Nulle part cette séparation arbitraire que la société et l’art se sont entendus pour imaginer entre la réalité et l’idéal n’est ni plus factice, ni plus profonde, ni plus désastreuse. […] Sans la théorie qui sert de point de départ à cet ouvrage, si nous nous gardons d’en exagérer la valeur et si nous voulons bien prendre l’hypothèse de Goethe telle qu’il lui a plu de l’imaginer, qu’-en a-t-il tiré en définitive ? […] Dans ce monde de demi-poésie et de demi-éloquence, Goethe s’imagine qu’il n’a qu’à se présenter pour prendre sa place ; et il compose quelques pièces de vers. « Se fût-il mis une pierre au cou ! […] Friedrich, qui, dans une œuvre remarquable à plus d’un titre, dirigée contre le pharisaïsme piétiste, — duquel me préserve le ciel d’être le champion, — a imaginé récemment d’incarner un grand parti religieux dans un pasteur infanticide. […] Freytag ne croit-il pouvoir imaginer rien de mieux, pour raffermir ses compatriotes dans le culte des vertus héréditaires, que de leur présenter cet épouvantail.
Sainte-Beuve a aimé parfois à en imaginer, — cet autre portrait d’un savant, d’un philosophe « austère et solitaire », qu’il a peint lui-même, trente-deux ans plus tard (en 1864), dans un article à propos des Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M.
Imaginons donc qu’une ambition pareille, ou contraire, ne brouillera point deux amis : comme il est impossible de séparer l’amitié des actions qu’elle inspire, les services réciproques sont un des liens qui doivent nécessairement en résulter ; et qui peut se répondre que le succès des efforts de son ami n’influera pas sur vos sentiments pour lui !
L’homme passionné qui, sans efforts préalables, imaginerait de se livrer à l’étude, n’y trouverait aucune des ressources que je viens de présenter.
Est-il défendu d’imaginer qu’une Puissance inconnue, ayant d’abord permis aux hommes d’établir entre les choses et les mots des rapports constants, universels et publics, a voulu enfouir en même temps dans les ténèbres des idiomes humains certains rapports secrets, absurdes et réjouissants des mots avec les objets ou des vocables entre eux, et en a réservé la découverte à quelques privilégiés du rire et de la fantaisie ?
Concevoir le monde comme un militarisme psychologique, à qui convient une théorie et une seule, envisager comme identiques les infiniment variées positions morales dont le nom seul est commun, et comme comportant une solution (qu’on va vous dire), imaginer qu’on a formulé la vie quand on a trouvé cinq ou six problèmes abstraits, est-ce le fait d’« une des plus hautes intelligences de notre temps » ou d’un Homais raisonneur et borné ?