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569. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

A quoi bon descendre à plaisir des hauteurs où vous a placé l’amour pur de la jeune fille pour se révéler à elle le héros d’aventures vulgaires, ou le convalescent échappé de quelque grande passion, avec l’imagination éteinte et le cœur plein de cendres ? […] J’ai souvent fait un rêve, ou plutôt (car la chose est irréparable) j’ai formé et senti un regret : c’est que parmi toutes ces générations qui se sont succédé dans notre France légère depuis tant de siècles, il ne se soit pas trouvé, à chaque génération un peu différente, un témoin animé, sincère, enthousiaste ou repentant, présent d’hier à la fête ou survivant le dernier de tous et s’en ressouvenant longtemps après ; lequel, sous une forme quelconque, ou de récit naïf, ou de regret passionné, ou de confession fidèle, nous ait transmis la note et la couleur de cette joie passagère, de cette ivresse où l’imagination eut bien aussi sa part. […] Sous le premier Empire, la joie était redevenue une pure joie, une joie naturelle, pétillante, sans arrière-pensée, la joie du Caveau et des enfants d’Épicure ; mais après 1830, aux environs de cette date nouvelle, l’imagination reprit son essor ; le plaisir ne se produisait lui-même que sous air de frénésie et dans un déguisement qui le rendait plus vif, plus divers, plus éperdu, donnant l’illusion de l’infini ; il fallait, même en le poursuivant, satisfaire ou tromper une autre partie de soi-même, une partie plus ambitieuse et plus tourmentée. […] Je crois peu à la guérison des passions quand elles sont réelles, profondes, et qu’elles se sont logées plus avant encore que dans le tempérament, je veux dire dans l’esprit et dans l’imagination.

570. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par le chevalier d’Arneth »

En général, la Marie-Antoinette qui ressort de la correspondance de Vienne est beaucoup moins en état d’écrire et de correspondre agréablement qu’il ne semblerait d’après les lettres, aujourd’hui plus que suspectes, qui étaient d’accord avec une flatteuse légende et dont les couleurs répondaient au besoin des imaginations. […] Mais l’imagination, une fois émue, a besoin d’antidater ses admirations. […] Il se rapporte à l’année 1776 : nous en donnerons les parties principales ; de telles esquisses d’après nature dispensent de bien des imaginations et des songes plus conformes à la poésie qu’à la réalité, et elles viennent à propos pour rompre de temps en temps la légende toujours prête à empiéter sur l’histoire : « La reine est très-bien de figure, et quoiqu’elle ait pris assez d’embonpoint, il n’y a néanmoins pas encore d’excès. […] De documents, on s’en fût passé ; l’imagination eût suppléé à tout.

571. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Dans un temps où le peuple ne lisait pas, où le latin lui était devenu inintelligible, il était naturel que les clercs songeassent à dégager le sens du service divin par une figuration plus expressive, à instruire les esprits des fidèles, en saisissant leurs imaginations : ils réalisèrent par des interpolations de plus en plus considérables et dramatiques les actes dont l’office du jour était la commémoration. […] Nous collaborons avec l’auteur de tout le raffinement de nos imaginations, nous jouissons subtilement de cette simplicité non voulue : mais enfin pourquoi tant d’autres pages aussi sèches, d’un art aussi insuffisant, ne se laissent-elles point compléter de même ? […] L’imagination éveillée des poètes picards, ou peut-être la fantaisie originale du seul Adam de la Halle147, saisit la variété et la puissance des effets qui étaient contenus dans la forme de ces « jeux » sacrés. […] Je veux parler de l’imagination psychologique, du don de distinguer les formes générales des caractères et des vies humaines, et de composer les actes et paroles d’un personnage en parfait accord avec ses sentiments.

572. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

En venant au théâtre, la société polie y avait apporté sa sécheresse d’imagination et son instinct rationaliste. […] Ainsi l’établissement des unités fut en réalité une victoire du réalisme sur l’imagination : et voilà pourquoi elles s’implantèrent chez nous, et non en Espagne, ni en Angleterre. […] Tandis qu’ici l’imagination tour à tour lyrique ou épique s’allie à la raison, à l’exacte et précise notation des faits moraux, plus tard Corneille aura surtout l’imagination mécanique, celle qui combine abstraitement les forces.

573. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Elles ne furent d’abord embrassées que par quelques personnes à l’imagination vive et portées vers les doctrines étrangères. […] La Perse était arrivée, en bannissant les dévas multiples et en les transformant en démons (divs), à tirer des vieilles imaginations ariennes, essentiellement naturalistes, une sorte de monothéisme. […] En tout cas, se combinant avec la croyance au Messie et avec la doctrine d’un prochain renouvellement de toute chose, elle forma ces théories apocalyptiques qui, sans être des articles de foi (le sanhédrin orthodoxe de Jérusalem ne semble pas les avoir adoptées), couraient dans toutes les imaginations et produisaient d’un bout à l’autre du monde juif une fermentation extrême. […] Mais la Galilée a créé à l’état d’imagination populaire le plus sublime idéal ; car derrière son idylle s’agite le sort de l’humanité, et la lumière qui éclaire son tableau est le soleil du royaume de Dieu.

574. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

Il y a longtemps que je me suis défini Chateaubriand : un Épicurien qui a l’imagination catholique. […] On nous a assuré que, quand il voulait plaire, il avait pour cela, et jusqu’à la fin, des séductions, des grâces, une jeunesse d’imagination, une fleur de langage, un sourire qui étaient irrésistibles, et nous le croyons sans peine. […] René, pour paraître plus grand, aime mieux frapper l’imagination que le cœur ; il aime mieux (même dans ce cas où il se suppose père) être rêvé de sa fille que d’en être connu, regretté et aimé. […] » Il retrouve la grâce, l’imagination, presque de la tendresse.

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