit expressément, il est la liberté ; il ne soumet pas la France à la Papauté, il mène au gallicanisme de Bossuet ; de même, la tradition académique, malgré tous ses défauts, contribue à la discipline nationale. […] Carducci évolue du lyrisme juvénile à l’épopée ; il inspire Pascarella, dont une œuvre médite encore sera le poème du Risorgimento ; l’histoire de Garibaldi s’enrichit de légendes populaires et n’attend plus que son poète.
Quand Lamartine raconte qu’il emportait un crayon et du papier, pour composer ses poèmes en présence des spectacles qui l’inspiraient, il a l’air de s’étonner lui-même d’une telle attitude et il la note comme exceptionnelle et glorieuse. […] Quelques historiens de nos lettres, et non des moindres, ont voulu voir dans le romantisme une invasion étrangère, dont les conséquences ont été de dénaturer notre âme, de lui apprendre des façons de penser et de sentir qui étaient directement opposées aux principes esthétiques et moraux qui l’avaient inspirée jusque-là. […] Pendant des années il ne s’est inspiré que des livres, cherchant à imiter les grands auteurs du passé ; et les étrangers, qu’il appelait à son secours, tantôt Pétrarque et tantôt Ossian ; et les Français, Voltaire, Lebrun, ou Parny. […] En vain mes Sœurs s’applaudissent-elles de cet art pénible qu’elles ont inventé pour le charme des oreilles ; en vain se sont-elles imposé cette servitude des sons et des mesures dont tu te plains ; elles ne sauraient plaire qu’autant que je les inspire ; et les prodiges dont elles se vantent sont bien moins dus aux grâces contraintes qui les parent, qu’aux véritables beautés que je leur prête. […] Le génie latin a passé deux siècles à méconnaître le genre d’imagination et de sensibilité qui inspire cette poésie.