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428. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

Tous ont leurs lois à part, et toutes ces lois diverses tendent à une loi commune et forment l’univers… Mais ces soleils assis dans leur centre brûlant, Et chacun roi d’un monde autour de lui roulant, Ne gardent point eux-même une immobile place : Chacun avec son monde emporté dans l’espace, Ils cheminent eux-même : un invincible poids Les courbe sous le joug d’infatigables lois, Dont le pouvoir sacré, nécessaire, inflexible, Leur fait poursuivre à tous un centre irrésistible. » C’était une bien grande idée à André que de consacrer ainsi ce troisième chant à la description de l’ordre dans la société d’abord, puis à l’exposé de l’ordre dans le système du monde, qui devenait l’idéal réfléchissant et suprême. […] J’ai souvent pensé à cet idéal d’édition pour ce charmant poëte, qu’on appellera, si l’on veut, le classique de la décadence, mais qui est, certes, notre plus grand classique en vers depuis Racine et Boileau. […] André a pris de la Grèce le côté poétique, idéal, rêveur, le culte chaste de la muse au sein des doctes vallées : mais n’y aurait-il rien, dans celui que nous connaissons, de la vivacité, des hardiesses et des ressources quelque peu versatiles d’un de ces hommes d’État qui parurent vers la fin de la guerre du Péloponèse, et, pour tout dire en bon langage, n’est-ce donc pas quelqu’un des plus spirituels princes de la parole athénienne ? […] Cet article, postérieur de dix années au précédent, achève et complète notre vue sur le poète ; l’étude approfondie n’a fait que vérifier notre premier idéal.

429. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

La solution qu’il apporte est toujours la moyenne exacte entre l’idéal et la pratique. […] Ses cheveux blond-cendré étaient longs et soyeux ; son front haut et un peu bombé venait se joindre aux tempes par ces courbes qui donnent tant de délicatesse et tant de sensibilité à ce siège de la pensée ou de l’âme chez les femmes ; les yeux de ce bleu clair qui rappelle le ciel du Nord ou l’eau du Danube ; le nez aquilin, les narines bien ouvertes et légèrement renflées, où les émotions palpitaient, signe du courage ; une bouche grande, des dents éclatantes, des lèvres autrichiennes, c’est-à-dire saillantes et découpées ; le tour du visage ovale, la physionomie mobile, expressive, passionnée ; sur l’ensemble de ces traits, cet éclat qui ne se peut décrire, qui jaillit du regard, de l’ombre, des reflets du visage, qui l’enveloppe d’un rayonnement semblable à la vapeur chaude et colorée où nagent les objets frappés du soleil : dernière expression de la beauté qui lui donne l’idéal, qui la rend vivante et qui la change en attrait. […] Son journal, l’Ami du peuple, suait le sang à chaque ligne. » XVI L’accusation d’avoir présenté le parti tour à tour ambitieux et faible des Girondins pour un parti idéal de la Révolution n’est pas moins erronée. […] Ce fut le caractère unique de cette Assemblée, que cette passion pour un idéal qu’elle se sentait invinciblement poussée à accomplir.

430. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Les individualités s’évanouissent dans l’insubstantielle abstraction des types, et Enjolras, l’idéal insurgé, Javert, l’idéal policier, Jean Valjean, l’idéal racheté, dégradent la pathétique peinture de la barricade. […] Ses jeunes filles sont plus nuancées, plus compliquées, et — malgré leur idéale perfection — plus finement vivantes que les imaginations d’hommes ne savent les faire.

431. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Vos peintres rendent la nature sans vérité et sans idéal, et aucune pensée ne dirige leur pinceau. […] J’y trouve le retour à la nature, le sentiment de l’égalité humaine, le sentiment pur de l’amour : ce sont trois traits de Rousseau, qui, comme une image sacrée de l’idéal, ont passé dans l’âme de Goethe, et y vivaient à l’époque où il fit Werther. […] La raison en est simple : la France seule s’était faite initiatrice ; l’Allemagne, au contraire, prétendait à l’immobilité, à la conservation, à la durée ; elle ne permettait à l’idéalisme naissant que d’agiter le cœur et la tête de ses enfants sans leur laisser croire à l’effet des idées, à l’activité possible, à la réalisation de l’idéal. […] Je sais que l’art a tourné aujourd’hui vers un plat servilisme, vers un plat matérialisme ; mais j’aime encore mieux l’art douloureux de Goethe dans Werther et dans Faust que cet art qui, pour les jouissances du présent, trahit toutes les espérances de l’Humanité, et abandonne honteusement l’idéal.

432. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Le sentiment de la nature, l’amour de l’humanité idéale, la méditation chrétienne, l’adoration de l’art, tel est le fond de ses premiers ouvrages. […] Elle s’est fait un idéal de l’esprit humain dans les livres ; elle s’en est fait un du génie particulier de la France, un autre de sa langue ; elle met chaque auteur et chaque livre en regard de ce triple idéal. […] Les pièces en vers, pourvu qu’il n’y manque pas un poète, ont plus de chance de durée, parce qu’il y a là un travail supérieur qui élève l’écrivain au-dessus du temps présent, qui l’excite à chercher dans le rôle le caractère, dans le personnage le type, qui le préoccupe d’idéal, qui le met en commerce avec les maîtres de l’art et le fait penser à la gloire.

433. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Cette cathédrale, chef-d’œuvre de légèreté, fol essai pour réaliser en granit un idéal impossible, me faussa tout d’abord. […] Les environs de la ville présentaient le même caractère religieux et idéal. […] Après qu’Orphée, ayant perdu son idéal, eût été mis en pièces par les ménades, sa lyre ne savait toujours dire que « Eurydice ! […] Tréguier a d’ordinaire beaucoup de fous ; comme toutes les races du rêve qui s’usent à la poursuite de l’idéal, les Bretons de ces parages, quand ils ne sont pas maintenus par une volonté énergique, s’abandonnent trop facilement à un état intermédiaire entre l’ivresse et la folie, qui n’est souvent que l’erreur d’un cœur inassouvi.

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